Merci à Masse critique privilégiée et aux éditions du Sous-sol pour l'envoi de ce roman qui a provoqué chez moi des ressentis contradictoires entre ce que j'ai aimé et ce qui m'a rebutée.
Irène , la cinquantaine séduisante, vient de perdre Marcelo son mari victime d'un cancer. le deuil est terrible tant le couple s'était enfermé dans un amour hiératique, élevé au rang de mythe. Il y a quelque chose de Belle du Seigneur dans cette histoire de passion amoureuse, un peu d'Ariane chez
Irène.
Après vingt ans de vie commune, le désir ne s'est jamais émoussé ni chez l'un ni chez l'autre et le couple jouissait d'un bonheur absolu.
"Sans lui, elle est perdue. Ils se sont tant aimés. Il n'y avait pas d'équivalent. Ils ne voyaient plus personne. Leur union leur suffisait."
Sur les traces de leur passé commun, elle quitte Madrid dans un cabriolet BMW pour rencontrer des partenaires sexuels dans des hôtels de luxe au bord de la Méditerranée. En effet, à chaque fois qu'elle atteint l'orgasme, elle voit apparaître Marce en haut d'un escalier qui lui sourit avant de s'évanouir dans les flammes. C'est donc pour le retrouver qu'elle collectionne amants et amantes de passage, sans jamais s'attacher.
En opposition avec l'univers du luxe et l'exigence de beauté qui anime l'héroïne, l'esprit kitsch de cette résurrection m'a beaucoup amusée, tout comme le décalage entre la vie d'esthéte décrite par
Irène et la profession du couple. Tous deux possèdent un magasin de meubles, ironiquement appelé "Meubles pour tous" et se montrent passionnés par ce commerce, surtout Marcelo qui dans sa haine d'Ikea, exhortait ses clients à choisir ses meubles " pour faire en sorte que l'amour d'autrui se change en matière, en bois si possible des essences nobles et non des succédanés inhospitaliers, plastifiés, ignobles."
Si j'ai aimé ces dissonnances, j'ai aussi apprécié la construction du récit qui révèle des contradictions de plus en plus flagrantes dans le récit d'
Irène à mesure que se déroule la narration. Peu à peu la perfection se fissure, des abîmes de noirceur se découvrent et le récit de l'amour jusqu'à la mort vacille. Même s'il est sans grande surprise, le coup de théâtre final va obliger le lecteur à reconsidérer tout ce qu'il a appris d'elle.
Certains romans semblent trop courts et on aurait aimé que l'auteur en dise davantage. D'autres naissent d'une idée intéressante et tournent en boucle sur cette seule idée. le roman de
Manuel Vilas aurait pu être une excellente nouvelle mais se révèle un roman décevant, monotone et répétitif.
Ainsi l'usage de la répétition, lorsqu'elle est stylistique, peut donner une poésie certaine à l'écriture. Mais lorsqu'elle est narrative, elle devient rapidement lourde et gratuite. La tendance de l'auteur à utiliser cette technique donne au récit une pesanteur et un manque d'authenticité qui nuit à la fluidité du monologue d'
Irène.
Par ailleurs le langage qui se veut poétique et qui multiplie les références et les citations de poètes, m'a souvent semblé plat et vaguement mièvre ( " Si le bâteau avait transporté des fleurs et non de l'artillerie, il n'aurait pas coulé." ).
Les comparaisons entre les vers cités et le style de Vilas penchent plutôt en sa défaveur tant ses phrases sont généralement courtes et saccadées.
Enfin, l'éloge de la richesse est totalement insupportable et ne peut se justifier uniquement dans le personnage d'
Irène. On perçoit chez l'auteur une célébration infantile des hôtels de luxe, des lits queen size et des grosses cylindrées.
Ses personnages justifient ainsi leurs modes de vie : "Le luxe symbolise avant tout le désir d'une vie plus intense, ce qui lui semblait légitime."
Les clichés se multiplient, diffusant l'idée que la beauté, la passion et les grands sentiments ne peuvent se vivre que dans l'opulence.
L'attachement aux biens matériels, symbolisé par l'amour des montres de marque, se décline dans un placement de produits qui n'a rien à voir avec la démarche parodique de
Bret Easton Ellis.
L'auteur va jusqu'à prêter une intention politique héroïque à celle qui se révolte contre un ordre établi bien trop populaire par son refus d'emprunter un taxi bas de gamme. Et son premier amant qui lui conseille de suivre l'exemple d'Aristote Onassis et autres puissants de ce monde pour atteindre l'excellence, signifie également que la beauté est réservée à ceux qui ont de l'argent.
Avec cette même naïveté bourgeoise, il semble suggérer que le plaisir et la joie nécessitent un environnement luxueux pour se développer.
En condensant l'histoire d'
Irène sous forme de nouvelle, l'auteur aurait peut-être pu éviter répétitions et clichés fâcheux pour donner plus de sens à l'histoire d'une femme qui réinvente sa vie.