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Bri est décédée en mars 2006, après des années de combat. La Grande Faucheuse semblant hésiter, on lui a donné un petit coup de main. Et ce sont les deux filles de Bri, Liv et Yvla, qui s'en sont chargées, préparées depuis des années au choix de leur mère, c'est à dire aucun acharnement...
En ce mois de juin, dans les allées du cimetière, Ylva et sa petite famille viennent saluer Bri en ce jour particulier. Grishka, son mari, la soupçonne de vouloir éviter la cérémonie religieuse. Chose qu'elle réfute même si voir son père se remarier si peu de temps après le décès de sa mère la bouleverse. C'est une journée, évidemment, éprouvante pour les deux soeurs. Ce sera aussi l'occasion de se remémorer leur maman, certains de leurs souvenirs mais aussi les derniers instants avec elle, dans sa chambre d'hôpital alors qu'elle est plongée dans un coma artificiel. Alors qu'il n'y a aucune chance que son état se rétablisse, le médecin leur propose alors de l'aider à mourir. Par amour pour leur mère, les deux soeurs acceptent sachant par avance combien cela va leur être dur à vivre...

Inspiré de faits et d'événements réels, cet album, profondément intime mais ô combien universel, traite, avec beaucoup d'émotions de la fin de vie (d'ailleurs, il est dédié à la mémoire de Vincent Lambert). Zelba raconte, avec pudeur, ce que sa soeur et elle ont fait pour leur mère, Bri, malade des poumons depuis de nombreuses années. Dans le seul but de respecter sa fin de vie, elles l'ont aidé à mourir. Elle dépeint aussi, à l'aide de flashbacks, certains pans de son passé, donnant ainsi de la profondeur à ses personnages. Très émouvant, mais aussi empreint d'humour et de dérision, cet album, qui donne la voix à Zelba mais aussi Bri, montre combien ce choix est difficile à prendre mais ô combien important afin de respecter les dernières volontés du malade. Partagées entre la culpabilité, le chagrin, le déchirement, c'est un long parcours et cheminement qui attend les deux soeurs. Il aura d'ailleurs fallu 13 ans d'incubation et 15 mois de réalisation à l'auteure pour coucher sur papier cette « expérience ». Graphiquement, elle fait montre d'originalité en passant de la couleur au gris/bleu et fait revivre sa mère au coeur de ces pages par un effet de transparence. Par ce témoignage, Zelba, qui milite pour que chacun soit libre de choisir de mourir comme il l'entend, ne juge pas mais incite, évidemment, chacun à se demander ce qu'il ferait, aussi bien pour un proche que pour soi-même.
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Parfois, il y a des rencontres comme ça, des rendez-vous, qui ne s'expliquent pas...
Zelba, je l'ai rencontrée il y a quelques jours sur un salon, je ne saurais pas vraiment vous dire pourquoi.
Sans doute une évidence.
Un regard, quelques mots, aucune de nous deux, ne sommes de grandes bavardes.
Pas eu besoin de faire la queue pendant des heures, d'être tirée au sort, pour obtenir le plus enviable et somptueux des dessins.
Mais aujourd'hui, en découvrant Mes mauvaises filles, c'est SON histoire qu'elle m'a confiée, qu'elle nous offre à tous.
Un douloureux moment de sa vie... Une décision que nous pouvons tous être amené à prendre, à supporter un jour.
Je sais aujourd'hui pourquoi je l'ai rencontrée.
Et cela vaut mieux que tous les plus beaux dessins du monde.
J'ai pleuré.
Beaucoup, beaucoup.
Toutes les larmes de mon corps...
C'était fort.
C'était beau.
Trop fort en émotions. Vraiment.
C'est... la plus douloureuse preuve d'amour.
Quel bel hommage à sa maman...
Zelba, merci.
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Plusieurs voix se mêlent dans ce roman graphique bouleversant où l'auteure partage avec nous une expérience à la fois très intime et très universelle. La première voix est celle de Bri, celle qui n'est plus là. Elle nous explique qui elle est et comment elle concevait la vie et, au final, sa mort. Viennent ensuite ses filles, la trentaine, qu'elle observe. Liv, l'aînée, toute en retenue, et Ylva, plus démonstratrice et sans langue de bois. Les deux soeurs se retrouvent pour le mariage de leur père, quelques mois après le décès de leur mère qu'elles ont aidée à mourir. Au fil des souvenirs et des flash back, c'est toute une vie qui se déroule et aussi un choix affirmé depuis longtemps.

