Secrets, sorcières, enquêtes, procès en sorcellerie, inquisition, bûchers, trahison, … un roman historique qui m'a enthousiasmée par bien des aspects :
* L'atmosphère de l'époque si bien restituée.
* Les personnages attachants pour lesquels j'ai tremblé. Ni "gentils" ni "méchants" pour la plupart : produits de leur éducation, de leur environnement, ils baignent dans l'obscurantisme de leur époque et survivent de leur mieux. On les aime ou on les déteste, (parfois on les aime PUIS on les déteste, ou vice-versa) mais tous intriguent et retiennent l'attention. Crédibles et bien croqués, ils évoluent dans un contexte historique bien réel et leurs réactions semblent parfaitement fidèles à celles qu'on attribue en général aux personnes vivant à cette époque.
* L'écriture qui sert parfaitement l'intrigue. La narration est moderne et ne se noie pas dans des tournures et un pseudo vocabulaire d'époque (trop souvent mal maîtrisés et qui finalement nuisent à la fluidité de la lecture). L'auteure nous transporte dans le passé uniquement par le biais de l'atmosphère (costumes, ambiance, structures sociales, décors, ....) et grâce à la mentalité de ses personnages, reflets de l'époque.
* L'intrigue surprenante qui tient les promesses d'un prologue instaurant immédiatement la tension.
* Les indices, réels ou trompeurs, permettant tout au long de l'histoire d'échafauder des théories (avérées ou réfutées par la suite), tout autant sur les faits que sur les personnages (Qui complote ? Qui cache son jeu ?).
* Les annotations qui rendent perceptible toute l'étendue de la documentation sur cette période sombre de notre histoire sans avoir, à aucun moment, l'impression de suivre une leçon sur l'histoire.
* Que l'histoire se déroule en Europe (les sorcières sont si souvent associées à Salem qu'on oublie que les bûchers ont été nombreux chez nous).
* le cheminement de l'état d'esprit d'Anna, à qui la douleur fait avouer tout ce que ses bourreaux veulent entendre, et qui surtout, brisée, finit par croire à ses propres divagations et à sa damnation.
Et le clin d'oeil quand Marie croise le regard d'Anna dans le carrosse… Pourtant quelle fin cynique ! J'avais espéré voir le bailli trépasser dans la douleur (je voyais venir la crise d'appendicite ou autre mal qui ne pardonnait pas à l'époque).
* J'ai apprécié également que, sans rien cacher de l'horreur de la question appliquée aux présumées sorcières, le récit ne s'appesantisse pas sur la torture (J'ai quand même détesté l'auteure pour ce qu'elle fait subir aux personnages après avoir mis tout en oeuvre pour qu'on s'y attache !).
Et la jolie couverture est une raison de plus d'aimer ce roman qui peut se réclamer de plusieurs genres.
C'est évidemment un drame historique qui repose sur cette douloureuse vérité de notre passé que sont les procès en sorcellerie et qui amène à établir des parallèles entre notre société et celle de l'époque (corruption, lâcheté collective, peur de la mort et de l'inconnu… ou plus globalement la bêtise humaine).
K-W-Meyer utilise aussi le suspense et la tension narrative, propres au thriller, pour provoquer l'appréhension chez le lecteur et le tenir en haleine jusqu'au dénouement de l'intrigue.
Bien loin de le qualifier de roman Y.A. bien sûr, je n'hésiterais pourtant pas à le conseiller aux jeunes lecteurs malgré la noirceur de certaines scènes. L'âge, la personnalité et les aspirations de Camille, donnent à ce roman une couleur qui, je pense, leur plaira.
Si le thème est connu, l'originalité de ce scénario, et celle qui définit les personnages, rend cette histoire aussi inédite que passionnante.
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Fantastique ! Une plongée infernale et sans concessions dans ces temps obscurs où la sorcellerie et autres diableries servaient de prétexte bien pratique pour régler des affaires bien moins ésotériques que cela.
On vit, on frémit, on devient tour à tour Anna et Camille, les deux protagonistes de ce thriller historique haut en couleurs, à la progression parfaitement dosée, passant imperceptiblement du charme enchanteur des villages alsaciens typiques à l'horreur la plus absolue. Une authentique réussite pour un roman qui mérite de figurer au rang des classiques qu'il faut avoir lus quand on habite la région, à l'égal des Tilleuls de Lautenbach ou des Deux Mathilde.
