Tu m'expliques aussi ce qu'est la synesthésie, ou la mise en couleur des mots et des sons, cet espace étrange auquel je n'aurai jamais accès et où tu passes ta vie.
Je n'ai pas compris à quel point le curseur de tes émotions et de tes sensations est poussé à l'extrême, en permanence et sans répit.
Pas compris à quel point tout ce qui est facile pour la plupart des gens est difficile pour toi, te poussant sans cesse à chercher de nouvelles stratégies, jusqu'à l'épuisement.
Pas compris à quel point chaque journée est un Everest à gravir avec trois bouteilles d'oxygène quand il en faudrait cinq, et que tous les jours tu te débrouilles avec ça comme tu peux. Que parler à un inconnu dans la rue ou à ta voisine de palier est déjà un petit défi qui t'éreinte, mais si brillamment relevé que personne ne se douterait des efforts que cela exige de toi, à chaque fois.
Que le moindre changement dans la routine de tes journées te paralyse, te stresse ou t'expose à la douleur.
Que tu dois, sans cesse, analyser, reprendre, reformuler tout ce que tu vois et entends pour parvenir à le comprendre.
Que tu es souvent saturée par trop d'informations que tu ne sais pas traiter de manière globale et satisfaisante. (p.42-43)
Mais autiste Asperger, c'est pas une maladie, hein ! ça ne se soigne pas. C'est une manière atypique de voir et d'entendre le monde, de l'appréhender et d'interagir avec lui. Cela dit, il faut vivre avec cette différence-là, et ça, c'est pas facile... ça peut même être très handicapant parfois. (p.48)
"Tu comprends rien, Yannick, tu vois rien, tu sais rien. Je suis autiste, bordel, Yannick, autiste ! Tu sais ce que ça veut dire, non ? Je pourrai jamais être comme toi, ni comme personne, alors tes émerveillements sur mes supposés talents et sur mes compétences, tu sais ce qu'ils cachent ? Tu sais la merde qu'il y a derrière ? Et comment j'en crève ? Tu sais ça ?" (p.41-42)
Je te sens parfois si frémissante dans cet univers de sensations exacerbées, ton rire devant le reflet d'une flaque d'eau, tes larmes pour une musicienne de rue, ton coeur battant face aux beautés que je ne sais pas voir. (p.38)
Quand on met des masques pour avancer dans la vie, il est parfois insupportable qu'un autre les décolle, même avec tout son amour. (p.29)
J'ai une voix d'homme. Non, je ne devrais pas le dire comme ça... J'ai une voix grave. Un peu trop grave pour une tessiture féminine. Au téléphone, personne ne peut deviner si je suis une fille ou un garçon. Si on me demande mon prénom, je dis Yannick, et ça n'arrange pas les choses. (p.14-15)
Les mêmes qui m'ont dit : "Ah bon ? T'es une fille qui aime les filles, toi ?" Et à qui j'aurais voulu crier : Non ! Je n'aime pas LES filles, pas plus que je n'aime LES garçons. LES filles, ça veut rien dire, LES filles...
C'est toi que j'aime, Brune, c'est tout. (p.8)