Je découvre Zelba, auteure de bandes-dessinées et illustratrice, avec ce livre très personnel où elle revient sur le décès de sa mère Bri. Sa mère, malade depuis de très longues années, avait très clairement expliqué à ses filles qu'elle ne souhaitait aucun acharnement thérapeutique au moment venu. Avec sa soeur, l'auteure a donc accompagné sa mère jusqu'au dernier instant. Zelba milite pour que chaque être humain puisse choisir les conditions de sa mort afin de partir en toute dignité. A travers son histoire, elle pose donc un regard sur un droit qui concerne chacun, que l'on soit directement ou indirectement concerné. Elle montre aussi combien ces derniers instants, pour les enfants, soulèvent à la fois un mélange de culpabilité, de chagrin et de soulagement. Séparation, deuil, continuité… le chemin est long. Ce n'est pas facile à lire car forcément, l'histoire de Bri et ses filles, beaucoup de familles la vivent. Mais c'est aussi quelque part un partage qu'on apprécie car au final, l'auteure sait aborder ce sujet grave avec délicatesse, tendresse et humour. Ses dessins colorés et ses personnages sympathiques sont agréables. Pas de message militant ici, juste un « retour d'expérience » qui révèle combien la fin de vie est un élément de la vie elle-même. Si elle est réussie, chacun demeure en paix.
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Il lui a fallu du temps.
Il lui a fallu du courage aussi.
L'histoire que raconte Zelba dans cet album, c'est la sienne.
Celle qu'elle partage avec sa soeur.
Celle de sa mère.
D'ailleurs, c'est le regard de celle-ci sur ses filles qui est retranscrit ici.
Zelba a imaginé que sa maman les appelait, avec ironie bien sûr et amour surtout, ses mauvaises filles.
Parce que Bri, elle a décidé, elle sait ce qu'elle veut.
Elle est malade.
Depuis longtemps, condamnée.
Donc, elle a été claire dès le début, pas d'acharnement thérapeutique.
Mais pour ça, il faut que ses filles prennent une décision.
La décision finale est pour les "mauvaises filles".
Pour avoir vécu une situation similaire il y a quelques mois, je sais de quoi elle parle, Zelba.
La lecture de cet album ne fut pas toujours facile, des images reviennent, des émotions, partagées avec l'autrice.
Pour autant, il y a de la légèreté dans son récit, parce que la vie est faite de choix difficiles, de drames, mais aussi de joies et de moment de bonheur dont on aime se souvenir.
Zelba aime se souvenir des jours d'avant, qu'elle partage avec ses lecteurs, comme elle partage les moments de peine et les larmes, mais elle nous dit aussi que la vie continue.
Un album magnifique, puissant, sur un sujet sensible, de ceux qui font réagir.
Et vous que feriez-vous ?
Je vous rassure, il y a beaucoup de sourires aussi dans cette histoire, parce que les gens qui partent nous transmettent aussi ce message : Souvenez-vous des bons moments et souriez à la vie, vous êtes vivants et nous veillons sur vous...
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Ce roman graphique est exceptionnel. La mort assistée est abordée avec un ton libre et juste qui libère .
Quand arrivera le soir du grand jour, je nous souhaite de mauvaises filles à nos côtés.

C'est une famille où il y a tellement d'amour que l'humour est possible, même s'il est souvent féroce. Deux filles avec des personnalités presque opposées affrontent la fin de vie de Bri, leur mère en 2006.

Bri, est suivie depuis des années pour un grave problème de santé. Elle a toujours averti ses troupes et l'hôpital : pas d'archarnement thérapeutique si..Elle refuse d'être intubée ou reliée à un appareil à oxygène.
Il y a un amour fou de la vie et des personnes dans ce récit singulier.
Rien ne passe pourtant à la trappe ; ni sa terrible agonie de 12 minutes, ni le discours commercial des Pompes Funèbres, ni la culpabilité qui assaille les deux filles, ni les discours à la con de certains..
On y parle de Christophe Lambert.
Nous sommes nombreux à redouter une agonie douloureuse, longue et indigne..Il nous faut encore militer pour que la loi évolue comme nous l'avons fait, il y a plus de 50 ans pour la contraception et L'IVG..
À lire et à faire lire.

