Au risque de surprendre, voire d'agacer de nombreux lecteurs, j'avoue ma perplexité devant le concert de louanges reçu pour ce livre que j'ai, pour ma part, eu beaucoup de mal à lire jusqu'au bout (il m'est plusieurs fois tombé des mains). Tout commençait pourtant très bien: je suis littéralement emporté par l'interview passionnante de l'écrivain dans Télérama, très intéressé par le sujet et titillé par les critiques dithyrambiques et, ce qui aurait du m'alerter, quasi unanimes (l'unanimité, cela devrait toujours inquiéter)...
La structure même du livre m'a quelque peu dérouté. Grand lecteur de littérature française et étrangère, contemporaine et plus ancienne, j'ai été déçu par le découpage très scolaire en trois parties qui relève davantage de la thèse de doctorat que du roman (même l'incipit est convoqué). Nulle trace de souffle romanesque à aucun endroit du livre à l'exception sans doute de l'arrivée en France dans les conditions poignantes et scandaleuses, remarquablement décrites.
Contrairement à de très nombreux lecteurs supra (ou infra) j'ai trouvé la première partie assez peu prenante, "sèche", aride, un brin ennuyeux. Il est vrai que la société patriarcale et analphabète du bled (pas très éloignée d'une certaine France profonde du XIXe) où la place de la femme se situe quelque part entre le bétail et les possessions immobilières du patriarche ne m'inspirent pas une franche attirance. Cela étant, là n'est pas à mon avis le problème du livre...Car là où
Carlo Levi avec "
Le Christ s'est arrêté à Eboli" décrit avec une précision quasi chirurgicale et une humanité bienveillante une misère mentale autant que physique, il est vrai, découverte par l'auteur terrifié, grand intellectuel milanais relégué dans la Basilicate "attardée", "
L'art de perdre" resemble, selon moi, dans sa 1ere partie à un essai très académique sans souffle sur les conditions de vie dans la montagne kabyle, clairement alimenté par des études sociologiques mais auxquelles l'auteur n'a pas insufflé la vie.
La seconde partie est poignante dans sa description remarquable et très réussie, je pense, des camps d'internement où sont relégués les Harkis avant de s'égarer dans une description un brin décalée des HLM des années 60 que l'auteur analyse avec son regard très daté de 2017, oubliant qu'elles étaient, avec tous leurs défauts patents, un réel progrès sur les habitats insalubres qui subsistaient encore en plein Paris (Belleville) au sortir des années 80. D'une normalienne, on attendait une plus grande rigueur. le dernier chapitre m'est apparu plus attachant car lié à la (jeune) expérience de l'écrivain et donc nettement plus incarné que la série de poncifs égrenant les 2 premiers chapitres... le seul suscitant émotion, curiosité et intérêt en ce qui m'a concerné.
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L'art de perdre" n'est pas , à mon sens, un "grand" livre. Pour des raisons formelles déjà:
- les personnages sont esquissés voire développés (Ali le patriarche, puis son fils, "père de l'auteure") puis sont évacués sans que l'on comprenne pourquoi, générant une certaine frustration.
- l'écriture est sèche, souvent "à l'os" et n'incite pas à poursuivre la lecture du livre, un peu ennuyeuse selon moi.
- la narration manque de rigueur, certes on n'attend pas un "Guerre et Paix" pour une jeune écrivain mais que nous somme loin des grands romans prenants y compris récents.
Au final sans doute un livre qui n'est pas mauvais mais dont je peine à comprendre ce qui, sinon son histoire politiquement correcte, pousse la critique à y voir une oeuvre "au souffle magnifique": s'il y'a bien une qualité dont est dépourvu ce livre non dénué de qualités, c'est bien de souffle!
C'est dommage car le sujet est intéressant, mais il ne suffit pas à pallier les insuffisances formelles et de fond (écrire sur une histoire non vécue suppose-peut-être - plus de maturité ?).