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Critiques filtrées sur 2 étoiles  
Cette lecture date un peu. Elle fut dans le prolongement de la sortie du film "le cercle des poètes disparus" car Whitman devient alors incontournable.
Pourtant je n'ai pas retrouvé l'exaltation à la lecture que j'avais imaginé lorsqu'il était cité dans le film. Je pense reprendre un jour ce recueil car il me semble l'avoir lu trop tôt pour en apprécier le contenu.
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La collection « Les cahiers rouges » de chez Grasset est assez honorable, je trouve, et elle m'a rarement déçu (« jamais », même, à mon souvenir, mais je reste prudent) : c'est qu'elle inclut des textes datés d'une certaine époque où l'éditeur, renommé alors pour ses sélections, ne voulait pas faillir, et où il ne tirait pas avantage d'une réputation depuis longtemps usurpée.
Comme je l'ai déjà exprimé ailleurs, je demeure sceptique quant à lire des traductions d'oeuvres poétiques étrangères : il ne fait aucun doute que la musicalité s'abîme ou du moins s'altère, sans parler de la façon dont les figures s'atténuent en passant dans une autre langue ; et pourtant – suis-je paresseux ? – l'effort qu'il me faudrait accomplir pour lire en version originale et quelle que soit la langue risquerait fort d'amoindrir le plaisir même studieux que j'y prends, de sorte que je ne puis m'y résoudre et en suis d'emblée intimement dissuadé.
Mais Walt Whitman s'imposait à moi tout de même, à ma curiosité et à mon exploration de tout ce qui s'annonce imposant dans la littérature mondiale : ce chantre de l'Amérique avait sa place prioritaire dans la rare poésie étrangère que je désirais découvrir.
Ce Jacques Darras qui l'a traduit dans cette édition m'incite, je dois le dire, à la plus grande circonspection : d'abord, je n'ai rien compris à sa préface que j'ai fini par feuilleter en cherchant l'occasion de tomber sur quelque information utile quant à l'auteur ou l'oeuvre, ce qui n'est pas venu – je me contenterai bientôt de Wikipédia –, et son style est si chinoisement bâti que c'est une importunité de le lire : cela démontre déjà quelque esprit contourné. Ce défaut se retrouve dans la traduction des sections du livre, dont cette édition indique au moins les titres en anglais : je suis loin d'être spécialiste, bien sûr, mais est-ce qu'un plus compétent que moi assurerait que « Song of Myself » peut se traduire par « C'est moi que je célèbre », « Children of Adam » par « Descendance d'Adam » ou encore « Our Old Feuillage » par « Antiquité de notre feuillage » ? J'entends bien que ces modifications, sans doute choisies pour leur élégance, ne constituent que des nuances par rapport à une traduction littérale, mais à quoi bon affiner un texte dont l'auteur a probablement désiré des appellations brutes – c'est alors délibérément en fausser la tournure et l'idée –, et comment s'assurer que le contenu des poèmes n'est pas aussi largement ou partiellement « amélioré » ? Cela me dérange de ne pas être sûr ; c'est une gêne quand, sur les quelques passages anglais qui se trouvent dans un livre, la traduction ne donne pas l'impression d'une grande fidélité (j'y préfère, et de loin, des notes surabondantes de bas de page explicitant les choix de transposition) : on s'interroge de qui l'oeuvre provient le plus au juste, de l'auteur ou du traducteur ; or, c'est Whitman qui m'intéresse, et non M. Darras qui ferait mieux de disparaître derrière plus grand que lui.
Whitman, lui, c'est l'orgueilleux et superbe poète en prose dans toute sa liberté majestueuse : poète des hymnes enthousiastes et des célébrations emphatiques de la nature tout autant que des hommes de l'ordinaire ; poète ambitieux de la peinture d'un pays ardemment adoré ; poète hédoniste aux vastes exacerbations de sensibilité ; amant de toute vie, âme, pensée et corps ; auteur d'une sorte de poésie totale, incluant toutes les variétés du temps, des espaces et des hommes, dans une philosophie qui prône le nécessaire de tout ce qui existe et où la volonté généreuse de « chanter » est ce qui se perçoit avec le plus d'évidence.
Un patriote aussi, qui veut manifestement faire de sa voix les prémices d'une poésie enfin nationale, je veux dire états-unienne (ce fut un grand souci pour les Américains, dans tout le XIXème siècle, de faire que leur nation jeune dispose d'un certain crédit d'un point de vue artistique et littéraire) : cet effort de représentation est patent, voici un auteur qui s'efforce d'être un porte-parole du nouveau monde, et, en dépit de ses défenses régulières, le goût de la gloire s'y dessine, colorant son oeuvre d'un système oecuménique qui tâche à ne pas choisir parmi les luttes (guerre de Sécession) et les États (jamais l'un n'est nommé sans qu'au moins trois ou quatre autres ne soient mentionnés). C'est tout le portrait d'une Amérique puissante, humaine, démocratique, active, visionnaire et volontiers idéalisée, de façon à satisfaire, en flattant, à la vanité d'un peuple plutôt qu'à son propre engagement de vérité, même subjectif. Tout est pardonné à cette nation, justifié par un processus millénaire d'évolution, aucun camp n'est à blâmer ni aucune pratique, et l'avenir des États-Unis sera sans nul doute exemplaire et brillant puisque son présent, déjà fruit d'un passé agglutiné de maintes et riches expériences, les distinguent déjà entre tous.