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Cet album d'autofiction de Zelba m'a bouleversée. Cette auteure que je découvre, s'inspire de sa propre histoire pour nous amener comme lecteurs sur le terrain émotif de l'aide à mourir. Et c'est réussi.

Avec de magnifiques dessins et illustrations, aux couleurs chaudes, en alternance avec le noir et blanc selon les situations, Zelba rend le partage de la mort encore plus vivant.
J'ai tout aimé de cet album. de la référence à l'oiseau qui nourrit ses oisillons à la liberté de jouer au bord de la falaise, Zelba sait communiquer le caractère bien trempé de Bri tout en préservant son lien maternel.
Deux filles, deux soeurs, qui doivent abréger les souffrances de leur mère, se remémorent des pans de vie, la plupart heureux, certains moins joyeux. Comme dans plusieurs familles, les souvenirs sont biaisés en fonction du parent et/ ou de l'événement; mais l'affection et l'humour sauvent la plupart des situations.
La mort assistée survient en 2006, après de nombreuses années d'une maladie qui marque les filles. Au point que la question n'est pas la prolongation à tout prix mais comment y mettre fin. Comment donner la mort à celle qui a donné la vie.
« L'aider à partir en toute conscience est sans doute moins insupportable que de la perdre un jour… par mégarde. »

Ce n'est pas une décision facile et les filles de Bri sont elles-mêmes des mamans. On sent l'attachement et l'envie de rendre justice à une mère qui n'aurait pas accepté d'être diminuée et maintenue en vie. Cette décision n'est pas facile et va à l'encontre des principes élémentaires de vie.
« Les enfants ne veulent pas régler les problèmes de leur maman. Ils veulent être protégés par elle. »

Le fantôme de Bri me tient compagnie depuis ma fin de lecture. C'est bienveillant…
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Comment fait-on pour décider du moment de la mort de quelqu'un ?
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Zelba pour le scénario, les dessins, les couleurs, le lettrage. Il s'agit d'une bande dessinée de 150 pages.

Au temps présent, l'esprit de la défunte Bri évoque le livre Chronique d'une mort annoncée, de Gabriel Garcia Marquez, se disant qu'elle n'en connaîtrait jamais la fin. Elle avait toujours bien aimé ce titre, bien avant qu'il ne rime avec sa propre fin de vie : maladie chronique avec mort assistée, c'est pas terrible comme titre. de toute façon, elle a toujours préféré les débuts aux fins, les bourgeons prometteurs aux fleurs fanées. Au début tout est beau, et si ça part, on peut rectifier le tir. Réussir sa fin est plus compliqué. Une vielle dame passe avec son chien et son arrosoir, devant la tombe de Bri, 11.9.1948 – 3.3.2006, alors qu'un rouge-gorge vient de se saisir d'un asticot et l'emmène à ses oisillons pour leur donner la becquée, dans le nid posé au creux d'une statue d'ange. La voix désincarnée poursuit sa réflexion : elle adore l'idée d'avoir donné la vie à celles qui allaient lui donner la mort. Dans l'allée menant à cette tombe, arrivent Ylva, la cadette de Bri, avec son mari Grishka et ses deux enfants Olga & Laslo. Ils viennent se recueillir sur la tombe de Bri, alors que Grishka essaye de faire promettre à sa femme qu'elle se conduira correctement pour la cérémonie de remariage de son père qui doit se dérouler le matin même.

Devant l'église, Liv, l'aînée de Bri, attend l'arrivée de sa soeur en compagnie d'Omi, une dame âgée, la belle-mère de Bri. Omi est une belle-mère à faire mentir les contes de fée : pas une once de méchanceté, par l'ombre d'une jalousie mal placée, Bri l'appelait maman. Liv est divorcée d'un homme qui voulait faire d'elle une jolie plante verte posée dans la cuisine. Ça a tenu quelques années parce que Liv et sa mère ont une faiblesse : se laisser entretenir tout en rêvant d'indépendance. Paradoxal en effet. Depuis Liv s'est réveillée, a repris son travail de kinésithérapeute et a claqué la porte. Devant l'église, une amie de la famille s'approche de Liv et lui parle de l'état de la tombe de sa mère. Au cimetière, Ylva est au bord des larmes, alors que le soliloque de Bri reprend, se disant que ce ne sont pas les vivants qui manquent aux morts mais le contraire, qu'elle avait apprécié que son hépatologue ait plus d'humour que ses collègues en pneumologie pour lui annoncer son diagnostic quant à l'hépatite C et l'état de ses poumons. Sylva prend une petite fleur sur la tombe de sa mère et la met dans ses cheveux, puis il est temps de se rendre à la cérémonie de re-mariage. Elle est accueillie avec soulagement par sa soeur, avec des remarques sans filtre par Omi qui lui demande ce qu'elle a fait avec ses cheveux, et pourquoi elle est sortie en chemise de nuit. Elle est surprise qu'on n'est jamais appris à Ylva que lors d'un mariage, seule la mariée s'habille en blanc. Puis elle demande si la naissance est pour bientôt : elle a perdu la mémoire concernant la venue au monde de Laslo il y a deux mois.

