ISBN : inusité à l'époque
Cela faisait des lustres que je ne l'avais pas relu, ce livre et, avec l'expérience de Lectrice acquise avec les années, les auteurs et leurs oeuvres, je ne cesserai plus de le considérer comme le meilleur de la romancière normande et l'un des Incontournables du genre. Que ceux à qui ça fait plaisir ricanent sottement, peu me chaut : riez donc, paillasses ! Mais croyez-moi, il y a, dans ce roman "à l'eau-de-rose", un art du dialogue ping-pong (ou balles de mitraillette, c'est pas mal non plus ) qui rappelle, de façon irrésistible, certaines comédies américaines des années trente dont le Grand, le Magnifique "New-York / Miami" de Capra ou encore "L'Impossible M. Bébé" de Hawks. Et j'allais oublier de citer - et Hepburn y apparaît encore - un peu plus tard, de
John Huston, l'inoubliable "African Queen."
... Hélas ! Ce ton si vif, si primesautier, si naturel en un mot quoique redoutablement travaillé, on ne le retrouve dans aucun autre livre de l'auteur. Enfin, tel est mon ressenti.
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Vers l'Unique" est encore très "conte-de-fées" (la fin, surtout mais ne nous montrons pas cyniques et faisons semblant d'y croire, elle le mérite ! ) mais enfin, soyons francs : n'est-ce pas ce que l'on recherche dans ce genre littéraire ? Résumons un peu : la petite Isabelle Fouquet, majeure et vaccinée tout de même , quitte, sur la pointe de ses petits pieds, le domicile (mesquin) de la tante (ou marraine) qui l'a élevée, parce qu'elle n'en peut plus de la supporter. C'est vrai que ladite tante, il faut vraiment se la taper : une horreur, c'te femme ! Méchante comme la gale, sotte comme un bêtisier télévisé, arrogante comme une Cécilia ou une Christiane, et fausse comme un jeton ! Tout pour plaire, on vous dit !
Telle Linda de Suza à une autre époque, notre petite Isabelle saisit donc sa petite valise - vous remarquerez néanmoins que, en dépit de la crise, celle-ci n'est pas en carton mais en toile bien usée - ah ! on construisait solide, en ce temps-là ) et prend le train pour la Ville-Lumière, là où gambille alertement depuis des années une certaine Mistinguette (avec ou sans Chevalier et son célèbre canotier) tandis qu'une dénommée "Môme Piaf", sensiblement plus jeune, râcle les coeurs jusqu'à l'aorte en faisant entendre une voix à vrai dire unique et qui le restera.
Isabelle, son grand rêve de Cendrillon à elle, c'est de devenir cantatrice - notez qu'il y en a eu déjà une dans la famille. Mais elle a bien du mal, déjà, à trouver un emploi de choriste, alors diva, comme ça, du premier coup, vous pensez ... Néanmoins, elle se satisfait de sa nouvelle situation parce que, dame, il faut bien vivre et puis, surtout, parce qu'elle veut rester une "honnête fille." Or, si elle n'avait pas eu la chance de se lier d'amitié avec une voisine, Lyse Rolle de son nom de chorus-girl, jamais elle n'aurait pu s'en sortir : c'était ou le trottoir ou revenir chez sa tante-marraine-mauvaise fée, laquelle lui aurait certainement réservé un chien - sinon dix - de sa chienne ...
Toute heureuse, donc, que la voilà, notre petite Isabelle . Et ça nous fait bien plaisir, oui-da ! Profitons-en bien d'ailleurs parce que ça se gâte vite. Dans son ignorance touchante des idées fixes masculines - ou devrions-nous écrire de l'Idée Fixe masculine ? - elle ne comprend rien - mais vraiment rien de rien - à l'acharnement déployé par les habitués des coulisses à poursuivre les girls dans leurs loges et, quand ils n'essaient pas carrément de leur y faire subir sur le champ d'irréparables outrages, à leur proposer de "s'occuper" d'elles, le temps d'un caprice. Et cela, même quand on leur hurle "Non !" d'une voix qui réveillerait un cimetière tout entier.
Que voulez-vous, les hommes, quand leur Idée Fixe les prend, c'est plutôt bête et parfois violent ! Il faut s'y faire, c'est tout et les envoyer promener sans en faire tout un fromage.
Mais cela, on ne l'apprend qu'avec l'expérience et le temps. Deux choses qui manquent pour l'instant à la petite Fouquet, comme on l'appelle.
Et puis, vous savez, il y a Idéefixé et Idéefixé ! Certains finissent par comprendre et par se lasser mais, dans la meute qui cerne Isabelle et ses compagnes, il y en a un qui se révèle sans vergogne particulièrement tenace. S'il n'était si beau, si distingué et si riche, il aurait tout de la bernique sur son rocher, vous voyez le style ? Donc, en général, les femmes ne font pas la difficile avec lui et ignorent volontairement son côté patellaire - rien à voir avec le fémur et son syndrome ! ;o). Isabelle, elle, bien sûr, vous vous en doutez, ne peut pas . Oui, Henri Talaine est beau. Oui, Henri Talaine est distingué. Oui, Henri Talaine est riche, elle est d'accord avec tout ça ! Mais n'empêche : Henri Talaine est aussi une vantouse monstrueuse. Qui pis est : monstrueusement entêté ! Sous ses beaux atours de Parisien, on lui découvrirait une ascendance bretonne que ça ne m'étonnerait guère, je ne vous dis que ça !
Isabelle, il la veut, il l'aura ! Voilà ! Hugh ! Henri Talaine a parlé.
Isabelle, il peut toujours courir, il ne l'aura jamais ! Na ! Hugh ! Isabelle Fouquet a parlé aussi.
Je vous laisse imaginer l'ambiance, d'autant qu'aucun des deux protagonistes n'a la langue dans sa poche : pif ! paf ! vlan et revlan ! La balle change de camp à une vitesse quasi wodehousienne (Si ! Je vous jure ! ), le ton reste très crédible, chose plutôt rare, vous en conviendrez, dans le genre, c'est à qui sera le plus acerbe, souvent à qui fera le plus mal, bref, c'est sans doute un conte de fées mais il parle un langage sacrément réaliste. le comité de lecture de chez Taillandier s'est peut-être arraché les cheveux et celui de "La Bonne Presse" a peut-être songé au refus pur et simple du manuscrit en se demandant s'il pouvait se permettre en parallèle les frais d'un procès mais le lecteur, lui - et je ne parle pas du cinéphile amateur de bons dialogues - reste bouche bée, fasciné.
C'est de l'eau-de-rose, certes, je n'en disconviens pas mais, à ce niveau-là, l'eau-de-rose devient de l'Art.
... Comment ça finit ? Si vous croyez que je vais vous le dire ... de toutes façons, vous devriez avoir déjà deviné. Dommage que, du coup, on retombe dans le gnangnan - enfin, juste pour la dernière page. Mais nul n'est parfait, n'est-ce pas ?
Allez, n'ayez pas honte, ne faites pas votre coincé(e) et lisez (ou relisez) "
Vers l'Unique" - quel titre, Doux Jésus ! Et bonne lecture à toutes et à tous - qui sait ? ;o)