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4,36

sur 4773 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Peut-être que le mot « chef d'oeuvre » est excessif et doit être réservé aux romans de Zola, Hugo ou Balzac. Peut-être…
Alors, je vais essayer de vous parler d'un livre magistral, un livre qui habite longtemps le lecteur avec des personnages qui au fil des pages deviennent des compagnons de route pour lesquels on a de la tendresse, qui vous font vibrer et partager leurs souffrances, leurs amours, leurs vies.

Ce livre, c'est « L'art de perdre » d'Alice Zeniter, une saga familiale foisonnante qui débute dans l'Algérie des années 30.
Dans la première partie, nous rencontrons Ali qui, dans sa Kabilie natale, semble promis à un avenir bouché à se casser le dos à essayer de cultiver une terre rocailleuse jusqu'à ce qu'un jour, comme un cadeau du ciel, un pressoir charrié par la rivière croise sa route, manquant de peu de l'estropier.
Dès lors, sa vie se transforme, Ali se lance dans la culture des oliviers et produit de l'huile, les affaires sont florissantes.
Mais ce que l'on appelle pudiquement « les évènements » sont en marche et le destin de bien des hommes et celui d'Ali devenu Harki va basculer, jusqu'à ce qu'un bateau l'emmène sous d'autres cieux.

Dans la deuxième partie, Ali essaie de survivre avec sa famille dans un camp à Rivesaltes et Hamid, son fils va poser des questions qui resteront sans réponse. le père à jamais blessé, garde le silence. Un fossé d'incompréhension va se creuser peu à peu.

Naïma, la petite fille d'Ali, vit heureuse à Paris, jusqu'à ce que les attentats de 2015, l'obligent à se poser des questions sur le passé de sa famille dont elle ignore tout.

Il y a beaucoup d'émotion et d'amour dans ce livre, même si les sentiments restent muets, faute de mots pour dire je t'aime ou je te comprends.

Ce roman poignant évoque avec subtilité et émotion les destins brisés par L Histoire et l'irrationalité des hommes, les séquelles de la colonisation, l'exil, le déracinement, le lourd poids de l'héritage familial mais aussi la force de l'amour filial.

La plume d'Alice Zeniter est élégante, tour à tour musicale et brutale. J'ai tourné les pages avec passion. La fin du livre m'a tiré des larmes.
Et j'ai relu ce livre, à haute voix, cette fois-ci, pour en partager l'émotion avec un proche qui a perdu la vue.
L'oralité transcende la beauté de l'écriture et cette relecture me bouleverse.

Alors « Chef d'oeuvre » ? Oui, je crois que ce roman mérite ce qualificatif.


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Extraordinaire récit que cette saga d'une famille kabyle des années 30 à aujourd'hui.
Avec pour point de départ, Naïma, "immigrée" de troisième génération, qui ne connaît rien de son passé, Alice Zeniter fait valser avec maestria les personnages de son roman, tour à tour français, algériens ou harkis. L'idendité, le rapport de la France avec ses anciennes colonies, sont présents à chaque page et nous donne à voir un tableau saisissant de la société française d'aujourd'hui.

Lu en juin 2017
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Ecrire comme un exutoire pour apaiser, sans oublier,
Un roman où explose des vérités assassines,
Des vérités fratricides obombrées par l'écriture romancée…

