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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans un monde réduit à l'environnement immédiat d'un hôpital psychiatrique géant, comment aider les filles du dissident Monroe, revenues en commandos de l'au-delà ? le post-exotisme toujours au sommet de son art étrange.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/09/30/note-de-lecture-les-filles-de-monroe-antoine-volodine/

Depuis 1985 et la fabuleuse « Biographie comparée de Jorian Murgrave », fondatrice, l'édifice post-exotique se déploie patiemment pour notre plus grande joie savamment mâtinée de songe et de sombre. À la 45ème occurrence (alors que la fin annoncée de ce voyage-là, avec la 49ème pierre, qui sera intitulée, dit-on, « Retour au goudron », approche doucement), « Les filles de Monroe », publié en août 2021 au Seuil, renouvelle une fois de plus le premier miracle : s'inscrire dans une profonde cohérence, dans une implacable continuité, aux côtés des bylines russes modernisées d'Elli Kronauer (dont la voix s'est tue depuis 2001, avec « Mikhaïlo Potyk et Mariya la très-blanche mouette »), aux côtés des expérimentations parfois radicales de Lutz Bassmann (qui avait su s'échapper du « Post-exotisme en dix leçons, leçon onze » pour devenir auteur publié à part entière avec ses « Haïkus de prison » de 2008), aux côtés des tendresses étranges d'un absurde pourtant habité de sens et de poésie produites par Manuela Draeger lorsqu'elle prétend écrire « pour les enfants » (à partir de son « Pendant la boule bleue » de 2002) et de ses ajustements de haute volée dans des environnements beaucoup plus durs, lorsqu'elle se résout à interpeller plus directement les réputés adultes (tout récemment, par exemple, avec « Kree », dont la guerrière éponyme apparaîtra naturellement comme la plus directe cousine des « Filles de Monroe »), et aux côtés enfin des 21 textes précédents attribués à Antoine Volodine lui-même, et simultanément, toujours proposer un ajout, une surprise, une nécessité nouvelle. de la connivence éventuelle avec la lectrice ou le lecteur qui cheminerait depuis un certain temps dans l'oeuvre, certes, mais jamais, au grand jamais, de redite, d'affèterie ou d'ornementation gratuite. Quant au deuxième miracle, il ne peut apparaître que dans une tentation de littérature comparée intérieure à l'édifice lui-même : pour qui cherche un point d'entrée en post-exotisme, chacun des 45 textes actuels peut endosser ce rôle vital, au prix parfois de menues contorsions revigorantes, et « Les filles de Monroe », crépusculaire en diable, ne fait pas exception à ce principe, bien au contraire.

Dans un hôpital entièrement (ou partiellement) désaffecté, où les pavillons abandonnés (ou encore en service) hébergent divers types de malades, physiques, mentaux (ou prétendus tels), sous l'oeil sévère mais pas toujours clairvoyant de ce qui reste du Parti, de ses hiérarques, de ses fractions officielles, officieuses ou secrètes (les noms de ces 343 fractions « au temps de la gloire du Parti » seront fournis en annexe de l'ouvrage) et de ses sbires, efficaces ou non, disciplinés ou plus brouillons, Breton, l'un des pensionnaires – et on ne saura pas véritablement à quel titre il l'est -, avec son double inséparable, est forcé d'observer et éventuellement de rapporter, sous la pression policière, l'infiltration qu'il est seul à pouvoir détecter, par don ou par savoir-opérer d'équipement spécialisé, de combattantes venues de l'au-delà, envoyées par le dissident Monroe, ex-ponte du Parti jadis exécuté, combattantes infiltrées ici, donc, pour on ne sait exactement quelles missions inquiétantes. Un somptueux et délicat jeu du chat et de la souris s'engage ainsi entre l'observateur privilégié qu'est Breton, quelques comparses équivalents-guébistes méticuleusement malodorants que l'on croit pouvoir appeler Bronks ou Strummheim, un « limier morose qui fouinait parfois dans les dortoirs, seul ou accompagné par des blouses blanches ou des militaires du Parti » nommé Kaytel, une haut gradée du Parti répondant au nom ou au surnom de Dame Patmos, un informateur ambigu de la rue Tolgosane, également connu comme Borgmeister le chamane, quelques morts presque vivants inconfortablement installés dans l'escalier d'un immeuble décrépit, et, bien entendu, plusieurs filles de Monroe en cours d'infiltration.

Exploitant pour les transfigurer encore certains motifs privilégiés du post-exotisme, notamment celui de l'interrogatoire, goûté si l'on ose dire, avec d'autres types de saveurs, dans « Biographie comparée de Jorian Murgrave » bien sûr, mais aussi dans « Rituel du mépris », dans « le nom des singes » ou dans « le port intérieur », par exemple », « Les filles de Monroe » déploie une théâtralité particulière. Dans son vaste et captivant essai de 2007 (« Volodine post-exotique »), Lionel Ruffel insistait sur l'importance des dispositifs scénographiques utilisés par le post-exotisme, qu'ils soient dissimulés ou au contraire jetés en pleine lumière (blafarde ou non) : ici, sous la pluie ruisselante et parmi les odeurs peu engageantes de « brasserie pour petits budgets, de sous-sols et de tégénaires en périodes de ponte, de vieux coffres de voiture, de locaux industriels reconvertis en morgue, de mygales et cambouis, de tarentules et beignets huileux », Antoine Volodine nous offre, tout particulièrement dans certain escalier d'immeuble semi-abandonné, certaines des scènes les plus subtilement beckettiennes de son oeuvre. Déjouant comme toujours les attentes (ce qui est à nouveau une performance en soi après environ 7 000 pages de post-exotisme, tous hétéronymes confondus) de la lectrice ou du lecteur, il crée sous nos yeux, parmi les pratiques chamaniques réelles et métaphoriques, parmi les reptations des combattantes et parmi les itinérances troubles de ce qui reste du Parti et de sa structure, une forme à nouveau mutante d'humour du désastre, dont la précieuse annexe en forme de liste de fractions partisanes (j'y compte personnellement parmi mes préférées les « Barrages contre les Pacifiques », la Fraction « Feu nourri », le Bloc « Train blindé » ou les « Ni Diable Ni Détails ») fournit une quintessence proprement hilarante.

Comme le sloganisait la plus formidable compagne de route du post-exotisme, Maria Soudaïeva : « Si tu ne peux plus chuchoter avec les yeux, harangue au tambour ! »
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Extrait de ma chronique :

"Seulement, comme dans le Samuel Beckett de Premier amour, le romantisme ne sera pas au rendez-vous, et ni Kaytel ni Breton ne parviendront à ranimer les braises de leurs amours mortes, le premier par réalisme, le deuxième par idéalisme (je simplifie, bien sûr) : comme le souligne Maurice Mourier, Antoine Volodine parle avant tout de la perte des illusions, aussi bien sur le plan personnel que politique (l'un pouvant se voir comme une image de l'autre).


Au fond, Les Filles de Monroe, c'est Vertigo d'Hitchcock revu et corrigé par Samuel Beckett (voir les chroniques d'Hugues de la librairie Charybde et de Philippe Chevilley) et Frantz Kafka (l'arrestation arbitraire de Breton par des hommes en gabardine, comme au début du Procès) : comme Scottie, Breton ne parviendra pas à conserver son amour revenu D'entre les morts (titre du roman de Boileau-Narcejac qui a inspiré Hitchcock, rappelons-le)."


Lien : https://weirdaholic.blogspot..
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