Citations sur Les mains vides (76)
J'ai peur que vous confondiez le besoin et le libre choix, commenta-t-il sèchement. La liberté n'existe pas où il n'y a pas de choix. Et j'ai comme l'impression que c'est le cas de vos client. (page 103)
Ta sensibilité. Si tu étais un flic comme les autres, tu n'en aurais pas grand chose à foutre de toutes ces horreurs. La vérité, c'est que tu es un moraliste. C'est ça qui te fout en rogne. Tu n'as pas renoncé à tes idéaux et quand tu vois la réalité s'en éloigner, tu deviens enragé. Si beaucoup de tes collègues continuent d'avancer bêtement, c'est qu'ils n'affrontent rien.
Ils ont compris qu'il suffisait d'une belle présentation pour faire accepter les arnaques avec le sourire, résuma le commissaire avec cynisme. (page 47)
Tôt ou tard, on finira tous comme lui, observa Angela. Plus personne n'a de patrie et tout le monde va et vient, nous sommes tous des migrants déracinés.
– Un conseil, reprit sérieusement Gerlanda, ne jouez pas les Don Quichotte. Que vous le vouliez ou non, vous faites partie de la police et la police a toujours été du côté des puissants. Depuis quand la police change le monde ? Dites plutôt qu’elle a empêché que ça change !
Il y avait un mélange de cynisme et d’amertume dans les propos de Roger, mais ce qui blessait surtout le commissaire, c’était d’être obligé d’admettre, une fois encore, un fond de vérité à ses propos.
« Le seul air que je me rappelle, dit-il, c’est Ciao Bella, mais c’est plus à la mode, plus personne n’a envie de l’écouter.
_ Moi, je l’aime beaucoup, insista le commissaire.
_ Alors, je vais le jouer pour toi, et pour lui », répondit Gondo en indiquant le partisan de bronze à la gauche du Regio.
Soneri entendit les premières notes après avoir fait quelques pas. Le ciel s’était accordé une pause, comme s’il voulait à son tour entendre le vieux jouer cette ancienne chanson de la Résistance. Le commissaire s’arrêta. Les notes se balançaient dans l’air et flottaient comme un parfum. Il ferma les yeux et tenta de revoir Parme bien des années plus tôt, à l’époque où elle était encore une ville aussi chaude et passionnelle qu’une mazurka. Quelques secondes plus tard, une imprécation le tira de ses rêveries et abrégea le dernier refrain de Gondo. D’une fenêtre, quelqu’un braillait d’arrêter dans une langue étrangère entrecoupée d’italien. Fin de la mélodie. Depuis le ciel, des gouttes aussi grosses que des crachats commencèrent à pleuvoir sur l’asphalte. »
Il n'avait jamais aimé l'été en ville, quand les rues puent la pisse et que des odeurs âcres de transpiration flottent dans les autobus. Il n'aimait pas non plus son agitation nocturne désespérée, les foules d'ivrognes hurlant aux lunes opaques voilées par la touffeur, les insomnies et ses coups de barre poméridiens au plus fort de la canicule. Il aurait voulu retourner au brouillard et à sa discrétion, humide et enveloppante. Heureusement le 15 août approchait et la ville se viderait en laissant derrière elle les vieux et les fauchés. Il se consola en songeant aux rues désertes, à la beauté de la ville enfin silencieuse et aux dîners dans quelque auberge à l'ombre des tonnelles : sa petite villégiature personnelle.
Vous ne voyez pas à quoi cette ville en est réduite ? Le supermarché a remplacé les idées, la télé a pris la place des curés et des philosophes, l'argent est la nouvelle idole unique et totalitaire. Il ne nous reste plus que deux possibilités : soit en profiter, soit tenter de s'y opposer. Moi, j'ai choisi la première et vous, la seconde. Le seul point sur lequel on se retrouve, c'est le mépris que l'on peut ressentir pour ce monde-là.
Soneri s'efforça par tous les moyens de trouver un argument pour le contredire, mais n'eut aucune repartie. Il dut reconnaître, avec amertume, que Gerlanda avait secoué au plus profond de lui-même quelque chose qu'il aurait préféré laisser en sommeil.
Contre les bêtes sauvages, on n’a qu’une solution, être aussi sauvage qu’elles.
Soneri bouillait de colère. Il ne reconnaissait plus ni sa ville ni le peuple de sa ville. Sa nature polémique, sa rébellion anarchiste, son intolérance à toutes les injustices et son goût pour les barricades, où étaient-ils passés ?