Et en complément…
Le 6 septembre 1962, deux mois après la reconnaissance officielle par la France de l'Indépendance de l'Algérie , la vie d'un petit village bas-alpin , au pied de la montagne de Lure, ONGLE , 237 habitants, va renaître grâce à l'accueil du maire , Monsieur André Laugier et son adjoint Monsieur Raymond Reybautd, de vingt-cinq familles de réfugiés harkis, majoritairement originaires de la région de Palestro (aujourd'hui Lakhdaria) en Kabylie, 133 personnes parmi lesquelles les grands-parents et le père d'Alice ZENITER qui vont séjourner dans ce hameau de forestage jusqu'en 1966.
Ce rapatriement épique a été possible grâce à la pugnacité de l'ancien officier de Section administrative spéciale (SAS), le lieutenant DURAND , qui s'est occupé, avec son épouse, de l'exfiltration et de l'accueil de cette communauté. Après avoir transité dans une ferme près de Palestro, le camp de Tefeschoun (aujourd'hui Khemisti), puis Alger et enfin ,Marseille, ces familles, oh combien démunies, passent l'été au camp de Millau dans le Larzac . Elles sont dirigées vers les Basses-Alpes, où elles sont attendues, le préfet de ce département ayant accordé l'autorisation administrative de séjour. Jusqu'alors les longues prospections sont restées stériles, ainsi, le préfet de Vaucluse, Jean Escande (celui- là même qui assista aux obsèques de Camus) s'opposa formellement à l'installation d'une arrivée massive de français musulmans dans son département susceptibles de générer des incidents...
C'est finalement dans ce petit bourg en voie de dépeuplement que ces familles trouvent refuge début septembre. Les hommes deviendront ouvriers forestiers. Pendant que les harkis construisent leur hameau, les familles campent sous des tentes militaires. La population locale et les nouveaux venus ne se fréquentent pas, jusqu'à ce mois de novembre où une violente tempête de neige dévaste les installation précaires. Et là, la solidarité des habitants va être exemplaire : ils vont secourir les malheureux en les recueillant chez eux, dans les granges , en leur offrant réconfort et chaleur. En décembre 1962, la construction du hameau de forestage est achevée.
L'arrivée des familles de harkis a permis de sauver l'école de la commune. Un journal de l'époque décrit d'ailleurs les harkis comme de « vrais gars du pays ». A la fermeture du centre de forestage en 1965, certains iront à Cannes, d'autres resteront dans le département, d'autres s'installeront ailleurs.
La Maison d'Histoire et de Mémoire d'Ongles (MHeMO) a été ouverte en 2008 .Une exposition permanente intitulée Ils arrivent demain, conçue avec l'aide des historiens Jean-Jacques Jordi et Abderahmen Moumen. relate l'épopée du lieutenant Yves Durand qui démissionna de l'Armée pour pouvoir ramener des anciens supplétifs en France. Elle montre l'évolution de leur situation, puis la transformation du hameau de forestage en centre de formation professionnelle à l'intention des descendants d'anciens harkis, jusqu'en 1971.
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En refermant ce beau livre en mouvement , l'on se dit qu'il va vivre en nous longtemps......longtemps, à travers le récit historique bouleversant, foisonnant , passionnant, prenant et vivant de bout en bout, écrit par une petite fille de harkis, qui ravive la mémoire d'une famille d'Algérie, transplantée, ballotée de 1930 à aujourd'hui ! Une histoire restée sous silence !


J'avais lu " -Sombre-dimanche" qui contait les sinistres existences hongroises avant et après le communisme, une histoire des Peuples aussi et "Juste-avant-l'oubli"de cet auteur .

Ici, en embrassant le passé, elle l'habite vraiment et rassemble les chaînons de son histoire familiale avec brio, sensibilité, doigté, en refusant toute conclusion facile , d'une manière pleine et rayonnante , juste aboutie.......

Elle met en scène la violence des relations France-Algérie qu'elle va suivre à la trace sur trois générations et conte courageusement en pages nourries d'un matériau riche à la fois historique et sociologique le destin , des Zekkar, cette famille d'immigrés , arrivée en métropole, au lendemain de l'indépendance de l'Algérie.


Lors de la 1ère partie est retracée avec exactitude le parcours de son grand- père, Ali, petit propriétaire terrien et notable, devenu harki, presque malgré lui .
Pour sauver sa peau et celle de ses proches, il quitte son pays , se réfugie dans une France froide et peu accueillante , qu'il ne comprend pas .
Ali, Yema et leurs enfants se retrouvent parqués, brutalement déclassés , pendant des mois , dans un camp de transit , une espéce de bidonville, tout près de Perpignan, avant d'atterrir dans une cité HLM de Normandie .
Hamid, , leur fils aîné intériorise avec force leur chagrin et leur honte tout en les aidant à pallier à leurs difficultés , à sa manière .
Avec exactitude, romanesque, un sens pictural très aigu des situations fortes,des rencontres et affrontements poignants , l'auteur conte la tragédie de ces sacrifiés de l'histoire , elle le fait sans préjugés ni certitudes absolues, une saga aux allures de dérisoire Épopée.
Elle magnifie ces déchirements intimes, cette culpabilité mortifère d'une communauté bannie des siens, le silence et la peur , le repli où elle se réfugie , un fardeau qui pèse sournoisement sur elle.

