Moscú: frontera

Quand aurons-nous la possibilité de lire l'oeuvre de Jiri Weil (1900-1959), qui subit de plein fouet le stalinisme et le nazisme, simula son suicide pour échapper aux rafles, termina sa carrière au Musée du judaïsme de Prague?
Il semble que De Moscou à la frontière fut l'oeuvre qui commença à causer sa perte.
Weil fut membre du Parti Communiste tchèque en 1921, se rendit en URSS l'année suivante pour y traduire des ouvrages et faire connaître la « Soviet avant-garde » fut le premier traducteur tchèque de Vladimir Maïakovski, et fut invité à y retourner pour traduire Lénine en 1937 . C'est là que ses ennuis commencèrent. Weil réalisa à quel point depuis son premier voyage, le pays avait changé. Sa correspondance fut lue, déplut, il fut traité de petit-bourgeois, envoyé en Asie Centrale, exclu du Parti et renvoyé en Tchécoslovaquie en 1935.
De cette expérience, il tira De Moscou à la frontière, considéré comme le premier roman décrivant la dérive totalitaire du régime stalinien, et l'année suivante, La Cuiller en bois, sur les goulags.


De Moscou à la frontière est un roman à clé construit en trois parties qui dépeint la vie quotidienne à la fin des années 20 à Moscou, avec l'arrivée de Ri, une bourgeoise moldave qui a pris l'habitude de suivre les hommes de sa vie sur les chemins de traverse, d'abord en Palestine avec un militant sioniste charismatique (chapitres très intéressants sur les premiers kibboutz), puis avec Robert envoyé comme ingénieur dans une usine moscovite. Il y a aussi Jan Fisher, alter ego de l'auteur, qui deviendra une brebis galeuse et Herzog, un militant communiste Roumain réfugié en URSS.
Le pays soumis aux cadences des plans quinquennaux voulus par Staline connaît purge sur purge (Kirov à Léningrad) , alors que les personnages se raccrochent à leurs idéaux. malgré une peur diffuse, C'est le quotidien que croque avec une grande précision Jiri Weil, les queues pour s'approvisionner, la vie dans les usines, le déroulement des Assemblées dans lesquelles on juge les traitres au Parti avec cette objectivité « distanciée », sans jugement, ni critique, qui fait la force du roman. De Moscou à la frontière est la réalité soviétique dépassionnée.

Publié en 1937, le roman fait l'effet d'une bombe.
Il sera descendu en flèche en Tchécoslovaquie, notamment par ses anciens amis. Weil sera exclu du Parti communiste tchèque. En URSS, les effets sont pires. On reconnaît derrière les personnages de Ri et de son mari Robert, Hella Galasova et son époux. Ils seront exécutés.
Il resta quand même à Jiri Weil des amis fidèles dans la Résistance tchèque, qui le protégèrent et le cachèrent pendant la guerre.
Je me languis de lire ses autres romans, et profite de ce billet pour signaler la réédition tant attendue de Mendelssohn est sur le toit, introuvable depuis des années chez Le Nouvel Attila.