Le fantôme de Canterville et autres contes

Il lança donc son rire le plus horrible, au point que les vénérables voûtes résonnèrent de son écho; mais à peine le dernier éclat s'était-il éteint qu'une porte s'ouvrit, et que Mrs Otis sortit de sa chambre, vêtue d'un peignoir bleu clair :
- Votre santé me parait vraiment laisser à désirer, dit-elle; aussi vous ai-je apporté un flacon de l'élixir du Docteur Dobell. Si vous souffrez d'une indigestion, vous constaterez que c'est un remède tout à fait excellent.

Quatre jours après ces curieux événements, vers onze heures du soir, un cortège funéraire sortit de Canterville-Chase.

Lorsque M. Hiram B. Otis, le ministre américain acheta Canterville Chasen tout le monde lui dit qu'il commettait une folie car il ne faisait aucun doute que les lieux étaient hantés. En vérité, lord Canterville lui-même, homme pointilleux, à l'excès sur les questions d'honneur, avait jugé de son devoir de mentionner le fait à M. Otis quand ils en étaient venus à discuter des conditions de vente.

_ Cher monsieur, dit M. Otis, je vous prie instamment de huiler vos chaînes ; je vous ai apporté dans ce but une petite bouteille de lubrifiant indien.

- (...) Maintenant, M. Podgers, faites-nous surtout des révélations agréables : lord Arthur est l'un de mes amis préférés.
Mais, en voyant la main de lord Arthur, M. Podgers devint étrangement pâle et resta muet. Il sembla parcouru d'un frisson et ses épais sourcils broussailleux s'animèrent de frémissements convulsifs et irritants, comme s'il était en proie à l'étonnement. Quelques grosses gouttes de sueur perlèrent à son front jaunâtre, comme une sorte de rosée délétère et une moiteur froide lui poissa les doigts.
Lord Arthur ne manqua pas de remarquer ces étranges signes d'agitation et, pour la première fois de sa vie, il fut pris de peur. Envahi d'une envie soudaine de se précipiter hors de la pièce, il parvint à se ressaisir. Mieux valait connaître le pire, quel qu'il fût, plutôt que de rester en proie à une affreuse incertitude.
(Le crime de lord Arthur Savile)

- Cher monsieur, dit M. Otis, je vous prie instamment de huiler vos chaînes ; je vous ai apporté dans ce but une petite bouteille de lubrifiant indien. On le dit d'une parfaite efficacité après une seule application et l'emballage comporte plusieurs témoignages en ce sens dus à quelques-uns de nos plus éminents ecclésiastiques. Je vais vous le laisser ici à côté des quinquets et je serai heureux de vous en fournir un peu plus si vous en avez besoin.
Sur ces mots, le ministre des Etats-Unis posa le flacon sur une console de marbre et, refermant la porte, regagna son lit.
Un instant, le fantôme de Canterville resta immobile, figé par l'indignation ; puis, projetant avec violence la bouteille sur le parquet luisant, il s'élança le long du couloir en poussant des grognements caverneux et en émettant une affreuse lumière verdâtre.

Oui, la Mort. Comme la Mort doit être belle! Reposer dans la terre molle et brune, tandis que les herbes vous ondulent au-dessus de la tête, et écouter le silence. N'avoir pas d'hier, et pas de demain... Oublier le temps, oublier la vie, être en paix...

À dix heures et demie, il entendit la famille aller se coucher. Pendant quelque temps il fut dérangé par les éclats de rire déchaînés des jumeaux, qui, avec la gaieté insouciante des écoliers, s’amusaient manifestement avant de se retirer pour la nuit ; mais à onze heures et quart, tout était silencieux, et, aux douze coups de minuit, il se mit en route.

Le ministre des États-Unis fut naturellement un peu contrarié de constater que son cadeau n'avait pas été accepté.
_ Je n'ai nul désir, dit-il, de causer le moindre mal à ce fantôme, et je dois vous faire observer qu'étant donné le nombre de siècles qu'il a passés dans ces murs, j'estime qu'il n'est pas du tout poli de lui lancer des oreillers.

Remarque fort juste, que les jumeaux, je regrette d'avoir à le dire, accueillirent avec des éclats de rire.

Il m'a fait voir ce qu'est la Vie, ce que signifie la Mort, et pourquoi l'Amour est plus puissant que l'une et que l'autre.