Trois parcours foisonnants et passionnants se croisent : la petite fille, le fils, le père , le patriarche, trois manières d'être au monde et de revendiquer son statut d'homme ou de femme.
Trois pans d'histoire pétris de culture arabe et française, Naima, la fille d'Hamid a peur de faire des fautes de français et qu'on l'assimile aux terroristes!
S'alléger, accepter de perdre, renoncer à la haine, se délivrer du jugement des hommes: "Dans -L'art-de-perdre, il n'est pas dur de passer maître ", refuser les conclusions simplistes et les pensées toutes faites ! Se réconcilier avec soi !
C'est le pari que réussit l'auteur !
Un roman magnifique à la fois violent et mélancolique, sur l'immigration et l'identité de la France d'hier et de maintenant, impeccable de maîtrise, à la beauté affûtée que chacun devrait lire!
Un excellent moment de lecture !
J'ai eu la chance d'apercevoir l'auteur à "La Grande Librairie ", pédagogue, belle et concentrée , habitée par son sujet .....
Merci à Marie , ma libraire de" La Taverne du Livre" à Nancy..
Ce n'est que mon humble avis, bien sûr .


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L'on dit qu'en cas d'exil, la première génération n'est que déchirement, la seconde désir d'oubli et d'intégration, mais que la troisième brûle de renouer avec ses racines, en tout cas de retracer l'histoire familiale. C'est ce que semble confirmer Alice Zeniter, petite-fille de harkis, dans ce roman largement autobiographique. Naïma, jeune française d'origine kabyle, tente de reconstituer le passé de son grand-père Ali et de son père Hamid, dans ce qui s'avère une entreprise compliquée : le premier n'est en effet plus de ce monde, et le second n'est que silence obstiné lorsqu'il s'agit de son enfance algérienne et des circonstances qui ont mené les siens à tout quitter pour la France.


Des rudes mais paisibles montagnes kabyles à la relégation dans les cités de banlieue françaises, en passant par la guerre, ses impostures et ses trahisons, puis par les camps de transit où certains ont croupi jusqu'à quinze ans dans des conditions de vie épouvantables, c'est une fresque historique passionnante, en même temps qu'une saga familiale d'une émouvante authenticité, qui nous plonge dans la détresse des harkis - rejetés comme « traîtres » par l'Algérie, mal accueillis comme immigrés indésirables par la France - et dans le désarroi de leurs descendants, encore aujourd'hui ostracisés en même temps que l'ensemble des « Arabes » dans une société française en proie à des débats identitaires.


Face aux lacunes laissées béantes par les non-dits de son histoire familiale, l'auteur, alias Naïma, explore les recoins de l'Histoire officielle, mettant au jour des ombres et des complexités ignorées. Des sombres réalités de la colonisation à la guerre d'indépendance, des manipulations politiques aux terribles massacres perpétrés de part et d'autre, l'on se retrouve aux côtés de pauvres gens transformés, malgré eux et par d'aléatoires enchaînements de circonstances, en fétus balayés par des vents qui les dépassent, et qui les chassent bientôt, après les avoir écartelés entre des choix impossibles, vers une zone grise infernale, épicentre de toutes les hontes et humiliations.


Parias sans pays, les parents et grands-parents de Naïma auront préféré enfermer l'Algérie dans le double-fond secret d'une nouvelle existence malheureuse, se gardant d'en transmettre la moindre bribe. Sans cesse renvoyée à ses origines par le regard d'autrui, la très française Naïma se retrouve pourtant elle aussi dans un déstabilisant entre-deux qui la jette dans une quête identitaire. Et c'est une narration pleine de vie et d'émotions, peuplée de personnages attachants, creusés en profondeur, qui nous emporte, dans un grand souffle où se mêlent exactitude et romanesque, vers une fin ouverte sur une possible réconciliation avec soi, et, peut-être, entre les deux rives de la Méditerranée.


