- María Moliner est la quatrième femme par ordre d'importance dans l'Histoire de l'Espagne.
- Les trois premières?
- Vous plaisantez? Votre univers machiste est si fermé que vous ignorez les références indispensables de la femme dans l'Histoire, à ne pas confondre avec l'histoire de la femme?
- Je vous avoue mon ignorance du ranking objectif des meilleures femmes espagnoles de tous les temps. Mais je l'accepterai, quel qu'il soit.
Elle récita d'un trait:
- "Isabelle la Catholique, Agustina d'Aragon, Dolores Ibarruri, et María Moliner."
- "Car mon boulot rapportait moins que le leur, et le directeur général me cantonnait au sous-sol, comme disait Fedor Dostoïevski."
Ils se regardèrent intensément. Ils savaient tous les deux qui était Dostoïevski.
-"J'ai eu un flirt avec une postsoviétqiue au cours d'une mission à Istanbul, et elle m'a expliqué qui était Dostoïevski."
J.L.M. avait trente briques en trop, P.N.F les avait en moins, mais L.F.G. les avait juste, c'est pourquoi il était le porte-parole du trio. Il tendit à Carvalho une coupure du journal qu'il sortit d'une luxueuse serviette ornée de deux fusils croisés en cuir repoussé. Ils y étaient tous les trois, J.L.M., P.N.F. et L.F.G., à côté de P.C.B., M.D.F., L.G.T... Vingt noms, la prétendue liste des bénéficiaires de prétendues fuites de devises dues au prétendu ex-directeur général de la prétendue garde civile, le prétendu Luis Roldàn.
" Vous devez être très riches, sinon vous n'auriez pas droit à tant d'initiales ni à tant de prétendus.
- Nous avons bossé comme des bêtes ! répliqua avec passion J.L.M., mais le porte-parole le foudroya du regard et chercha à nouer avec Carvalho une complicité comme en ont les gens qui n'ont jamais eu l'intention de bosser comme des bêtes.
- En effet, M. Carvalho, nous sommes très riches.
Si,au XVIIème siècle,le Diable Boiteux avait soulevé les toits de Madrid pour surprendre la vie secrète de son humanité baroque,trois siècles plus tard,il aurait dû soulever ceui des égouts pour comprendre le présent et deviner l'avenir de l'Espagne.
Biscuter s’allongea sur le siège arrière de cette voiture si luxueuse, une Jaguar, qualité qui donnait la sensation que le macadam n’opposait aucune résistance.
« Putain, une Jaguar !
— Et toute pour toi, mon joli ! »
Biscuter déplia la feuille : une page des petites annonces du journal ABC : « ROLDÁN. Si vous ressemblez à l’ex-directeur général de la garde civile et si vous avez l’accent aragonais, écrivez et envoyez une photographie à Poste restante 7324, Madrid. Contrat temporaire, minimum 200 000 par mois. Nourri vêtu. SIGNÉ HOLLYWOOD. »
Pour consoler l’infortuné Abou et lui tirer les vers du nez, Carvalho lui demanda ce qu’on pouvait boire à Damas sans offenser le prophète. Abou lui répondit que grâce au baasisme, la Syrie et l’Irak avaient pu échapper à l’intégrisme chiite.
« Et pourquoi moi à Saragosse, et vous à Damas ? »
Biscuter avait pris de l’assurance depuis que, pendant l’été 1992 – à l’époque où Carvalho était sur l’affaire du “sabotage olympique” –, il avait suivi un cours sur les soupes dans une école de haute cuisine à Paris. L’âge indéfini reflété sur ses traits d’avorton lui permettait de transmettre à Carvalho son mécontentement d’être un assistant subalterne aussi malin que sous-employé.
Tout dans la pièce était en berne, à commencer par le désir rassasié de Carvalho, et les tétons de “la quatrième femme”, abîmés dans la méditation, avaient pris leurs quartiers d’hiver. Carvalho voulut ramener la conversation sur son terrain premier. Il lui parla de Guijuelo.