Jeanne offrira sa chair et toute la foi qu'elle a gardées, pour que cet homme sache revenir, elle, Jeanne, elle sa chambre d'écho. Ils seront deux grands oiseaux d'eau aux gorges tressées.
Elle inventera. Il l'aidera. Ils sauront comment faire. Les sons, les mots viendront peut-être. Pour commencer, ils iront se dire par la peau.
Lorsqu’elle travaille, Jeanne se transforme en une créature incroyablement maîtrisée, dont l’habileté concentrée, la minutie déliée ensorcelle ceux qui ont eu l’occasion de la voir à l’ouvrage. Elle est capable de fabriquer neuf cents pièces de coucous en une seule journée. Sous ses doigts apparaissent d’invraisemblables roses thé à l’opulence de laitues, dont la houle des pétales explose, entachée d’un scintillement de sang, de groseille.
Aussitôt après son admission à l’hôpital du Val-de-Grâce, Toussaint avait envoya une courte lettre à sa femme.
Je veux que tu viennes pas.
C’est ce qu’il avait écrit.
C’était clair, sans appel. Ça n’attendait pas de réponse, et d’ailleurs Jeanne n’en avait pas donné.
Elle pose les mains sur sa figure, aspire à travers ses doigts l'odeur humide du froid de Paris mêlée à la sienne. Elle se demande si toutes les femmes de combattants en sont là, aujourd'hui. A respirer leur peau en guettant un mari remplacé par un inconnu. Si son sort est particulier, pire que les autres. Ou bien si elle devrait s'estimer heureuse qu'il en soit revenu, Toussaint, même avec la figure invisible."
Il avait informé sa femme de ce qu'il voulait, non de ce qu'il ne voulait pas. Je veux que tu viennes pas. Elle se torturait avec cette phrase. Est-ce qu'il y avait avait un sens caché dans la lettre ? Comment faisait ce pas pour la frapper au visage, avec une telle puissance ?
Et de tous les mots rangés dans la boîte en fer, ne lui revenaient que ceux-là, les derniers. Il y en avait portant tant d'autres, empilés dans l'ombre à l'odeur de rouille. Ils ne disaient rien, en vérité, les autres mots, je racontaient rien. Mais ils étaient là. Ma petite chérie, ils disaient donc.
Ils disaient Je t'écris. Ils disaient Je t'écris pour te donner de mes nouvelles, et n'en donnaient jamais vraiment.