Un grand roman, porté par une belle écriture très picturale, sur l'art de perdre que, sur plusieurs générations, l'on apprend dans l'exil, et un coup de coeur équivalent à celui ressenti pour un autre récit d'une petite-fille de harkis : le tailleur de Relizane d'Olivia Elkaim.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Ce roman habité ressemble à un long cri enfiévré, parfois de tristesse résignée, parfois de colère révoltée. Il fait le lien entre la guerre d'Algérie, l'immigration forcée et notre société, à travers une saga familiale sur trois générations. Une famille à l'origine algérienne, marquée du sceau du déracinement. Ali le grand-père prospère avec son pressoir à olives tombé du ciel en Kabylie. Hamid le fils construit sa vie entre exil, camp de Rivesaltes, intégration française. Naïma la petite-fille se débat en France contre la chape de silence, rempart de famille.
Un récit toujours au présent comme un coup de poing permanent, sans la saveur romanesque du passé simple imparfait qui éloigne tant de la réalité. L'emploi du présent inscrit le passé dans les gestes quotidiens, empêche de se dire que c'est fini tout ça, au contraire les étages générationnels se mêlent pour ne former qu'une histoire troublée, inscrite dans les gênes harkis de Naïma sans qu'elle sache trop pourquoi.
"Ils taisent leur histoire individuelle et ses complexités, ils acceptent en hochant la tête une version simplifiée qui finit par entrer en eux, par recouvrir la mémoire et quand leurs enfants voudront creuser en dessous ils découvriront que tout a pourri sous la bâche de l'amour sans faille et que les vieux disent qu'ils ne se souviennent plus.".

Il y a dans ce récit comme une urgence à dire les choses pour le narrateur, à les lire pour le lecteur.
J'ai été scotché par la puissance de ce roman (comme beaucoup d'autres lecteurs ici).
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L'histoire d'une famille sur trois générations : Ali, Kabyle, qui vit dans son village et son oliveraie, lorsque commencent ce qu'on appellera les « Événements d'Algérie ». Ayant combattu pendant les deux guerres mondiales dans l'armée française, il choisit son camp, bien malgré lui, car il est fier de ses médailles militaires, s'oppose aux militants du FLN, et au final doit fuir avec sa famille laissant tout sur place.

On voit évoluer Ali, entre ses déchirures : perte de son pays, de sa propriété, de son statut social, et l'oubli qu'il cherche dans le travail répétitif de l'usine.

Puis l'arrivée en France dans le camp de Rivesaltes et les conditions de vie inhumaines, où l'on devient moins que rien, la promiscuité, la violence et les neuroleptiques pour les plus récalcitrants…

Ali se mure dans son silence concernant son passé et ce silence va se perpétuer dans les générations suivantes.

On note aussi la perte du statut de parents, de l'autorité de père : « ce serait contraire à l'ordre des choses qu'un fils décide au lieu d'obéir – c'est ce qu'on lui a toujours appris. Pourtant, depuis qu'ils sont en France, son père lui délègue une partie croissante de ses pouvoirs » P 261

Alice Zeniter parle aussi très bien de la honte de Hamid lorsqu'il compare le travail de son père par rapport à celui des autres enfants, le malaise qu'il ressent en les écoutant parler. Avec le statut, il y a aussi la langue qui se perd d'une génération à l'autre. Pour bien maîtriser le français, il faut « oublier » la langue maternelle.

Son père attend de lui l'obligation d'excellence à l'école, dans la vie, que son père exige de lui pour qu'il mène une autre vie que lui.

Toujours Hamid se demandera ce que son père a pu faire pour que la famille soit obligée de fuir l'Algérie, abandonner la maison et les oliviers… comment faire le deuil de quelque chose qu'on ne connaît pas, qu'on ne peut qu'imaginer.

Sa rencontre avec Clarisse qui n'a jamais eu à s'affirmer à travers ses choix : « Clarisse a la liberté de ceux à qui jamais on n'a dit qu'ils devaient être les meilleurs mais qu'ils devaient trouver ce qu'ils aiment » P 306

La troisième génération, avec Naïma qui se pose des questions, cherche ses racines, et veut aller à la découverte de l'Algérie, alors qu'Ali a fait une croix sur le pays perdu, et encore plus Hamid qui réfute toute idée de racines.

J'ai aimé mettre mes pas dans ceux de Naïma, suivre sa réflexion (et celle d'Alice Zeniter en fait), sa manière de réagir face à la perte de ce pays sur lequel toutes les projections sont possibles, sans oublier le poids des non-dits, ce silence assourdissant qui règne parfois.

« le silence n'est pas un espace neutre, c'est un écran sur lequel chacun est libre de projeter ses fantasmes. » P 311

Ce livre est un coup de coeur, le seul vrai coup de coeur de cette rentrée pour l'instant (« Cette chose étrange en moi » d'Orhan Pamuk en était presque un). Alice Zeniter m'a fait entraînée dans ce voyage initiatique à travers cette famille dont j'ai aimé tous les personnages, tous les lieux, même les plus sordides.

