La littérature scandinave est à la fiction ce que le piment d'Espelette est à la cuisine française. Une petite dose d'originalité et de piquant qui possède l'indéniable faculté de contraster la perception de nos sens élémentaires.
La trilogie de Tora nous transporte vers un monde différent, magique, au bord du cercle polaire, celui des Vikings et d'une terre hostile et sauvage ou l'on survit au sein de traditions millénaires. Mais ici point de grands guerriers (et de guerrières…) dans cette fiction contemporaine qui aborde le sujet délicat des enfants – 12 000, paraît-il – nés des amours entre soldats allemands et femmes norvégiennes durant l'occupation allemande. La très jeune Tora en fait partie, comme l'auteure, qui nous le révélera ensuite dans son roman «
Cent ans », et devra vivre avec cette croix dans le petit village de Vaeret. Il n'y aura malheureusement pas que cela. Elle sera victime d'abus sexuels pendant son enfance – comme l'auteure, encore une fois, ce qui en fait une trilogie fortement autobiographique – et l'horreur de la situation la transformera mentalement à jamais.
Le résultat est très sombre, malgré l'apparente légèreté de ton, et l'ambiance fortement oppressante. La lecture s'effectue le souffle court et le malaise s'installe longtemps après la dernière page tournée.
Au-delà de cette horrible tragédie, qui nous montre à quel point les hommes peuvent être nocifs quand leurs pulsions écartent toute logique et toute humanité, en guise de triste rappel de nos faiblesses, l'oeuvre de
Herbjorg Wassmo est magnifique. Elle transpire d'une naïveté aussi simple que forte, aussi profonde qu'intelligente (les choses les plus simples ne sont-elles pas les plus perceptibles ?), ce qui lui permet de nous transmettre une culture à mille lieues de notre influence latine. le chemin qu'elle s'emploie à suivre est tortueux, dérangeant, heurte notre puérile logique, mais reste conforme au contexte et à sa perception personnelle de l'épreuve. La violence des mots contrebalance la sublime beauté des paysages, et le résultat est époustouflant, la recette subtilement dosée. le piment d'Espelette est raccord…
C'est sur ce point qu'elle fait mouche, à l'instar de l'immense
Selma Lagerlöf ou le non moins excellent
Pär Lagerkvist («
le nain » me fait encore frémir…).
La littérature scandinave est à part. Ce monde est différent, il façonne les hommes à son image. La parole est courte, tranchante, percutante, rarement superflue, et les manières comme les regards ont autant d'importance. La nature, omniprésente, règne en maître, elle dirige la vie des personnes qu'elle nourrit, elle véhicule des légendes millénaires et nous fait vivre au rythme des saisons, ce que nous oublions parfois de suivre.