Citations sur Les mains vides (76)
Une bulle de vapeur stagnait au-dessus de la ville, prête à cacher les étoiles. Il aurait tant voulu se retrouver sur ses collines, là où les prés rafraîchissent l'air et où la brise, fille de l'ombre, surgit des bois.
Tôt ou tard, on finira tous comme lui, observa Angela. Plus personne n'a de patrie et tout le monde va et vient, nous sommes tous des migrants déracinés.
- Moi, heureusement, je suis une vieille plante, il faut me tailler au pied. Impossible de me déraciner, déclara Soneri.
"La ville piétine sa tradition ouvrière et se convertit à la rente immobilière"
Il aura un instrument plus moderne, il sera content.
- On ne fait rien avec les choses sans passé, décréta Soneri avec amertume avant de lui parler brièvement de Galluzo, un type apparemment sans histoire, parachuté dans la ville.
Il se demandait tout à coup s’ils n’auraient pas plutôt affaire à un camé de haute volée, du genre à se mettre des paquets de fric dans le nez. L’histoire de la voiture forcée était loin de le convaincre.
« Mais s’il ne manque rien… » dit-il en laissant sa phrase en suspens. Si tout semblait en place, la personne entrée dans la voiture avait peut-être cherché quelque chose qui s’y trouvait momentanément. Mais il se rendit compte que ce raisonnement ne le mènerait nulle part et le laissa mourir dans un silence gênant.
Il aurait voulu retourner au brouillard et à sa discrétion, humide et enveloppante. Heureusement, le 15 août approchait et la ville se viderait en laissant derrière elle les vieux et les fauchés. Il se consola en songeant aux rues désertes, à la beauté de la ville enfin silencieuse et aux dîners dans quelque auberge à l’ombre des tonnelles : sa petite villégiature personnelle.
Il n’avait jamais aimé l’été en ville, quand les rues puent la pisse et que des odeurs âcres de transpiration flottent dans les autobus. Il n’aimait pas non plus son agitation nocturne désespérée, les foules d’ivrognes hurlant aux lunes opaques voilées par la touffeur, les insomnies et ses coups de barre poméridiens au plus fort de la canicule.
Tu penses qu’ils étaient combien ?
— Au moins deux. Il y a des empreintes de semelles qui ne sont pas celles de la victime. Hormis celles du type qui était là, évidemment. Son associé, si j’ai bien compris ?
— Tu as remarqué ses poignets ? poursuivit Soneri sans répondre à sa question.
— Ils l’ont sûrement ligoté avant de le frapper et ils ont dû lui retirer ses liens quand il s’est évanoui, confirma Nanetti. On a trouvé un couteau de cuisine et des restes de cordes sous le canapé.
— Peut-être qu’ils voulaient juste lui donner une leçon. Tu sais ce que ça veut dire.
— Un avertissement. Attention, la prochaine fois, on te descend.
— Et il n’y a pas eu de prochaine fois », marmonna le commissaire.
— Homicide ? l’assaillit Soneri.
— Quasi sûr, mais les agents n’y comprennent pas grand-chose. Capuozzo veut que vous alliez y faire un saut.
— C’est où ?
— Via Cavour, au 15. »
La rue des affaires et des boutiques de fringues, songea le commissaire. À deux pas du duomo, de l’hôtel de ville et du Regio : l’affaire sentait le roussi
Il mangea du melon avec du jambon et compta sur le vin : le malvasia frais coulait dans son estomac en lui offrant de petits frissons de plaisir. Comme toujours, être à table lui permettait de réfléchir.