Citations sur Le bleu au-delà (20)
- Je lui ai donné un ouvre-boîte le jour où on a divorcé, dit ma mère. Il ne savait pas à quoi cela servait. Je lui ai répondu qu’il le découvrirait bien assez tôt.
Les types avec qui elle sortait à l’époque étaient comme les cirques qui passaient dans notre ville. Ils s’installaient vite, déballaient toutes leurs possessions comme s’ils prévoyaient de rester. [...] Puis ils disparaissaient et on ne trouvait plus la moindre trace de leur présence, pas la moindre évocation même, comme si nous les simplement imaginés.
Aujourd'hui, le père est une petite plaque de granit plantée près de la maison de ma mère, dans une prairie d'herbes folles et de plantes grasses au bord de la mer. Mère aime l'avoir près d'elle et affirme que leurs conversations se sont bonifiées.
Chaque nuit pendant ces vacances, tandis que j’étais étendu dans un sac de couchage à même le sol de l’hôtel, au pied de son lit, je l’entendais tourner et s’agiter des heures entières et j’avais le pressentiment, avec cette assurance qui habite parfois les enfants, qu’il ne serait plus mon père très longtemps. Ses mouvements déferlaient par cycles qui semblaient se refermer lentement autour de lui.
Les hommes sont pleins de surprises. Ils ne sont jamais ceux que l'on croit.
Le cerisier à l'arrière, qui dans ma mémoire était immense car j'y avais grimpé, je m'y étais caché, j'en étais tombé, se dressait à un mètre de hauteur, rabougri et décevant. La grande clôture m'arrivait à la taille. Les souvenirs sont toujours infiniment plus riches que leur origine, découvris-je alors.
Faire le voyage en arrière ne mène qu'à s'éloigner davantage de sa propre mémoire. Et puisque l'on construit souvent sa vie et sa personne sur les fondations même de la mémoire, revenir chez soi peut justement vous en priver.
Le cerisier à l'arrière, qui dans ma mémoire était immense car j'y avais grimpé, je m'y étais caché, j'en étais tombé, se dressait à un mètre de hauteur, rabougri et décevant. La grande clôture m'arrivait à la taille. Les souvenirs sont toujours infiniment plus riches que leur origine, découvris-je alors. Faire le voyage en arrière ne mène qu'à s'éloigner d'avantage de sa propre mémoire. Et puisque l'on construit souvent sa vie et sa personne sur les fondations même de la mémoire, revenir chez soi peut justement vous en priver.
La petite plaque de granit répond plutôt bien à mes propres besoins, aussi. J'apporte des fleurs, je m'assieds avec lui, comme dans le temps, sauf que je ne suis plus obligé de préparer des spaghettis. J'écoute les vagues se déchiqueter, je pince une tige de plante grasse entre mes doigts, je lève les yeux vers le bleu au-delà, et parfois, quand j'entraperçois dans les courants d'altitude un battement d'aile insistant et plein d'espoir, j'imagine presque que le père a enfin pris vie.
A ma fenêtre, contemplant la lumière jaune pâle d'un lampadaire et passant la main sur la paroi en verre de mon aquarium, je m'obligeai à réaliser. Je n'ai pas de papa, et je répétai cela à voix haute. Je n'ai pas de papa. Mais ça ne me paraissait pas correct. J'attrapai un vieux trophée de foot et l'écrasai contre la vitre de l'aquarium, je sentis l'eau tiède se déverser sur moi, tremper mes jambes et mes pieds.