Citations sur Bois sauvage (48)
C’est rien comparé à ce qu’a souffert maman en accouchant de Junior. Comme nous, il a vu le jour dans la chambre des parents, au milieu de la clairière que son père a créée de ses mains avant de nous construire notre maison. On l’appelle maintenant la Fosse. J’avais huit ans, je suis la seule fille de la famille, et j’avais rien pu faire. Papa dit que maman voulait pas qu’on l’aide, que Randall et moi étions sortis vite, sous l’ampoule nue au-dessus du lit, alors elle pensait que ça serait pareil avec Junior, mais elle se trompait. Elle est restée accroupie à hurler jusqu’au bout. Junior est né violet comme un hortensia : la dernière fleur de sa vie. Quand papa lui a montré, maman l’a effleuré du bout des doigts, comme si elle avait peur de la flétrir, sa fleur, d’éparpiller le pollen. Elle refusait d’aller à l’hôpital. Papa l’a portée jusqu’à la voiture, le sang coulait à ses pieds, on l’a jamais revue.
CHINA SE BAT CONTRE ELLE-MÊME. Si je savais pas, je croirais qu’elle veut manger ses pattes. Et qu’elle est folle. Ça, c’est un peu vrai. À part Skeet, elle laisse personne la toucher. Quand elle était bébé, avec sa grosse tête de pitbull, elle volait toutes les chaussures de la maison. Les tennis que maman nous achetait, noires pour pas qu’elles salissent trop vite, celles qui gardent leurs formes si on les brosse pas. Maman a pas eu de bol avec ses vieilles sandales plates, oubliées dans un coin, tellement pleines de terre rouge qu’elles étaient roses. On les reconnaissait plus. China cachait toutes nos pompes sous les meubles, derrière les toilettes, elle en faisait des tas et elle dormait dessus. Dès qu’elle a pu trotter, elle descendait le perron pour les planquer dans les rigoles. Impossible de lui reprendre : autant déraciner un arbre. Aujourd’hui, elle vole plus, elle donne, elle va nous faire des petits.
L'ouragan s'est marré. Un arbre dépouillé de branches a traversé le jardin en faisant des bonds comme à la marelle, qu'il arrivait au ciel en passant par les bonnes cases. Et le vrai ciel était si bas que j'avais l'impression de pouvoir y accrocher mon bras. P312
Une peluche, toute chaude, avec un cœur qui bat. "Tss!", et elle fiche le camp en ouvrant les ailes, un oreiller qui vole. (p. 98)
...et j,ai pleuré aussi, l'amour qui me coulait des yeux comme les grosses pluies d'été, quand on voit plus rien à travers. (p.85).
J' attacherai mes petits cailloux avec des ficelles, je les suspendrai au-dessus de mon lit pour qu' ils brillent dans le noir et qu' ils racontent l' histoire de Katrina, la mère qui a envahi le golfe pour tout massacrer, dans un chariot si grand, si noir que les Grecs auraient dit que la tempête chevauchait les dragons. Une mère assassine qui nous prit tout sauf la vie, qui nous laissa nus et groggy comme des nouveau-nés, ridés comme des chiots aveugles, ruisselants comme des serpents dans leur oeuf brisé.
Le golfe est noir et la terre brûlée par le sel. Il nous faut apprendre à ramper, à fouiller les décombres, à sauver ce qui peut l' être. Katrina est celle qu' on se rappellera jusqu' à ce qu' une autre mère, assoiffée de sang, abatte sur nous ses mains sans pitié.
L'eau gicle autour des pneus comme des ailerons de requin et elle se referme comme une fermeture éclair dans la boue.
Il remettra du bois dans le feu qui brillera comme un phare. Il guettera ses pas dans la boue, sa queue qui claque dans la gadoue. Il regardera au-delà des lendemains et la verra se dresser dans son cercle de feu, fouettée, salie par l’ouragan, sa robe brillante un souvenir, elle n’aura plus que la couleur de ses dents, du blanc de ses yeux, de l’os et du sang, mais la couleur de la vie, et quand il verra, il pleurera des larmes qui, comme l’eau, finissent par user la pierre, la douleur de l’absence.
China. Elle reviendra, grande et droite, sans petits et sans lait. Elle verra tout en bas notre cercle de feu, et elle saura que j’ai veillé, que je me suis battue. Elle aboiera et ça voudra dire : « Ma sœur. » Les étoiles étouffent le ciel mais pas le silence.
Elle le sait, elle, que j’attends un bébé.
J’attacherai mes petits cailloux avec des ficelles, je les suspendrai au-dessus de mon lit pour qu’ils brillent dans le noir et qu’ils racontent l’histoire de Katrina, la mère qui a envahi le golfe pour tout massacrer, dans un chariot si grand, si noir que les Grecs auraient dit que la tempête chevauchait les dragons. Une mère assassine qui nous prit tout sauf la vie, qui nous laissa nus et groggy comme des nouveau-nés, ridés comme des chiots aveugles, ruisselants comme des serpents dans leur œuf brisé. Le golfe est noir et la terre brûlée par le sel. Il nous faut apprendre à ramper, à fouiller les décombres, à sauver ce qui peut l’être. Katrina est celle qu’on se rappellera jusqu’à ce qu’une autre mère, assoiffée de sang, abatte sur nous ses mains sans pitié.
Il reste plus que du bois et du fer, tout bousillés, et soudain il y a un grand trou entre avant et maintenant, et je me demande où le monde qui existait ce jour-là est passé, parce qu’on est plus dedans.