Aurélie Wellenstein est un peu pour moi la
Amélie Nothomb de l'imaginaire. Chaque année, elle nous sort une nouvelle petite pépite où elle décline inlassablement ses obsessions dans des mondes souvent durs où l'on cherche une lueur d'espoir aux côtés de ses héros ravagés.
le Désert des couleurs n'y coupe pas, même s'il est peut-être le texte le plus lumineux à ce jour de l'autrice !
Se hissant pour moi aux côtés du Dieu Oiseau ou du Roi Fauve, ce nouveau roman fait désormais partie de mes trois préférés de l'autrice. Pourquoi un tel coup de coeur ? Parce que dès les premières lignes, les premières notes, je me suis sentie entraînée dans cet univers fait de sable et de souvenirs oubliés, ce fut magique et pourtant la rudesse de la vie ne fut jamais loin. Et si j'avais deviné assez rapidement de quoi il en retournerait, le voyage inspiré des contes et fables orientales fut tout de même magnifique.
Dans ce texte, Aurélie Welleinstein a mis beaucoup de lumière derrière la noirceur apparente. Nous sommes dans un monde de survivants où l'on découvre peu à peu un décor post-apocalyptique très singulier, fait de sable, de maisons troglodytes et de villages d'inspiration orientale. Les habitants ne pensent qu'à survivre et n'ont aucun scrupule à utiliser des enfants ou des sacrifices pour cela. C'est un monde rude mais également un monde de légendes où tout s'entremêle de manière assez sombrement poétique et totalement envoûtante pour le lecteur.
Les héros de cette histoire sont également dans cet entre deux, entre être de légende et être très terre à terre à qui il va arriver une aventure extraordinaire dans la lignée de certains contes et fables. Un peu comme le Petit Prince, ils partent en quête de leur Paradis et de celui qu'ils offriront à leurs parents et amis, mais ce ne sera pas un voyage facile. L'autrice a choisi pour cela, comme toujours, des êtres complexes totalement fascinants pour le lecteur qui va apprendre en plus à les découvrir au fil des pages, remontant leurs souvenirs, les détricotant pour les retricoter correctement et ainsi refaire le puzzle de leur vie. C'était fascinant.
Dans une ambiance chaude de sable qui s'échappe et pénètre insidieusement en nous, telle une conteuse touareg, Aurélie va entreprendre de mettre en scène le voyage de l'étrange Kabalraï, fils du marchand de sable et d'une humaine, et de sa demi-soeur Irae, qui semble détester sa famille depuis toujours. Ce duo, je l'ai profondément chéri. J'ai aimé la façon dont leurs coeurs se nouent et se dénouent, se rapprochent et s'éloignent, telle une danse qu'eux seuls connaissaient. C'était douloureux mais lumineux, âpre mais doux. Kabalraï est un être fascinant de par ses origines et son évolution. Irae, dans un genre totalement différent, m'a directement prise dans ses filets. Je voulais savoir pourquoi elle était autant en colère, autant en rébellion. Je n'ai absolument pas été déçue !
Nous nous retrouvons encore, dans ce texte, face à des thèmes très puissants qui pénètrent et résonnent en nous. Celui de la mémoire, le plus évident, fut bouleversant car l'autrice le traite sous de multiples formes. du souvenir constitutif de ce qu'on est au souvenir réécrit pour survivre, cela m'a pris aux tripes, et pourtant comme je le disais, je l'avais vu venir. La puissance d'écriture de l'autrice est tel que j'ai tout de même pris une claque. Moins évident, le thème de la parentalité fut aussi puissamment évoqué. L'autrice parle avec force du désir ou non d'enfant, du conjoint qui peut imposer ses désirs, de la jalousie d'un parent envers un enfant, de la place de l'enfant dans le couple, etc. Elle n'y va pas avec le dos de la cuillère et appuie là où ça fait mal, osant parler de choses parfois tabou avec beaucoup de justesse mais de crudité aussi. C'est fort !
J'ai vraiment été bouleversée par ce texte qui a su allier tous les éléments que j'aime chez l'autrice : des personnages marquants et bouleversants à l'évolution complexe mais justifiée qui ne tombe pas dans la facilité ; un monde riche sans concession mais ici avec une touche de poésie magnifique portée par ce décor désertique où les souvenirs sont porteurs de couleur ; des thèmes chocs qui m'ont pris aux tripes et fait réfléchir. Avec un grand talent encore,
Aurélie Wellenstein a proposé ici l'un de ses meilleurs textes, une aventure aboutie, onirique, puissante et bouleversante où elle a su allier fond et forme pour nous emporter dans ce voyage sans retour intime et universel. Un coup de coeur !
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