Vous vous souvenez tous du prof de maths commençant son cours d'un "Vous verrez, c'est facile!"? On savait alors qu'on avait du souci à se faire. Ben là, pareil. Francis Wolff annonce tout de go: ""
Pourquoi la musique?" est un livre de philosophie qui porte sur la musique. Que ceux qui n'ont aucune compétence en ces deux disciplines se rassurent." Vous l'aurez compris: le lecteur qui n'a aucune compétence ni en musique ni en philosophie (au hasard moi) peut commencer à baliser sévère: il va en chier.
L'auteur ne nous épargne rien. Après avoir repris la bonne vieille définition de la musique comme "l'art des sons", il regarde son lecteur dans le blanc des yeux et embraye. Alors: qu'est-ce qu'un art? Et d'ailleurs: qu'est-ce qu'un son?
Je mentirais donc en affirmant que j'ai tout lu. Certes, j'ai tout déchiffré (chez moi, ça relève de la psychiatrie: pas sûr que j'aie déjà jeté une boîte de céréales sans avoir épelé et la composition du produit et l'adresse du fabricant), mais je n'ai pas tout compris...
Mais ce qu'il m'en reste valait quand même la peine que je gravisse sinon cet Everest du moins ce Mont Cervin. (Vous êtes partis en vacances récemment? Moi non plus. Alors je compense comme je peux). Si l'ouïe peut être considérée comme notre premier système d'alerte (un son est produit non par une chose en elle-même mais par le mouvement auquel elle a été soumise; entendre, c'est par conséquent apprendre qu'il se passe quelque chose), la musique est donc l'art le plus émotionnel, le plus apte à suggérer, voire à susciter, la joie, la peur ou la tristesse. Peut-être le plus intellectuel, aussi: puisque dans le monde ainsi créé, le bruit s'est fait son, c'est-à-dire qu'il exprime des événements indépendants de toute origine (il ne me dit rien du monde sensible); et que l'organisation de ces sons est pure rationalité : chaque note, chaque mesure, est justifiée par la précédente et justifie la suivante.
Et comme la musique est l'art des sons, je recommande particulièrement la version numérique de l'ouvrage qui propose l'écoute d'oeuvres diverses illustrant le propos de l'auteur. Ça ne permet pas toujours de mieux comprendre mais c'est agréable (quoique les regards exaspérés de mon homme tiré de son premier sommeil pussent faire croire le contraire. J'ai essayé de lui expliquer que la musique offrait un substitut au repos: un "mouvement prévisible". Il m'a répondu que je lui avais déjà dit qu'il était prévisible et que ça n'avait pas l'air d'être un compliment.)
Bref. Je dois dire que j'ai surtout préféré la deuxième moitié de l'ouvrage qui analyse la musique au regard des autres arts pour mieux expliquer en quoi elle représente beaucoup plus qu'elle ne reproduit, même si les partisans de l'art atonal et autres thuriféraires de Schönberg ont cherché à fuir la représentation en supprimant la prévisibilité (j'ai adoré la formule suivante: "écouter quand même, si l'on peut, de Brian Ferneyhough, "String trio"; morceau qualifié de "musique faite pour être composée et non pour être écoutée").
Le livre se clôt sur une typologie des arts. S'exprimer nécessite des verbes, des noms et des pronoms personnels. Aussi la musique renvoie-t-elle aux événements, qu'elle représente dans leur causalité; les arts visuels aux choses, qu'ils essentialisent ; et la littérature aux personnes agissantes dont elle construit l'identité.
Voilà donc pourquoi je préfère les livres: parce qu'ils ne se contentent ni de l'immobilité de l'image, ni du dynamisme de la musique, mais qu'ils nous permettent de trouver un lien entre chacun de nos actes singuliers, d'apercevoir la permanence dans le changement ( à moins que ce ne soit le contraire). Donc la littérature est l'art le plus complet, le plus humain et si certains ont des doutes quant à la véritable conclusion de cet ouvrage érudit, je suis d'accord pour qu'on en discute. Mes aimables contradicteurs voudront bien d'abord s'avaler l'opuscule susdit, ça devrait me laisser le temps de peaufiner mes arguments.