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DU TRAUMA À L'ÉCRITURE
Un point de vue sur la création littéraire de Herta MüllerRadu Clit
Études Psychanalytiques
Décelé dans la création littéraire de Herta Müller, le rapport du trauma avec l'écriture se décline différemment en fonction des quatre types de prose qui sont isolés dans la création de la lauréate du prix Nobel de littérature 2009. Dans son volume de début, le trauma est ou physique ou subi par des animaux. Les romans qui décrivent la vie quotidienne sous le régime communiste présentent des traumas infligés par les autorités de l'état. Dans le camp de travail soviétique, le trauma est intégré dans le cadre existentiel. Les essais de l'écrivaine ouvrent la perspective autobiographique et montrent que tous les traumas présentés ont été subis ou par elle, ou par sa famille.
Radu Clit a déjà publié un livre et plusieurs études sur les effets psychiques des phénomènes totalitaires. Psychologue clinicien, psychanalyste, psychothérapeute de groupe, il ajoute cette fois à l'approche interdisciplinaire la grille d'analyse littéraire, ce qui lui permet d'affiner certains points de vue avancés précédemment.
Broché - format : 13,5 x 21,5 cm
ISBN : 978-2-343-14532-7 ? 16 mai 2018 ? 230 pages
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Je n'aimais pas aller voir la tombe de Lilli. J'aurais supporté Lilli et moi, mais pas les fleurs rouges de sa tombe. Mon beau-père les qualifiait de tradescantias. Au marché, on les appelait des Viennoises, et pour moi c'étaient des sanguinaires. Rouges étaient les tiges, les feuilles et les fleurs, chaque plante était jusqu'aux extrémités une poignée de lambeaux de chair. Lilli les nourrissait et moi, je me plaçais à ses pieds et me fourrais les doigts dans la bouche pour ne pas claquer les dents.
Je crois que j'ai plus de secrets pour Paul qu'il n'en a pour moi. Un jour, Lilli a dit que parler des secrets ne les supprime pas, et que l'on peut en raconter non pas le noyau, mais seulement la peau. Peut-être qu'avec Lilli, si je ne dissimule rien, j'arrive tout de même au noyau.
J’étais épouvantée par l’aridité de la langue du parti, par ses formules toutes faites qui abêtissaient les gens. Cette langue avait littéralement perdu la tête […] De la même façon, j’étais en permanence renversée par la beauté de la langue courante, par la concision de ses images magiques.
(au sujet de sa langue maternelle, le roumain)
La diseuse de prières chante dans l'oreille du curé. L'encens lui écrase la bouche. Béate, elle met tant d'obstination à chanter que le blanc de son œil s'agrandit démesurément et ruisselle lentement sur ses pupilles.
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Cette nuit-là, le sommeil l'avait emportée si loin qu'aucun rêve ne pouvait la trouver.
Mon trésor le plus lourd est ma force de travail. Cette inversion du travail forcé est un échange salvateur. J'ai en moi un forcené de la grâce qui est un parent de l'ange de la faim. Il sait le moyen de dresser tous les autres trésors. Il me monte au cerveau, me pousse à être envoûté par la contrainte, car j'ai peur d'être libre.
Ainsi va le monde : comme on n'y était pour rien, personne n'y pouvait rien.
« Les filles de Roumanie, chante-t-elle, sont tendres comme les fleurs des prés au mois de mai. »
Mon crâne est un terrain, celui d'un camp, je ne peux pas en parler autrement.
« Nous étions loin de nous douter qu’une faim épouvantable allait bientôt nous tomber dessus.
Comment errer de par le monde quand on n’a plus rien à dire de soi , sinon qu’on a faim. ?
On n’a plus que ça en tête Quand le palais ne supporte plus la faim, il tiraille comme la peau d’un lièvre fraîchement dépouillé qui serait tendue derrière le visage pour y sécher. Les joues racornies se couvrent d’un pâle duvet.
Quand la chair a disparu , porter ses os devient un fardeau qui vous enfonce dans le sol.... »