Ce désir d'ampleur se perçoit jusque dans le style – pour autant que M. Darras ne l'ait pas trop enflé : on lit ces Feuilles avec la même impatience qu'une Bible ou qu'un Ainsi parlait Zarathoustra ; les énumérations superfétatoires s'y succèdent de façon que l'ennui même finit par exhausser les quelques extraits inspirés ; on a conscience tout d'abord des longueurs, des listes interminables et vaines de sensations et d'actions, et puis quelque endormissement vous saisit, une sorte d'effet d'hypnose comme à la lecture de ces classiques dont on vous certifie sans autres explications qu'historiques l'importance et la beauté, et peu à peu vous lisez sans retenir grand-chose qu'une sorte d'atmosphère de végétation et d'humains. Il est le plus souvent impossible d'admirer ces superpositions ampoulées, et cependant tout est formulé avec un soin évident, oui, on peut « valider », sans que cela frappe pourtant l'imagination ou l'esprit. Vraiment, je crois que Whitman, quoique libertaire, quoique homosexuel sans doute, était un Henry Miller mais puritain, et je ne m'en repens pas : son défi de rendre à l'Amérique une dimension spectaculaire et sacrée l'a fait marcher sur le pas stylistique de prédécesseurs convenus, avec leurs lourdeurs obligées, leurs figures imposées, leur jeu d'impatiences aussi indéniables que volontaires. C'est l'inconvénient de se positionner au-dessus des hommes : on fait de la littérature qui ne convient pas à de l'humain, qui ne convient à personne, que des adulateurs exaltent par principe beaucoup plus que par goût.
D'ailleurs : des idées assez rares, malheureusement obscures quand elles sont neuves, embrouillées alors comme des intuitions inabouties qu'il faut soi-même achever, et mêlées d'une sorte de mysticisme lacunaire (ce qui confère toujours une sorte d'aura d'absurdité propre à rendre l'illusion des prophètes), ou banales quand il ne s'agit que de chanter l'amour de la vie et d'énumérer les effets d'une rivière ou d'un charpentier. 600 pages de peu de lumières au fond où – et, chose étonnante, j'y ai continuellement pensé en lisant ce livre, cette réflexion sitôt formée ne m'a presque plus quitté –, s'exhale bien davantage une volonté d'exprimer des choses que, directement, l'expression d'images de choses (Whitman cesse rarement d'indiquer ses intentions, de sorte qu'un individu comme moi enrage de ne pas pouvoir lui répondre : « Cesse donc d'annoncer ce que tu veux faire : fais-le ! »).
Une confiance aveugle en tout, déterminée à ne voir ni Bien ni Mal ou plutôt à admettre sans justification que tout en Amérique est Bien nécessaire, Vie comme Mort ; un détachement vers quelque extase continuelle ; un penchant vers un universalisme béat et laudateur, qui se rassure de l'état des choses par une sorte de fatalisme optimiste ; la démonstration, aussi, d'une capacité de compassion imaginative hors normes ; l'ambition si vaste des génies mais sans les originalités littéraires qui, seules, peuvent susciter l'admiration argumentée des foules ; quelque opportunisme, enfin, à se poser là, à force de déclarations successives et insistantes, comme le fondateur d'une poésie américaine, avec son procédé rusé et par trop méthodique consistant à inclure et à louer au moins une fois ici et là n'importe quel Américain qui le lit : voilà ce qui caractérise, selon moi, ce Whitman au coeur plus vaste qu'audacieux. Il a peut-être vécu à une époque et dans un lieu qui ne lui permettaient pas de dépeindre sa vision des corps libérés et la forme d'immoralité libertaire qui sous-tend toute cette oeuvre, mais il ne faut pas trop le plaindre, aussi, de cette époque et de ce lieu où il eut le bonheur de naître l'un des premiers poètes d'une nation qui se cherchait très avidement des auteurs nationaux, ce à quoi, à ce que je crois, il doit largement sa gloire.

Post-Scriptum : Je confirme après coup les problèmes de traduction de Jacques Darras : à l'heure où je reprends et référence mes listes de vocabulaire notées pendant la lecture, je découvre que presque un mot sur deux que j'ignorais et dont j'ai la curiosité têtue de chercher le sens… n'existe pas dans mon dictionnaire ! Après vérification, il s'agit de mots picards : c'est que M. Darras, qui est picard lui-même, a trouvé astucieux de faire parler son dialecte à Whitman ! Il est heureux, peuchère ! qu'il n'ait pas été de Marseille, con ! La réception du poète en eût été tout autre !
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Bizarrement, j'ai détesté.
Insipide, masochiste, les qualificatifs négatifs sont les seules me venant en tête.
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Ce n'est pas l'édition en image mais une vieille de chez Seghers.
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