Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas : Souvenirs

Pourquoi cette poussée du marxisme dans tous les domaines ? Parce que le monde venait de traverser les pires horreurs qu'on connaisse à travers les quarante ou cinquante siècles d'histoire dont quelque souvenir est parvenu jusqu'à nous. Je ne veux pas dire que nous prenions le communisme pour remède topique à Auschwitz et à Hiroshima, mais que le climat était à l'extrémisme ; changer la société avait au moins le mérite d'être un remède de cheval.

Avoir vingt ans en 1950, c'était appartenir à une génération qui savait que la connaissance historique posait des questions philosophiques ; chose qu'ignoraient ceux de la génération précédente, qui étaient nos maîtres ou croyaient l'être et dont la naïveté méthodologique était totale.

La recherche n'est pas une responsabilité, mais un plaisir.

(à propos de l'érudition) : elle est un jeu de vérité amusant, qui découvre, déchiffre, explique ou explicite l'inconnu ou le méconnu ; elle est donc prête à croire que toute 'vérité' reçue a des chances d'être fausse, au risque de déplaire, de mettre l'opinion au défi. (p. 15)

La sexualité aura été successivement le plaisir chez les païens, la chair pour les chrétiens, le sexe pour nous. (p. 228)

J'ai eu une femme et un enfant, je ne les ai plus ; j'ai su des choses, je les ai oubliées. Risquons le ridicule de faire un bilan de presque un siècle de vie. Avec le nazisme, j'ai entrevu le chapitre le plus épouvantable des cinquante siècles d'histoire dont quelque souvenir est parvenu jusqu'à nous. J'ai commencé à assister, en matière sexuelle et familiale, à une mutation de taille anthropologique ; autre mutation lourde de conséquences, l'allongement de la durée de vie. J'ai vu les débuts de la fin de l'illettrisme dans toute l'espèce humaine et la diffusion de l'informatique. J'ai vu aussi les commencements de l'égalité entre tous les troupeaux humains et ceux de l'égalité des sexes, je l'espère du moins. Et le début d'un changement climatique. Je n'ose imaginer ce qui peut sortir de la biologie moléculaire, de la modification génétique des organismes et de la gestation artificielle, que ce soit bon ou mauvais. (p. 251)

À chaque époque (l'homme) est le prisonnier et la dupe de ses vérités du moment. (p. 230)

À la Sorbonne, à l'Intitut de latin auquel j'appartenais, un de mes supérieurs, le professeur Pierre Boyancé, avait ma prédilection. (...) C'était un vrai savant, modeste, intelligent, désintéressé, ayant de l'Antiquité une vue pénétrante et juste.C'était un vrai latiniste, puisqu'il était aussi helléniste et que la culture romaine est un rejeton de la culture grecque (...). (p. 143)

Les trois guerres franco-allemandes ont connu le même phénomène social. (...). La 'collaboration' des classes privilégiées est un des grands ressorts de l'histoire ; elle explique notamment la conquête romaine du Bassin méditerranéen. (p 17)

Je suis partisan de ce vouvoiement avec toute femme qui vous a accordé ses faveurs ; il prouve que vous ne la respectez que davantage. Ce "vous" est donc un manifeste féministe, mais ce n'est pas que cela : c'est comme un "je t'aime" qui accompagne tacitement la phrase la plus banale et qui chauffe la bouche au passage. En outre, il n'exclut nullement un soudain passage au "tu", qui prend alors une forte valeur expressive. Je ne saurais donc trop suggérer à mon lecteur de pratiquer, s'il ne le fait déjà, ce "vouvoiement de l'aimée", d'enrichir ainsi la langue française et de laisser les nigauds et les envieux y voir du snobisme.