J'ai découvert dans un premier temps le Călin Vlasie éditeur de premier rang en Roumanie mais de toute évidence abusé par une trop grande confiance accordée à de trop vieilles relations françaises et plutôt ignorant d'un marché du livre à prix unique (ce n'est pas le cas en Roumanie) qui, s'il se porte encore bien, ne semble pas moins saturé. Son incompréhension de la situation réelle des traductions du roumain, pour intrigante qu'elle soit, fut mon guide vers son autre casquette de poète.
J'ai glané dans un premier temps plusieurs échantillons ici et là sur la toile ou bien chez l'un ou l'autre critique littéraire et enclenché le pénible parcours du combattant qui consiste à se procurer un livre traduit du roumain depuis une dizaine d'années. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de cette plaquette bilingue. Je devrais me consoler à l'aune du vieil adage "quand on aime on ne compte pas". Mais tout de même. Comment aimer quand il faut compter? Sur la traduction, je dirais d'emblée que je peux affirmer haut et fort que le traducteur semble avoir souvent souffert. À vrai dire, ce n'est pas elle qui m'intéresse ici, mais la vision du monde d'un poète devenu homme d'affaire éligible à être cité par Forbes.
Selon des éléments biographiques largement disponibles, le poète a souhaité accompagner divers handicaps et s'est intéressé de près au fonctionnement du cerveau dans le sens le plus large. D'où l'étonnante surprise de la fraîcheur de ces vers que je trouve incandescents. Dans "Camouflage", un mystérieux paysage flamand devient le prétexte pour ne pas dire la toile de fond à des liaisons insaisissables avec la compréhension de notre âme. "Mais je continue à regarder ce tableau qui recouvre un trou béant dans le mur". Contemplation quasi-ontologique du néant auquel il faut résister, coûte que coûte. Heureusement il y a Marie (p. 46/47) et son étonnante ombre de feuille imaginaire. le poète, certainement amoureux, ne renaît plus de ses cendres, tel Phénix (le groupe de rock qui a accompagné mon adolescence enfumée par des cigarettes Carpați, ne doit pas être étranger à Călin Vlasie) mais de son frisson de liège flotteur (bouée de secours) ou bien radeau (selon le choix du lecteur qui voit avant tout que cela tient à la surface sans sombrer) aux liens serrés, des arbres pour son hélice du quotidien. Quelle sublime déclaration d'amour à celle dont on veut être l'ombre! L'inséparable partenaire se meut solidairement dans cette zone de lutte pas si marginale avec « les contours qui veulent soumettre ». le mystère des neurones reste entier et le poème « une homéostasie infinie » (p. 8) ressentie comme cataclysme lorsque le vers ne veut plus venir chez moi (entendre par là, m'habiter, me hanter) jusqu'au plus profond de mon être (dommage de traduire ființa par personne plutôt que par « être »).
J'ignore si Călin Vlasie réussira à faire parler de lui comme institution incontournable du livre roumain qui doit pouvoir un jour s'exporter convenablement, mais le poète a littéralement achevé ma conquête par son cerveau poétique qui crie ainsi (poème d'un autre recueil) :
[ţipătul]
ţipătul strident şi sinistru
e al unui păun
cocoţat pe o coloană
pictată proaspăt
în labirintul de la Knossos
în ghidul colorat
imprimat impecabil
descopăr ochii tăi
îngroziţi de spaimă.
căldura e un semn al eternităţii
căldura stridentă şi sinistră.
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Le compte-rendu de lecture de Tandarica avait attiré mon attention, aussi étais-je allé chercher cet ouvrage à la bibliothèque d'Evry.
Mon impression est cependant plus mitigée : comme je n'ai pas de connaissances comparables de la langue roumaine, peut-être s'agit-il de la traduction qui peine à transmettre l'incandescence du poète. Je ne retrouve pas toujours mes mots, à la consultation de mon vieux dictionnaire franco-roumain, comme le nom qui signifie "être" (ființă) en roumain, traduit par "personne". Toujours est-il que je reste un peu sur ma faim.
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Rezistența la neant
Vibrare a numerelor.
Muzeu de aer rar.
Sîngele anume
este făcut
pentru a mă lansa
într-un dans alb
o cută în cer.
Incertirudine, o, incertitudine!
Aveam un chip care semăna
cu o sămînță
rezistînd la neant.
Să mă renasc nu știu.
Doar dacă sîngele
compus ar fi din litere.
Résistance au néant
Vibration des nombres.
Musée d'air raréfié.
Le sang est fait
exprès pour
me lancer dans
une danse blanche
un pli sur le ciel.
Incertitude, ô, incertitude !
J'avais une tête qui ressemblait
à une graine
résistant au néant.
Renaître je ne sais pas.
Mais seulement si mon sang
était fait de lettres.
(p. 42/43)
Glorie
Intrasem în mine
Adînc în mine
Mă baricadasem în mine
Și vorbeam
Vorbeam tare în cladirea
cu infinite săli
prin care treceam
în viteză în mare viteză
Nu mă vedea nimeni
Nu mă chema nimeni
Vorbeam cu mine însumi
enervat de muțenia zidurilor
(p. 82)
Unda
Muta jucăușa undă trecu
prin tine cu fîșîit
de abur purpuriu.
Luă forma ta și muta
jucăușa începu din
nou să facă semne
infinitului.
L'onde
Espiègle muette l'onde est passée/en toi avec un bruissement/ de vapeur purpurine.
Elle a pris ta forme et la muette/l'espiègle et s'est remise/ à faire de signes/ en direction de l'infini.
(p. 10/11)
eram
mort,
acum
sînt
viu
dar
nu
mă
mai
pot
întoarce
la
voi.
j'étais
mort,
maintenant
je suis
vivant
mais
je
ne
peux
plus
revenir
parmi
vous.
(p. 36/37)
de
s-ar
sfîrși
odată
putredul
zgomot
să
aud
duhul !
s'il
s'arrêtait
enfin
pourri
ce bruit
que je puisse
entendre
l'esprit !
(p. 26-27)