Le fait que ce roman - très documenté - se base sur des faits réels renforce encore le sentiment de (re)découvrir un pan terrible de son histoire, que l'auteure a su nous rendre vivante, se déroulant littéralement sous nos yeux de lecteurs, nous immergeant dans un monde ou la vertu apparente ne sert que de vernis à la noirceur des âmes. Certaines séquences - comme les aveux d'Anna - sont de véritables moments d'anthologie.
Pour qui connaît un peu l'histoire de l'Alsace, les événements auquel le roman fait référence sont très connus, mais rarement traités sous forme de roman, et quel roman ! Un roman où aucun personnage ne laisse insensible. On frémit à leurs côtés ou on les hait. J'ai dû plusieurs fois interrompre ma lecture, de rage envers certains personnages, comme ce "cher" maître Kirin, dont on se demande s'il est meilleur en menuiserie ou en comploteur machiavélique, preuve que le roman faisait son effet sur moi, ce qui est toujours un excellent signe.
Bref, vous l'aurez compris, il s'agit là d'un roman court, percutant, punchy, un aller simple vers le pays des colombages, option manipulations, avec comme destination finale l'horreur la plus absolue, car si parfaitement racontée qu'on la vit. Un immense *coup de coeur* pour ce futur classique de la littérature historique, au moins en Alsace, et sans doute bien au-delà, les personnages de ce roman ainsi que les bassesses auxquels ils font face restant eux hélas d'actualité.
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J'ai adoré plonger dans la sombre histoire de la chasse aux sorcières aux côtés de Camille et Anna. Il était très difficile de lâcher de récit. Les descriptions pleines de détails historiques sont distillées sans aucune lourdeur. J'étais immergée dans l'Alsace de l'époque et je tremblais pour Camille et Anna. Les personnages sont très réalistes. Mention spéciale à l'auteure pour cet aspect. Si vous aimez les romans historiques, mais aussi le suspense, je vous recommande cette lecture.
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Un excellent roman, avec beaucoup de suspense, et une tension très bien maîtrisée. Les cliffhanger sont effectués de main de maître... Bravo !
J'ai particulièrement apprécié l'épilogue (qui lira saura !) , et les scènes ahurissantes par leur horrible réalisme. Cependant, elles ne sont pas trop nombreuses, leur quantité comme leur qualité ne rendent pas la lecture trop lourde, sans pour autant oublier quoi que ce soit de la vérité historique.
Les personnages sont attachants, bien construits et crédibles, ni uniformes ni parfaits, en nuances. L' univers est maîtrisé et très intéressant du point de vue simplement historique comme du point de vue des descriptions.
Et surtout, le suspense est incroyablement maîtrisé ! La tension narrative est excellente !! Tenus en haleine jusqu'au bout, vous ne regretterez pas d'avoir frémi tout au long de ce roman !
Enfin, la Plume de l'autrice est simple, claire, sans détours, incisive, à même de vous emmener au bout du monde ! Et je vous invite à l'y suivre... Vous ne regretterez pas !!
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Alors qu’elle songeait à sa cadette, cette dernière fit son apparition dans son champ de vision. La tristesse s’abattit aussitôt sur Anna.
Coincée dans une cage, transportée sur une charrette, sa cadette semblait plus meurtrie que jamais. Le crâne rasé, les joues creuses, la peau pâle, et bâillonnée par une corde, elle flottait dans une grossière chemise noire.
Son aînée la reconnaissait à peine, et en eut le souffle coupé. Qu’avait-elle subi, pendant des semaines, pour afficher désormais une telle apparence ?
La prétendue sorcière avait tout juste atteint ses trente ans, mais en paraissait le double. Anna vit son regard écarquillé parcourir la foule, tantôt paniqué lorsqu’elle observait le bûcher, tantôt suppliant quand elle fixait les autorités ou les habitants.
La veuve ressentit un élan de désespoir, il ne s’agirait probablement pas du dernier. Elle aurait tant souhaité se manifester, montrer à sa cadette qu’elle était là, jusqu’aux derniers instants. Car Anna était sûrement celle que la condamnée cherchait éperdument. La dernière sœur, sur les neuf enfants qui avaient un jour composé leur fratrie. L’aînée oserait-elle se mettre à sa place ? Ressentir l’angoisse de la mort imminente, d’une souffrance inqualifiable, sous le regard froid, voire cupide, de celles et ceux qu’elle avait considérés comme ses voisins, son sabotier, son boulanger, son curé ? Non, cela en était trop pour Anna qui, lâchement, détourna le regard. Fermant les paupières, elle adressa une prière muette au Très-Haut.