Le début de cette bande dessinée s'avère un peu étrange. Un titre qui dénigre les filles d'une mère, et une très belle utilisation du vernis sélectif pour le spectre de la mère. Une scène d'introduction dans un cimetière pour évoquer un (re)mariage et une voix désincarnée : celle de la défunte. Dans le même temps, l'oiseau donnant la becquée à ses oisillons est d'un naturalisme remarquable, et la mise en couleurs est extraordinaire, évoquant la technique de la couleur directe complétant harmonieusement les formes détourées avec un trait encré. Les décors sont représentés avec un précision et texture, un bon niveau descriptif, et les traits de visage des êtres humains sont un peu appuyés ce qui les rend plus expressifs et plus vivants, avec là encore un bon niveau de détails, ce qui ne crée pas de solution de continuité avec l'environnement dans lequel ils évoluent. le lecteur est pris au dépourvu par la franchise d'Ylva et son humour, ainsi que par Omi et ses absences de mémoire. Cette scène au présent est en couleurs, et le récit passe en noir & blanc avec des nuances de gris pour le passé. le lecteur est vite séduit par le naturel d'Ylva, de son mari, de ses enfants, de sa soeur Liv, ressentant la chaleur humaine des relations familiales, la banalité et le caractère unique de cette famille, appréciant les commentaires de la défunte, présentant les unes et les autres, avec un regard aimant assorti de quelques pointes d'humour.

Rapidement, le lecteur se demande si c'est un récit autobiographique ou une autofiction, s'il doit voir Zelba dans le personnage d'Ylva, évoquant le souvenir de sa propre mère, ou s'il s'agit d'une reconstruction. Dès le début, il se rend compte que cette interrogation passe en arrière-plan grâce à l'authenticité des émotions. La direction d'actrices et aussi des acteurs, est remarquable, d'une rare justesse et finalement peu importe s'il s'agit d'une reconstitution authentique ou d'un roman, car la justesse des personnages et de leur propos atteste de la véracité du vécu. Cette question perd tout son intérêt au bout de quelques pages. En fait cela permet de créer une petite distance salutaire, sans diminuer en rien l'impact émotionnel de la narration. Faire parler la mère défunte est un dispositif narratif assez gonflé : un enfant devenu adulte qui imagine les pensées de sa mère, une autre adulte plus âgée avec une expérience de vie différente, ne serait-ce que pour la maladie, et le décalage d'époque. C'est tout à l'honneur de l'autrice de réussir ce pari, de faire ainsi s'incarner l'esprit de la défunte, la rendant plus présente, plus personnifiée y compris dans la phase où elle n'est plus qu'un corps sans conscience.

Le lecteur suit donc bien volontiers les deux soeurs pendant la cérémonie et le repas, se sentant un invité à sa place, ayant loisir de faire connaissance avec les uns et avec les autres, et pouvant regarder autour de lui grâce aux dessins. Puis le récit revient en 2006, alors que Bri vient d'être hospitalisée dans le coma à 57 ans. La narration visuelle reste douce et concrète, sans prendre en otage les émotions du lecteur, sans virer au mélodrame, tout en montrant bien l'état de santé de Bri. Alors que Liv s'occupe des formalités matérielles, Ylva prend le train depuis la France pour la rejoindre à l'hôpital en Allemagne. En noir & blanc avec des nuances de gris, le récit raconte alors les heures qui suivent, entrecoupées de quelques souvenirs qui sont en couleurs. Parmi ces souvenirs : Bri expliquant à ses filles qu'elle ne veut pas finir branchée 24 heures sur 24 à une machine, Bri rencontrant un autre homme après son divorce, Ylva et Liv se racontant chacune d'un souvenir avec leur mère.

