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Critique de JulienDjeuks


Vuillard interroge la radicalité folle de Thomas Müntzer. En re-racontant son histoire, en transformant le personnage historique en personnage de fiction dont on doit penser les actions, expliquer les choix et décrire les mouvements, peut-être obtiendra-t-on les clés pour comprendre la genèse d'un enragé révolutionnaire ? le récit relève d'un genre qu'on pourrait appeler "bio-fiction", sur le modèle par exemple des Vies imaginaires de Marcel Schwob. L'enjeu principal est de remplir les interstices du récit événementiel tiré des sources historiques, de combler, d'expliquer les causes et motivations des personnages par une certaine déduction sociale, psychologique, etc. Il y a une certaine ressemblance avec le processus de Zola, exposé dans son essai le Roman expérimental, mais inversé, car ce dernier l'applique à des personnages de fiction, donnés, en vue de déduire les événements qui vont logiquement se dérouler. Dans une démarche littéraire semblable, Jérôme Ferrari dans le Principe, cherche à comprendre la position trouble du physicien Heisenberg pendant l'Allemagne nazie, et tente de reconstituer ce qu'ont pu être ses questionnements philosophiques, ses dilemmes…

Le récit entre finalement peu dans la fiction. le narrateur s'imagine quelques micro-scènes, émet quelques hypothèses sur son personnage... L'écriture est caractérisée par un usage généralisé de la modalisation (conditionnel, précautions oratoires...). On entre pas vraiment dans le personnage. L'auteur pose seulement quelques traits, comme par pudeur. Comme s'il souhaitait juste rematérialiser brièvement cet intrigant personnage pour le reconsidérer. On entend parler de lui, on se rend en Allemagne, on entre, on approche de sa chaire, éclairée d'une lumière douce. On capte quelques bribes de discours, les mots sont lourds de sens, mais chaleureux, finalement, ça ne crie pas autant qu'on l'imaginerait. Prudence narrative, Vuillard suggère : une esthétique de l'esquisse. Cela a pour effet d'adoucir son personnage. La simplicité du trait, la légèreté du récit, accompagnée d'une touche de pitié, illustrent la naïveté qu'on prêterait volontiers au personnage, un idiot de Dostoïevski. Thomas Müntzer, reste en effet dans l'histoire comme une incarnation de l'excès menant à la folie, de la naïveté de l'idéalisme menant à l'erreur, de la radicalité menant au massacre… Mais le ton délicat de l'auteur est lourd d'ironie et cache une critique acerbe du cynisme des analystes historico-politiques, qui font le jeu des oppresseurs et de l'injustice en rangeant systématiquement les âmes révoltées dans la case des doux rêveurs. Thomas Müntzer apparaît comme un homme sensible, profondément intègre, expert dans sa connaissance des Évangiles, engagé corps et âme auprès du peuple et finalement balayé par la dureté de l'histoire des vainqueurs. Héros du peuple, abattu par les pouvoirs corrompus, comme un Che, un Lumumba… ou bien-sûr comme Jésus de Nazareth même ! Sa lecture du Nouveau Testament, choquante même pour la Réforme de Luther (qui passa un accord avec les princes pour écraser la révolte et sauver sa Réforme), rejoint l'interprétation du jongleur médiéval de Dario Fo (dans Mystère bouffe) : Jésus était moins un théologien rigoriste qu'une figure d'agitateur politique, favorable au petit peuple ; son royaume de Dieu n'était pas l'attente d'un dévoilement (apo-calypse) futur à la fin du monde, mais bien l'appel à une révolution concrète ici et maintenant contre un pouvoir oppressif (romain), des élites et des institutions religieuses complices (prêtres et pharisiens), une morale sévère pour les pauvres mais lâche pour les grands…
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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