Le clan du sorgho

Âmes héroïques, injustement massacrées, qui planez au-dessus des sorghos rouges à l'infini du pays natal, par ce livre c'est vous que respectueusement j'invoque. Petit-fils indigne je suis pourtant prêt à m'arracher un cœur imbibé de sauce de soja, à le hacher menu et à le répartir en trois bols, que je disposerai au milieu des champ. daignez, ô daignez en accepter l'humble offrande.

L'homme éminent est celui qui comprend son temps,l'oiseau intelligent choisit l'arbre dans lequel il fera son nid, un authentique héros choisit le maître qu'il suivra.

Dans les eaux peu profondes de ses bords (de la rivière) ,elles (les juments) se prenaient dans les herbes, leurs ventres gonflaient sous le soleil jusqu'à exploser, leurs boyaux luisants s'épanouissaient comme des fleurs et le jus vert foncé qui s'en échappait suivait le fil de l'onde.

Cette région de Gaomi, je l'ai beaucoup aimée, et tout autant haïe. Ce n'est que plus tard que j'ai enfin compris : Gaomi, c'est le plus beau pays du monde, et c'est aussi le plus laid, le plus serein et le plus terre-à-terre, le plus pur et le plus corrompu, le plus héroïque et le plus lâche, le pays des pires ivrognes et des meilleurs amoureux. Ceux qui sont nés sur cette terre se nourrissent du sorgho que tous les ans ils plantent. Au coeur de l'automne, les vastes champs ne sont plus qu'un océan de sang. Sorghos serrés resplendissants, sorghos frêles et gracieux, fougueux et émouvants. Quand le vent se fait frais, quand la lumière éclate, des nuages pommelés flottent dans le ciel tuile de bleu. Des ombres pourpres lisent sur le sorgho. Inlassablement, les taches sombres des groupes d'hommes tendent leurs filets entre les tiges. Capables de tuer pour voler, entièrement dévoués à leur patrie, ils ont été les acteurs de tragédies héroïques et nous, aujourd'hui, petits enfants indignes, nous savons bien le fossé qui nous sépare d'eux. Plus je mûris et plus je sens cette décadence humaine.

Le dernier fil qui la reliait à l'existence est sur le point de se rompre, tous les soucis, tous les maux, toutes les peines sont tombés dans les champs, comme des grêlons sur les épis, prenant racine dans la terre noire pour que s'ouvrent les fleurs, mûrissent les fruits amers que les générations à venir cueilleront. Grand-mère a achevé sa libération. Elle s'envole dans le sillage des colombes. Dans ce dernier poing fermé qui lui reste de pensée consciente, c'est un débordement de joie, de paix, de tendresse, de bien-être et d'harmonie. Comblée, elle murmure dans un élan de piété :
- Ciel ! Ô ciel...

"Elle n'en peut plus de fatigue, la poignée glissante du présent, cette poignée du monde humain, lui échappe des mains. C'est ça, la mort ?"