« Seigneur, prends pitié. Je t’en supplie. J’accomplirai tout ce que tu me demanderas, mais épargne lui le supplice du bûcher. Elle n’est pas responsable des récentes calamités qui ont frappé nos récoltes et notre bétail. » Rouvrant les yeux, Anna nota l’avancée de la charrette. Elle retourna à sa prière. « Je suis certaine que c’est un complot de ce vieux porc. S’il te plaît Seigneur, ne lui fais pas payer les erreurs d’autrui. » La veuve avait failli ajouter « Prends moi à sa place » mais au dernier moment, elle se trouva incapable de formuler le souhait. Elle tenait trop à la vie et craignait la douleur.
Reportant son attention sur la cage, elle fixa l’arrière du crâne de sa petite sœur. Cette dernière regardait désormais droit devant elle. Pincement au cœur pour Anna. « J’espère qu’elle m’a vue, j’espère… » Si sa présence pouvait apporter un ultime réconfort à la jeune femme, s’il pouvait lui donner la force de supporter son supplice…
- Sorcière !
La voix rauque du Bailli fit brusquement cesser le vacarme ambiant. Le gros homme s’était levé, et pointait la sorcière d’un doigt accusateur.
- Tu as détruit nos récoltes, tué deux cochons, et provoqué un accident dans l’atelier du pauvre Matthias Mayer, notre cordelier. Heureusement, tu as été démasquée. Il te faut maintenant rendre des comptes au Tout-Puissant.
L’émotion fit naître des larmes au coin des yeux d’Anna. Bouleversée, elle lutta pour ne pas complètement céder. « Trahie, tu parles. Ce vieux porc ! » Si d’ordinaire Anna se signait pour chaque injure, elle n’en éprouva aucun besoin en cette funeste journée. Le Bailli poursuivit ses accusations, sur un ton néanmoins adouci.
- Par le feu, le mal sera purgé, purifié. C’est là ton ultime espoir de guérison.
Sur ces mots, l'agent de l'autorité seigneuriale baissa le bras et s’assit lourdement. Le bourreau ouvrit alors la cage et saisit le bras de la sorcière. Cette dernière eut un geste spontané de repli, mais elle céda rapidement sous la force de l’homme vêtu de noir.
Elle fut menée sur l’estrade, puis entre la paille, les bûches et les fagots qui entouraient le poteau, avant d’être attachée à ce dernier.
Anna ne vit alors plus que le torse et le visage de sa jeune sœur. Lorsque le bourreau eut terminé son œuvre, le cœur de la veuve s’emballa. « Va-t-il ?.... » Mais non. Il n’étrangla ni n’assomma la sorcière, contrairement à ce qu’elle espérait. « Pourquoi ! Seigneur, pourquoi ? »
Puis, sous les yeux horrifiés d’Anna, l’homme en noir saisit quelque chose dans un sac et se pencha, de façon à ce que plus personne ne put le voir, en dehors de sa victime. La veuve comprit. Il astiquait les pieds de sa cadette avec du lard afin de faciliter le travail du feu. Lorsqu’il releva le buste, il jeta un dernier coup d’œil à la sorcière, sembla lui murmurer quelques mots, puis la quitta. « Seigneur, s’il te plaît. Tu ne peux pas laisser faire ça. »
Hélas, le Tout-Puissant ne répondit pas à sa prière. Dans un silence de mort, le bourreau se tourna vers l’estrade et attendit un ordre qui ne tarda pas à lui parvenir.
- Bourreau, accomplis ton devoir !
La veuve avait creusé sa tombe à l’arrière de la maison, le plus loin possible des regards malveillants. Chaque matin et chaque soir, elle se rendait auprès du petit monticule de terre, et comme elle communiquait avec le Seigneur, elle parlait à Maïdalä. Elle lui évoquait sa colère, sa frustration, son désespoir, son sentiment d’injustice, mais également ses peurs.
Anna craignait par-dessus tout que le sort de sa petite chatte noire soit entremêlé au sien. Nul doute qu’il s’était agi d’un message. D’une menace. L’assassin avait fait simple, mais efficace : « Voilà ce qui t’attend. »
« … liée sur l’échelle, elle sera pincée deux fois avec une tenaille incandescente, puis par le feu brûlée de vie à trépas jusqu’à cendre et poudre. À la demande de l’accusateur, ses biens seront remis à l’autorité et selon la coutume confisqués. Après la proclamation de cette sentence, l’accusateur lui a accordé la faveur d’être d’abord étranglée puis pincée et brûlée. »
Jugement de Catherine Heydler,
Tribunal des Maléfices de Bergheim,
17 mai 1627
(Archives municipales de Bergheim, FF3/1)