Pour autant, il ne s'agit pas d'un récit lisse ou d'un long fleuve tranquille. En page 8, le lecteur est pris au dépourvu par une simple phrase : j'adore l'idée d'avoir donné la vie à celles qui vont me donner la mort. Avant de découvrir le contexte de l'acte de mort assistée, cette phrase semble relever d'une forme de cruauté. Après avoir fait la connaissance d'Omi et de ses pertes de mémoire, le lecteur tombe sur une petite phrase d'une rare honnêteté sur les femmes entretenues rêvant d'indépendance, qui semble même sévère au regard des personnages qu'il voit évoluer. Il apprécie également la finesse avec laquelle l'autrice met en scène la manière dont la nouvelle épouse se heurte à la connivence existant entre le père et ses filles, issue d'années de vie de famille. Il n'y a pas de volonté de se montrer désagréable, juste les habitudes communes. Il se crée progressivement une familiarité et une réelle intimité entre lui et les deux soeurs même s'il ne sait pas tout de leur vie. Il est donc émotionnellement impliqué et en pleine empathie quand elles s'assoient dans le cabinet du docteur Keller à l'hôpital. Il explique posément les règles de l'assistance au décès, rendant concret le processus. En sortant de la pièce, Ylva fait remarquer que les tâches à accomplir incombe à l'aînée, que c'est elle qui va commettre le matricide. le lecteur se souvient de la petite phrase sur celles qui vont donner la mort, et toute l'ampleur de cette transgression s'impose à lui. Les heures se passent jusqu'à l'heure programmée et il faut passer à l'acte. À nouveau, l'autrice reste à un niveau pragmatique, avec une narration visuelle tout en retenue, sans mélodramatisation, et le lecteur se retrouve ainsi à se projeter dans la situation, ressentant son propre désarroi si c'était à lui de le faire. La mort se produit aux deux tiers de la bande dessinée, et la vie continue.

Sans effet de manche ou d'exagération tire-larme, Zelba a placé le lecteur devant ce choix et cet acte. La douceur et la prévenance de la narration visuelle n'occultent en rien l'ampleur de la transgression que constitue l'acte de donner la mort, de mettre fin à une vie. Il y a à la fois l'énormité pour les filles de devoir tuer leur mère, à la fois le processus d'agonie une fois l'acte commis, à la fois le jugement de certaines personnes dans l'entourage. S'il arrive avec ses propres convictions déjà établies, il est vraisemblable que cette histoire ne le fera pas changer d'avis qu'il soit farouchement opposé à l'assistance au décès, ou au contraire déjà convaincu de son bien-fondé. S'il ne s'est jamais posé la question, ce témoignage lui permet de prendre toute la mesure du tabou de tuer, de cette valeur de la société qui est de préserver la vie à tout prix, et de l'énormité transgressive qu'il y a à aller contre cette valeur fondamentale implicite dans tellement de facettes des sociétés humaines. Zelba en rajoute une couche dans la postface, en 7 pages de bande dessinée. Elle évoque la fin de vie de Vincent Lambert (1976-2019) dont un accident de la route a mis fin à l'existence consciente en 2008. le lecteur peut voir l'autrice, son mari et une invitée se réjouirent de la mort de Vincent Lambert, à nouveau une réaction éminemment transgressive. Elle met ainsi clairement en scène ses propres convictions, et les explique, tout en laissant le lecteur libre de sa propre opinion.

Le lecteur part pour une bande dessinée dont il sait qu'elle ne sera pas forcément facile au vu de son thème. Il a tout faux : la lecture est très agréable, à la fois pour la narration visuelle détaillée et vivante, organique et naturelle, à la fois grâce à l'humour d'Ylva et de sa mère. le registre naturaliste se tient à l'écart de toute tentation mélodramatique, et l'autrice l'utilise à merveille pour que le lecteur puisse ressentir cette expérience humaine de devoir donner la mort à un proche. Il n'y a pas de leçon de morale ou même de prosélytisme : c'est une expérience de vie relatée avec une honnêteté extraordinaire, permettant de comprendre et de ressentir le choix des filles de Bri, à la fois pour leur mère, à la fois dans les différentes facettes de cet acte transgressif au regard de la valeur donnée à la vie humaine dans la société. Une réussite exceptionnelle.
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Bri raconte ses dernières heures. Atteinte aux poumons, le pronostic est sans appel. C'est la fin. Entourée de ses deux filles, et de l'équipe soignante de l'hôpital qu'elle côtoie depuis plus de 15 ans, elle va être euthanasiée.

