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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Petites soeurs de la onzième nuit, ne pleurez pas, sortez des eaux, frappez !
(Maria Soudaïeva, "Slogans", n. 296)

Pleurer n'est pas leur genre. Prêtes à frapper, elles sortent en cachette des ténèbres. Elles passent par la fenêtre d'un immeuble délabré de la rue qu'on ne trouve plus sur aucune carte. L'une après l'autre... elles s'écrasent en bas, se relèvent, et partent en mission. Elles sont belles, entraînées pour la lutte finale, et elles parlent toutes comme des charretières.
Les filles de Monroe.

Mais quelle "lutte finale" ?
Cette dernière excursion au Volodinestan post-exotique était peut-être la plus "noire" de toutes celles que j'ai pu faire. Non seulement à cause de l'obscurité omniprésente, dissipée tout au plus par la faible lueur des ampoules à basse consommation, qui plongent le récit dans la pénombre où on distingue à peine le vrai du faux, les choses mortes des choses vivantes. Ni à cause du déluge permanent qui s'abat sur les pavillons d'un vaste camp abandonné, sur la végétation mutante et les rails effondrés où aucun tramway n'est passé depuis la chute de la "Deuxième Union Soviétique", il y a quelques trois cents ans. C'est surtout à cause d'un sentiment de vanité absolue, généré par le récit ; cette éternelle question "à quoi bon ?".
A quoi bon s'engager pour une cause, ou même tenter de survivre dans un monde qui n'existe pour ainsi dire plus, où on doit fouiller les caves et les poches des cadavres si on veut encore trouver la dernière allumette pour allumer la dernière clope ? Où la communication avec les vivants est aussi pénible qu'avec les morts, et où on ne sait même pas dans quelle catégorie ranger notre interlocuteur, surtout si son manteau dégage une indescriptible odeur de terre et de mygale ? Où tout ce qui reste peut facilement se départager entre l'énorme hôpital psychiatrique, "La maison des cosmonautes" désaffectée, les bâtiments du Parti, et quelques immeubles obscurs habités par les dissidents et les morts ?
Et pourtant, on tente.

Le narrateur schizophrène, Breton, vivote dans une chambre de l'hôpital. Difficile à dire s'il est seul ou s'ils sont deux, en tout cas, ce dédoublement est pratique pour jouer aux échecs, quand il n'est pas en train de surveiller ladite fenêtre de l'inexistante rue Dellwo, et guetter l'apparition des filles de Monroe. Elles sont envoyées depuis "l'espace noir" par un ancien dissident exécuté par le régime, afin de "rétablir la logique du Parti". Parmi elles, Rebecca Rausch, dont Breton était autrefois "follement amoureux" ; il n'est donc pas étonnant qu'il va jouer un double jeu, une fois forcé par le Parti (ou ce qui en reste encore) de localiser les intruses grâce à sa capacité de "voir les songes des morts".
Mais quel "Parti", je vous prie ?
Ce monde ne semble abriter plus rien, à part les morts-vivants, les malades mentaux et quelques hauts fonctionnaires avec leurs sbires qui jouent aux petits soldats en se berçant encore d'illusions sur l'avenir radieux, ce qui donne au récit - malgré sa noirceur - une inimitable dimension burlesque.
Les personnages (qui semblent parfois interchangeables) pataugent sans cesse sous la flotte tiède, dans un accoutrement comique, entre la rue Zinkorine, le secteur Baltimore, la place Dadirboukian et la rue Tolgosane dans le dessein de rétablir l'odre dans le chaos, et on ne peut que sourire des vaines tentatives de séduction de l'énorme Dame Patmos, ou de la démarche de Kaytel pour renouer avec les pratiques chamaniques. Les armes semblent aussi inefficaces que les amulettes de plumes, comme le dirait le couple mort peu causant qui commente le remue-ménage sur l'escalier de l'immeuble pisseux de la rue Tolgosane avec un détachement cynique propre à son état.
Ce sentiment de vanité est encore exacerbé par l'issue de la mission des filles de Monroe, et par l'apparition finale de Monroe en personne, et tout est mené au paroxysme par la liste des "343 fractions du Parti au temps de sa gloire", tellement hétéroclite qu'on se pose la question légitime quant à la véritable utilité du Parti en tant que "parti".

Comme il se doit, le récit est évidemment divisé en 7 chapitres organisés en 49 parties, et si on se demande s'il sert vraiment à quelque chose dans le corpus post-exotique, la réponse est probablement "oui".
Je n'ai pas la moindre idée si l'intention de Volodine était de doter son roman d'une quelconque "morale". Mais dans n'importe quelle autre histoire post-apocalyptique, les efforts des survivants ont encore un certain sens. le monde d'avant n'est plus, mais il reste peut-être encore une parcelle d'espoir. "Les filles de Monroe" sont une rare excursion littéraire dans ce qu'on pourrait appeler le "post-post-apo", où le "vanitas vanitatum, et omnia vanitas" prend vraiment tout son sens. Pensons-y, à l'occasion. 4/5, pour le mélange très réussi du burlesque, du sérieux et du sinistre, et pour les qualités visuelles et olfactives du roman.
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Si je n'avais pas regardé la Grande Librairie, je n'aurais pas rencontré cet auteur déjanté , unique pour inventer un univers concentrationnaire pareil.
On se croirait dans un mauvais rêve chez les fous et un Parti puissant qui malgré ses 343 fractions est en perdition et tente de se perpétuer en empêchant un dissident mort de faire revenir son commando de filles dans le jeu. Tout est confus et les genres se mélangent dans l'absurde. Mort ou vivant, personnage double ou schizophrène, territoire réel ou imaginé, technologie avancé ou chamanisme télépathique. le vocabulaire s'invente, toutes les créativités sont permises et on sourit souvent.

