Ayant déjà lu plusieurs romans de
Manuel Vásquez Montalbán et les ayant tous appréciés, j'ai voulu découvrir celui où apparaît pour la première fois le célèbre détective Pepe Carvalho. Je pensais trouver dans
J'ai tué Kennedy ou les mémoires d'un garde du corps, publié en 1972, quelques détails sur le passé de ce personnage et notamment sur son passage mystérieux dans les services de la CIA…
En fait, je n'ai rien compris à ce livre qui nous entraine dans un étrange univers de science-fiction et se moque du clan Kennedy et de la légende qui auréole cette famille. Les Kennedy vivent en état « d'individuation » dans un palais futuriste et un étrange garde du corps prend la parole et raconte à la première personne ses états d'âme dans l'intimité de JFK et de ses proches. J'ai vaguement saisi qu'une menace plane mais sans bien voir sa nature : Bacterioon est un stratagème, une substance bactéricide « autogène et autolucide » visible uniquement à l'aide d'un microscope ultra puissant et que l'on doit pouvoir combattre par des pilules influençant l'opinion ; les agents de Bacterioon prônent un nouvel anarchisme et une nouvelle forme de libertinage…
L'écriture m'a également décontenancée même si j'ai pu apprécier ça et là quelques références littéraires et quelques bons mots sur la littérature ou la culture et des réflexions désabusées qui me rappelaient tout de même le Carvalho que je connais un peu : dans ce roman, il ne brule pas encore les livres pour cuisiner, il en fait des constructions architectoniques !
L'ensemble manque de clarté, le récit n'a pas de trame narrative et noie le lecteur dans une logorrhée perturbante ; les digressions n'apportent rien de plus à l'intrigue principale. L'absence de chapitrage et de structure rend la lecture laborieuse et soporifique.
Quant à Pepe Carvalho, dont l'existence n'est pas prouvée au début du livre, il apparaît comme « une puissance surnaturelle, diabolique, comme les déités négatives […]. [Il] n'est pas un mythe littéraire. C'est un être réel mythifié, presque totalement inconnu, et qui sert de point de référence…».
Il est heureux que ce roman ait été traduit en français en 1994 seulement, bien après d'autres qui lui sont postérieurs… Car il faut dire à celles et ceux qui veulent découvrir l'univers de
Manuel Vásquez Montalbán et de son personnage récurrent, ce détective qu'il a fait vivre dans de nombreux romans et qu'il décrit lui-même comme un « privé mélancolique et nihiliste actif », de ne surtout pas commencer par ce livre-là, même s'il est le premier de la série Carvalho.
J'avoue mal connaître la période de l'histoire des États-Unis dont il est question dans ce livre et m'être un peu perdue dans les positions des divers personnages référentiels, sans parvenir à faire le lien entre cette parodie et des évènements s'étant réellement passés. Bien sûr, je situe l'assassinat de
John Fitzgerald Kennedy en novembre 1963 et ai entendu parler des zones d'ombre qui entourent cet attentat mais je ne saisis pas d'emblée le rapport éventuel avec les évènements contemporains en Espagne…
Ne pouvant décidément pas me remettre de cette lecture, j'ai effectué quelques recherches et retrouvé cette explication, donnée par l'auteur à un journaliste en 1997 ; il démontre la nécessité de mettre en lumière l'état d'esprit désastreux véhiculé par le franquisme en agissant par la littérature : « era una época bastante difícil, ya que el franquismo parecía eterno y teníamos la impresión de que nada cambiaría. Como fruto de esta sensación escribí Yo maté a Kennedy. Aquella novela refleja un mundo irreal que venía de la empanada mental que vivíamos. Allí cabía todo: poemas, textos de vanguardia, influencia del cómic y del cine... Era un mare mágnum que reflejaba la descomposición de la novela que creíamos que estábamos viviendo » (Entrevista de Xavier Moret, en EL PAÍS del 19/2/1997).
J'ai également trouvé dans des études de
Georges Tyras, professeur de langue et littérature contemporaines espagnoles, qui a beaucoup publié sur Vásquez Montalbán des passages qui démontrent que, pendant la dictature, ce dernier voyait son pays comme un état schizophrène, moitié pays « normal » et moitié pays en état de mort cérébrale, paralysé par la politique de Franco. Son écriture reflète alors cette vision péjorative, l'auréole d'une forme d'anormalité ; parmi les écrits correspondants à cette période figurent Manifeste subnormal,
Happy end et Questions marxistes qui seraient dans la même veine surréaliste et absurde qualifiée d'« écriture subnormale » ; il s'agit là d'un contre-langage ironique, dérisoire et accusateur à la fois, une parodie du langage médiatique dont le pouvoir se sert contre toute forme de conscience et de révolte.
Personnellement et malgré ces éclaircissements et mon intérêt évident pour l'oeuvre de Vásquez Montalbán, je n'ai pas su lire dans ce livre le parallèle avec l'Espagne soumise à la dictature de Franco… Je me suis perdue dans les méandres surréalistes de la narration. Je sais qu'il a commencé à écrire de la poésie lorsqu'il était incarcéré dans les prisons franquistes et ce genre littéraire s'accommode sans doute mieux d'une rupture avec les normes langagières que le roman policier.
Il est rare que je ne termine pas un livre ; j'avoue avoir abandonné cette lecture aux trois-quarts environ, puis lu rapidement la fin… Une énorme déception !