L'euthanasie en Allemagne, c'est une hypocrisie consternante. le médecin montre aux proches les "gestes à faire"... et il se retire. Les gestes? Retirer le masque à oxygène, laisser la malade s'étouffer doucement, et augmenter la dose de morphine pour qu'elle ne souffre pas trop. En prévision de ces derniers instants, on aura veillé à sous-hydrater la malade, car on ressent moins la douleur en cas de sous-hydratation...

Ces gestes, ce sont les filles de Bri qui vont les accomplir... ou du moins, c'est ce qu'elles projettent. Mais c'est complexe. Impossible. Comment mettre fin à l'existence de sa propre mère? Alors, c'est le médecin qui passe, en catimini, et "soulage" tout le monde. Les filles ont pris soin de prévenir tous les proches pour qu'ils passent pour un dernier au revoir.

Dit comme cela, c'est pesant, lourd et indigeste. On ne va pas se cacher la vérité non plus. Une euthanasie, ce n'est pas la kermesse aux boudins.

Zelba est la fille de Bri. C'est dire si le récit pourrait être chargé d'émotions impossibles à gérer pour le lecteur. Mais non. Elle fait un gros travail sur le récit pour que les choses soient assimilables aisément. L'humour est omniprésent. Les larmes aussi, mais ce sont des larmes d'amour. Zelba va aussi entrecouper l'euthanasie de moments divers, comme le remariage de leur père, l'évocation de moments forts de leur jeunesse, des moments intimes entre soeurs... le mot est lâché donc: intime... Oui, il y a une sorte d'intimité dans le récit de Zelba, car ce sont des moments qui appartiennent à celles et ceux qui les vivent.

Mais la force de Zelba est -justement- de rendre cette intimité universelle. La gestation de cette BD a duré 13 ans, c'est le jour de la mort de Vincent Lambert, le 11 juillet 2019 que Zelba décide de raconter son expérience, son vécu. Elle accomplit un tour de force considérable qui apporte ce supplément d'humanité que je recherche dans toute lecture. Pour avoir vécu plusieurs fins de vie dans des conditions les plus diverses, j'ai trouvé dans le récit de Zelba un souffle rassurant, une force tranquille, une empathie dont devraient s'inspirer beaucoup de médecins, qu'ils soient oncologues ou généralistes.
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Nombreux sont les artistes qui s'interrogent dans notre société vieillissante sur un sujet clivant et dérangeant : celui de la mort assistée. Ainsi, est sorti, il y a quelques mois, l'album « En toute conscience » d'Olivier Peyon et Livio Bernardo sur l'action de l'association « Ultime liberté ». L'oeuvre autobiographique d'Emmanuèle Bernheim « Tout s'est bien passé » vient, quant à elle, d'être adaptée au cinéma par François Ozon. Zelba a décidé d'apporter également sa pierre à l'édifice en témoignant de la fin de vie de sa mère dans son roman graphique « Mes mauvaises filles » paru aux éditions Futuropolis.

