Chansons pour elle et autres poèmes érotiques

Longs baisers plus clairs que des chants,
Tout petits baisers astringents
Qu'on dirait qui vous sucent l'âme,
Bons gros baisers d'enfant, légers
Baisers danseurs, telle une flamme,

Baisers mangeurs, baisers mangés,
Baisers buveurs, bus, enragés,
Baisers languides et farouches,
Ce que t'aimes bien, c'est surtout,
N'est-ce pas ? les belles boubouches.

Les corps enfin sont de ton goût,
Mieux pourtant couchés que debout,
Se mouvant sur place qu'en marche,
Mais de n'importe quel climat,
Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche.

Nous dînions du blâme public
Et soupions du même fricote.


(Laeti et errabundi)

Je suis plus pauvre que jamais
Et que personne ;
Mais j'ai ton cou gras, tes bras frais,
Ta façon bonne
De faire l'amour, et le tour
Leste et frivole
Et la caresse, nuit et jour,
De ta parole.

Je suis riche de tes beaux yeux,
De ta poitrine,
Nid follement voluptueux,
Couche ivoirine
Où mon désir, las d'autre part,
Se ravigore
Et pour d'autres ébats repart
Plus brave encore...

Puisque nous voici réunis,
Dis, sans ruse et sans feinte,
Ne nous cherchons plus d'auras nids
Que ma, que ton étreinte.
Malgré mon caractère affreux,
Malgré ton caractère
Affreux, restons toujours heureux :
Fois première et dernière.

La plénitude ! Ils l'ont superlativement :
Baisers repus, gorgés, mains privilégiées
Dans la richesse des caresses repayées,
Et ce divin final anéantissement !

( … je déteste les parfums et je ne sais
Rien de meilleur à respirer que l'odeur fière

Et saine de la femme seule que l'on eut
Pour le moment sur le moment)

Compagne savoureuse et bonne
A qui j'ai confié le soin
Définitif de ma personne,
Toi mon dernier, mon seul témoin,
Viens ça, chère, que je te baise,
Que je t'embrasse long et fort,
Mon coeur près de ton coeur bat d'aise
Et d'amour pour jusqu'à la mort :
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.

Je vais gueux comme un rat d'église
Et toi tu n'as que tes dix doigts ;
La table n'est pas souvent mise
Dans nos sous-sols et sous nos toits ;
Mais jamais notre lit ne chôme,
Toujours joyeux, toujours fêté
Et j'y suis le roi du royaume
De ta gaîté, de ta santé !
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.

(…)

Qu'importe ton passé, ma belle,
Et qu'importe, parbleu ! le mien :
Je t'aime d'un amour fidèle
Et tu ne mas fait que du bien.
Unissons dans nos deux misères
Le pardon qu'on nous refusait
Et je t'étreins et tu me serres
Et zut au monde qui jasait !
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.

Tapisserie usée et surannée,
Banale comme un décor d'opéra,
Factice, hélas ! comme ma destinée ?

(" Allégorie ")

L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize ;
Toutes deux dormaient dans la même chambre
C'était par un soir très lourd de septembre
Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise.

Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise,
La fine chemise au frais parfum d'ambre,
La plus jeune étend les bras, et se cambre,
Et sa soeur, les mains sur ses seins, la baise,

Puis tombe à genoux, puis devient farouche
Et tumultueuse et folle, et sa bouche
Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises ;

Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense
Sur ses doigts mignons des valses promises.
Et, rose, sourit avec innocence.

Ô mes chères, soyez mes muses, en ce nid
Encore bienséant d'un pamphlet qui s'essore.
Soyez à ce pauvret que la haine bénit
Le lire du soleil et les pleurs de l'aurore.