J'ai appris des choses, retrouvé d'autres que j'avais oubliées car je connaissais très mal les « Évènements d'Algérie » pour employer l'expression consacrée et notamment sur ce qu'ont vécu les Harkis. L'auteure m'a donné envie d'approfondir. Sa réflexion sur les attentats, et surtout les similitudes dans les manières de procéder entre FLN et Islamistes (P 376 377) est très intéressante.

Un tout petit bémol : j'aurais aimé qu'elle parle plus de Hamid adulte…

Ce roman a reçu le prix Goncourt des lycéens avec lesquels je suis souvent beaucoup plus en phase qu'avec les choix de l'Académie Goncourt !
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Naïma est la petite-fille d'Ali, un planteur algérien harki venu en France en 1962 lors de l'indépendance de l'Algérie. Tout cela, elle ne le sait pas, elle va faire des recherches sur sa famille car son grand-père a tu son passé et sa grand-mère ne parle pas le français. Quant à son père Hamid, arrivé en France alors qu'il était enfant. Il reste muré dans un silence concernant ce passé. Il est maintenant marié à une Française d'origine et semble parfaitement intégré.
Naïma ressent un malaise autour de son histoire, elle est galeriste à Paris et prend régulièrement des cuites.
A travers la plume magnifique d'Alice Zeniter qui va faire retourner Naima à ses origines, nous découvrons l'histoire de la famille depuis Ali le grand-père, homme important avant tout ce carnage de la révolution.
Il possédait des oliviers, avait découvert un pressoir et produisait de l'huile.Au début du récit, il nous apparaît comme un homme bon et juste envers ses ouvriers. Il vivait en bonne entente avec les Français et ne tenait pas à l'indépendance envers la France. Ce qui fera de lui un harki qui ne sera plus le bienvenu dans son pays.
Ce qui fait le charme du livre, c'est la façon dont l'histoire est traitée.
L'auteure fait vivre les personnages de façon à ce qu'on s'y attache. Elle ne nous épargne pas les scènes cruelles mais c'est la guerre, pas question de dialogue, il faut faire peur. Les enfants voient toutes ces scènes et on s'étonne qu'ils restent mutiques au sujet de cette période ensuite.
Le passage le plus criant de vraisemblance est pour moi celui ou Alice Zeniter déclare : "la guerre leur a fait tomber une nuit sur le regard qui a sorti leur visage de l'enfance d'un coup."
Un roman magnifique dont j'ai tardé à entamer la lecture car l'histoire de l'indépendance algérienne est assez loin de la mienne mais je ne regrette pas mon incursion dans cette histoire du pays présentée de façon humaine et historique à la fois.

Challenge plumes féminines
Challenge pavés
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Un titre aussi éblouissant que son contenu !

Découverte émerveillée de cette auteure, avec cette première lecture.
Ouvrage que je souhaitais lire dès sa parution en septembre 2017; en
boulimique invétérée, incorrigible, je me suis dispersée, et j'ai reporté
cette lecture, tout en ayant bien en mémoire cette curiosité première !
Voilà, mon retard réparé ...!

Comme je le fais rituellement, lorsqu'il y a pléthore de critiques [combien
méritées !] je ne les lis qu'après la rédaction de ma propre prose !
Ce que je ferais dès que j'aurai terminé "ma copie" !

Un titre sublime et tragique à la fois, qui exprime si fidèlement la
douleur, les complexités de l'histoire de l'Algérie.

Alice Zeniter, petite-fille de harki, née en France, ne se sentait que
lointainement reliée à la terre de ses ancêtres...Et puis les années
passent...le déclic surviendra pour faire connaissance avec le passé
et les drames vécus par ses aïeux, dont la situation intenable vécus
par les harkis , ses grands-parents !