Elle poursuit alors la veine autobiographique entamée il y a deux ans avec « Dans le même bateau » qui racontait sa jeunesse et sa vie d'athlète de haut niveau au temps de la chute du mur. Y apparaissaient déjà sa soeur aînée, son père, Omi et sa mère dont elle évoquait les problèmes de santé. Cette fois, elle choisit cependant de se démarquer de son ouvrage précédent en changeant les prénoms des protagonistes afin d'instaurer une certaine distance et d'éviter tout pathos. Elle réussit brillamment à ne pas tomber dans cet écueil en donnant aussi la parole à sa mère qui devient la narratrice du récit comme le souligne le titre ironique.
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C'est la grande richesse de cet album : il est à la fois très drôle et très sensible. L'autrice déclare qu'elle a « essayé d'y mettre plus de lumière que d'ombre » et elle y est parfaitement parvenue ! Bri, sa maman, a un humour caustique et le livre échappe ainsi à la morosité et à la mièvrerie. On retrouve le procédé cher à Marc Cherry dans « Desperate Housewives » : du haut de l'au-delà, la narratrice commente les faits et gestes de ses proches.
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Si l'album s'est crée au fil de la plume, il est cependant très structuré : on a un récit cadre qui se déroule 4 mois après le décès de Bri au moment du remariage du père – du matin de la cérémonie au soir de la réception – et un récit encadré, celui de la nuit précédant la mort programmée de la mère ou les deux soeurs vont évoquer leurs souvenirs et s'épauler pour trouver le courage de réaliser cet ultime et combien difficile geste d'amour : donner la mort à celle qui leur a donné la vie…
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Le lecteur n'est jamais perdu dans les différents moments du récit grâce à un somptueux travail sur la couleur : la journée de mariage qui marque le retour à la vie des deux soeurs ainsi que les jolis souvenirs lors de la veillée à l'hôpital donnent lieu à de nombreuses pages très colorées tandis que les parties se déroulant à l'hôpital sont dessinées dans un lavis gris-bleu et qu'un jeu de transparence et une monochromie jaune pâle matérialisent la présence de l'absente.
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Dans ce récit fort les relations familiales sont très bien mises en lumière : on y retrouve tout l'amour sororal déjà présent dans « Dans le même bateau » et de magnifiques relations mère-filles-petites-filles. Les relations plus complexes avec le père ou la belle-mère italienne sont aussi subtilement décrites. L'autrice nous propose toute une galerie de personnages imparfaits mais attachants et n'hésite pas non plus à égratigner certains donneurs de leçons en leur offrant un faciès plus caricatural. La journée de mariage aux dialogues multiples et enlevés ne déparerait pas dans une comédie italienne. Certaines scènes sont franchement comiques et alternent avec des moments de confidence plus mélancoliques. Il y a un peu d'Alfred en Zelba !
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Mais l'artiste, mine de rien, met également en lumière les séquelles psychologiques que cet acte non anodin et hors la loi peut générer chez les accompagnants avec beaucoup de finesse et de pudeur. Ainsi le titre peut se comprendre à deux niveaux : les deux protagonistes ont pu intégrer les diktats sociétaux et se considérer comme « mauvaises ». Alors sont mis en évidence le doute, la peur et la culpabilité qui les étreignent et la difficulté à agir dans un tel contexte. D'ailleurs l'agonie de la mère est « figurée » de façon très poétique et terrible dans une double page qui évite tout voyeurisme et provoque une véritable déflagration. L'émotion atteint son comble quand on découvre à la fin du livre une galerie de photos. le lecteur devient ainsi littéralement « proche » de Bri : il a l'impression de feuilleter un album de famille et ne peut qu'adhérer à sa démarche et à celle de ses filles…
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Un tel traitement me semble finalement bien plus fort et plus marquant qu'une diatribe politique ! Mais comme dans « Dans le même bateau » où Zelba se livrait à des explications sur son sport et la réunification dans des pages en couleur qui tranchaient sur le reste, on a aussi un plaidoyer « en règle » dans une postface dessinée « documentaire » et documentée en noir et blanc qui raconte la genèse de l'oeuvre liée à la mort de Vincent Lambert et replace cette « petite » histoire personnelle dans la grande Histoire des avancées mondiales de la législation sur la mort assistée. Cet aspect didactique et factuel renforce l'argumentation et confère in fine au livre une dimension militante assumée.
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A tous ceux qui assimilent la bande dessinée aux petits Mickey, j'ai envie de mettre entre les mains « Mes mauvaises filles », « Grand silence » ou « le choeur des femmes » … pour leur montrer combien la bande dessinée peut devenir une arme de combat ! L'ouvrage de Zelba est un uppercut qui provoque, sans le moindre pathos, l'empathie. Il nous incite à nous poser des questions cruciales. Impossible pour nous, lecteurs, de ne pas nous projeter. A un moment ou à un autre, nous serons tous confrontés à notre propre déchéance physique ou psychique ou à celle de nos proches et à des maux qu'on ne peut guérir.

« Mes Mauvaises filles » est cependant une magnifique histoire d'amour(s) et d'humour avant d'être une histoire de mort. Cet album fait résonner l'importance de profiter de la vie en étant également un récit sur la liberté… celle de notre droit de vivre et de mourir dignement. J'aimerais que cette bande dessinée soit inscrite d'office dans la bibliographie du cursus de médecine et distribuée également aux parlementaires ! Il est des récits qui ne laissent pas indemnes… « Mes mauvaises filles » est de ceux-là. Un grand merci à Zelba et aux éditions Futuropolis pour cette oeuvre courageuse, nécessaire et pleine d'amour.
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ZELBA. Mes mauvaises filles.