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Le fidèle de Volodine retrouvera dans ce nouveau roman tout l'univers de l'auteur : le système totalitaire, la fin du monde, le noir, et des personnages accablés par leur destin et l'imminence de leur fin. Parfois aussi, il s'amusera des écarts loin des sentiers de la logique, qui sont finalement bien moins nombreux que dans ses autres ouvrages plus expérimentaux, drôles et fantaisistes.


L'humanité est quasi éteinte. Il ne reste plus sur terre qu'un vaste camp de concentration communiste, qui fait aussi office d'asile psychiatrique, aux trois quarts vide, où survit un schizophrène nommé Breton, doublé d'un narrateur qui ne se distingue pas toujours de lui. Monroe, dissident exécuté par le Parti, envoie depuis l'au-delà des filles mortes entraînées à des opérations de commando, pour renverser le Comité Central, exterminer les "traîtres", opérer les purges nécessaires, autrement dit, remettre L Histoire sur ses rails marxistes-léninistes. Qu'il n'y ait presque plus personne de vivant sur terre ne semble pas un obstacle. A ce titre, le grand discours politique exalté d'une des Filles de Monroe, adressé aux masses, et déclamé sur une place totalement vide, vaut le détour. Les quelques rares survivants de la hiérarchie et de la police du Parti, évidemment, traquent ces filles de Monroe, surveillent et maltraitent le narrateur qui seul est capable de les repérer par des méthodes surnaturelles, mais on est dans Volodine, sous le signe de l'échec et du ratage : aucun des plans et projets des rares personnages n'aboutit à quoi que ce soit. Ce n'est pas une surprise.


Sombre, sordide, pluvieux, illogique, l'univers de l'auteur s'enrichit de ce nouveau roman plus "sage" dans sa conception et sa composition. Si j'osais un avis personnel, je dirais que l'on peut se passer de cette lecture, mais cela n'engage que moi.
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Encore une fois Volodine entraîne son lecteur dans l'un de cauchemars récurrents , univers dystopique post soviétique , tout d'obscurité pluvieuse . Des cataclysmes (guerre,épidémie ?) ont réduit le monde à un hôpital psychiatrique où les débris d'un Parti obsolète achèvent de se décomposer en luttes de fractions . Les règles sont celles du rêve , personnages aux identités flottantes , répétition des actions , abolition de la logique sous le patronage d'un certain Monroe , sorte de Godot politique revenu des limbes pour purger le Parti. La capacité de l'auteur à nous entraîner dans ses visions par la grâce d'un langage hypnotique et la cohérence de son oeuvre , livre après livre, continuent à me fasciner .
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J'ai découvert l'univers de Volodine en 2014 en achetant Dondog, originalement paru en 2002. Je l'ai dévoré dans le Thalys, en route pour mon pays d'origine. Pour Les filles de Monroe, paru en août 2021, j'ai laissé passer moins de temps. Tant mieux, car j'ai beaucoup aimé .
Il est particulier et pas très joyeux, ce monde décrit par Volodine. de connotation post-communiste, les morts y communiquent avec les vivants, les environs sont gris et puants, rêve et réalité s'interchangent, et à vrai dire il ne se passe en général pas grand-chose. Deux hommes regardent des filles habillées en noir qui déboulent dans un complexe psychiatrique où ils campent, et ces filles-là sont recherchée par la police du parti. Et puis il pleut aussi, presque tout le temps. le narrateur a peut-être un double, il est à la fois proie et de prédateur.
De tous les livres de Volodine que j'ai lus, Les filles de Monroe est peut-être le plus accessible. Il y a des moments d'humour et des clins d'oeil à notre monde à nous,lecteurs (en particulier dans les '343 fractions du Parti au temps de sa gloire' à la fin). C'est intensément surréaliste, ce n'est pas pour rien que dans les personnages principaux il y a au moins un 'Breton'.
La fin fait beaucoup penser à 'En attendant Godot'. Et surtout, il y a la nostalgie ressentie d'un monde qui aurait pu être tellement meilleur que celui dans lequel nous vivons, finalement.
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Coup de coeur.

J'ai entamé cette lecture sans jamais avoir lu ni même entendu parlé d'Antoine Volodine (shame shame shame). Alors, forcément, au début j'étais un peu perturbée. Puis, après avoir accepter cette perturbation, je l'ai dévoré d'une seule traite. Et je me suis penché sur l'Oeuvre du monsieur et sur le personnage. Et tout est devenu un peu plus clair (ou un peu moins). Mais j'ai été encore plus emballé.
Plongez vous dedans si vous ne connaissez pas cet auteur, et si vous le connaissez déjà, foncez quand même.
C'est un peu difficile de parler de ce livre.

Je l'ai terminé depuis une bonne semaine et je ne le publiais pas car je ne savais pas ce que je pourrais en dire tellement il y a de choses à dire.
Teasing : pluie diluvienne en permanence. Post-post apocalyptique. Flics véreux. Cité psychiatrique. Pluie. Narrateur schizophrène. Fin du monde imminente. Lenteur. Pluie. Frontière entre les morts et les vivants rompue. Voyage dans l'eau delà. Shaman.Écriture extra sensorielle. Pluie. Et Monroe, qui aurait pu s'appeler Godot.
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