ZELBA, pseudonyme de Wiebke Petersen, née en 1973 (je ne peux préciser sa date de naissance, j'ai trouvé deux dates différentes, le 1er janvier et le 13 juin, mais cela n'a pas beaucoup d'importance pour mes propos) à Aix-la-Chapelle. Après avoir étudié les Beaux-Arts en Allemagne, dans le cadre d'ERASMUS, elle intègre cette section à Saint-Étienne. Elle a été championne junior d'aviron, aujourd'hui, c'est une conteuse de tranches de vie, illustratrice, productrice d'album pour enfants mais également adulte. Cette BD, « Mes mauvaises filles » retrace fidèlement la fin de vie de sa mère.

Avec talent, ZELBA en 160 pages nous invite à suivre le parcours de la mort programmée de sa maman. Cette dernière est décédée à l'âge de 57 ans. Elle souffrait d'une grave maladie pulmonaire et n'a que trop fréquenté les hôpitaux. Branchée de partout, éprouvant d'énormes difficultés pour respirer, très tôt, elle émis le désir de bénéficier d'une fin de vie paisible. Alors que Bri, la mère implore, mais du regard ses deux filles, Liv et Ylva, d'exécuter ses dernières volontés. Que vont donc faire ces deux jeunes femmes ? Elles hésitent et je les comprends. J'ai connu, malheureusement cette terrible situation. Mais à l'inverse d'elles je n'ai pas pu accéder aux désirs de ma mère. Ce n'est peut-être pas le propos de cette discussion mais je profite de l'occasion pour évoquer la disparition de ma maman. Un AVC, un infarctus le même jour, conclusion, pendant 17 mois, elle a été maintenue à l'état végétatif. J'ai fait le deuil de ma mère 17 mois et j'ai enfin poussé un ouf de soulagement, non pour moi, mais pour celle qui m'a mise au monde. Quelle cruauté : voir souffrir ceux que l'on aime et ne pas être en mesure d'alléger leur souffrance. OUI, je suis pour une fin de vie active (Il ne s'agit pas d'euthanasier à tour de bras mais d'éprouver de l'empathie). Je rejette toute forme d'acharnement thérapeutique. Nous ne supportons pas la souffrance chez nos animaux de compagnie et tolérons celle des humains. C'est un scandale. Oui, chacun devrait pouvoir mettre un terme à son existence ou à celle de ses parents ou enfants lorsqu'il n'y a plus rien à faire, lorsque la médecine n'apporte même plus de réconfort. J'ai longtemps soutenu l'épouse de Vincent Lambert et j'ai maudis ses parents. C'est dur de devoir laisser partir un être cher. Mais des années de coma, est ce une sinécure ? Ce livre lui est dédié par l'autrice.

Merci ZELBA, pour cette page de vie, triste mais réfléchie. J'espère que la loi va changer et qu'il sera plus facile, après des jours, des semaines, des mois ou des années de souffrance de partir, de mettre un terme à notre existence, de choisir même le jour de sa mort et de ne pas être obligé de payer, en nous rendant en Suisse ou en Belgique afin d'être délivré.Le graphisme, dominé par les dessins en noir et blanc souligne cette terrible épreuve. L'alternance entre pages en couleurs qui retracent les bons moments et les pages en clair obscur est parfaite. Des tranches de vie, de l'enfance, l'adolescence, les vacances de toute la famille illustre parfaitement la vie familiale. Les instants d'hésitation éprouvés par ces deux jeunes femmes , alors que la décision a été prise, nous bouleverse. C'est la sagesse et l'amour qui les pousse à conduire leur maman dans un repos éternel et mettre un terme à tous ses maux.

Je recommande la lecture de ce bouleversant témoignage, un récit autobiographique mis en scène de façon magistrale.. Les dessins sont souvent plus forts que les mots. Il y a beaucoup d'amour, de complicité, une certaine osmose entre ces trois femmes. ZELBA rend un bel hommage à sa mère. Cette dernière nuit, à l'hôpital, ces trois femmes, un hymne à l'amour, symbole de vie mais également de délivrance, de libération, une lueur d'espoir, de sérénité, de paix. Je vous conseille vivement de consulter le blog de ZELBA : zelba.over.blog.com. Vous découvrirez ses talents d'illustratrice de tranches de vie. C'est fabuleux.
(13/05/2023).
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