"Le camp Joffre – appelé aussi camp de Rivesaltes – où, après les longs jours d'un voyage sans sommeil, arrivent Ali, Yema et leurs trois enfants est un enclos plein de fantômes : ceux des républicains espagnols qui ont fui Franco pour se retrouver parqués ici, ceux des Juifs et des Tziganes que Vichy a raflés dans la zone libre, ceux de quelques prisonniers de guerre
d'origine diverse que la dysenterie ou le typhus ont fauchés loin de la ligne de front. C'est, depuis sa création trente ans plus tôt, un lieu où l'on enferme ceux dont on ne sait que faire en attendant, officiellement, de trouver une solution, en espérant, officieusement, pouvoir les oublier jusqu'à ce qu'ils disparaissent d'eux-mêmes. C'est un lieu pour les hommes qui n'ont pas d'Histoire car aucune des nations qui pourraient leur en offrir une ne veut les y intégrer. "

Et voilà notre écrivaine qui repart à l'envers du voyage... remontant
les épreuves, et le parcours de ses grands-parents, dont Ali ( le grand-père), et de son père, Hamid qui sont parmi mes personnages préférés !
Ce grand-père, homme -montagne, géant aux talons d'argile....
Ali, personnage étonnant auquel on ne peut que s'attacher. de l'émotion, du respect, de l'empathie pour cet ancien chef de village estimé, écouté...piégé dans deux guerres, dont une, encore plus insupportable, puisque fratricide !

Une fresque foisonnante où nous suivons l'histoire d'une famille
algérienne sur plusieurs générations, l'exil en France, le sort terrible
et injuste subi par les harkis, la perte irrémédiable d'un pays, d'une langue... les ravages , les déconstructions de la guerre.... et la tentative de
RECONSTRUIRE ailleurs !

"Ils éclatent de rire et Ali s'étonne, alors même qu'il rit lui aussi, que cette plaisanterie guerrière puisse les amuser. Il sent bien qu'il n'est pas le seul à être surpris: les hommes et les femmes présents rient plus longtemps et plus fort que la réplique de Bachir ne le mérite.
Ils rient de pouvoir rire. Ils rient de constater que la guerre a reculé dans leur esprit, comme les flots à marée basse et que sur la plage qu'elle a découverte, ils peuvent employer le vocabulaire de l'affreux sans céder à la panique." (p. 198)

Après un tel ouvrage, il me paraît impossible de garder le même regard,
la même perception vis à vis de tout migrant, tant on ressent grâce au talent narratif de Alice Zeniter l'arrachement à une terre, aux racines,
et les douleurs, les blessures inguérissables qui s'ensuivent tout le chemin
d'une vie...

Un livre magistral, universel... qui aborde tant de sujets, de questionnements humains éternels....Qu'est-ce que perdre son pays, reconstruire ailleurs, trouver un sens , sa place après avoir été "transplanté",bafoué, avoir subi la ségrégation, etc. Un roman foisonnant difficilement "résumable"...

Un immense coup de coeur...et une admiration entière pour le talent ,
les finesses d'analyse ainsi que pour les profils très denses des personnages décrits par cette jeune écrivaine ! Une grande lecture qui restera durablement dans "mon Panthéon personnel" !!...

"Paris, au-dehors, est immense mais l'amour émerveillé qu'il lui porte ne suffit pas à faire disparaître une amère sensation de solitude.
C'est la première fois qu'il se retrouve sans personne avec qui il partagerait une histoire. (...)
Hamid a voulu devenir une page blanche. Il a cru qu'il pourrait se réinventer mais il réalise parfois qu'il est réinventé par tous les autres au même moment. le silence n'est pas un espace neutre, c'est un écran sur lequel chacun est libre de projeter ses fantasmes. (...)
Pour être sûr d'être compris, il faudrait qu'il raconte. Il sait que Clarisse
n'attend que ça. le problème, c'est qu'il n'a aucune envie de raconter. Elle
le regarde avec inquiétude dériver sur une mer de silence." (p. 311 )
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Rares sont les romans qui me bouleversent, font sens et résonnent en moi. Pourtant, l'histoire de Naïma, notre narratrice, petite-fille de Harkis, n'a rien en commun avec mon héritage familial : je suis petite-fille et fille de pieds-noirs d'Algérie, ma famille n'a pas « trahi » un idéal d'indépendance, le destin d'une nation en devenir. Ma famille ne subit pas l'opprobre de tout un peuple, menacée de mort, méprisée, honnie par l'histoire. Ma famille n'a et ne sera jamais perçue comme traître à son pays. Je ne subis pas le poids d'une dette familiale honteuse, avec ancré en moi, ce sentiment de culpabilité, cette envie de découvrir le fin mot de l'histoire, courbant l'échine alors que je ne suis en rien responsable des choix de mes aînés.

Naïma, jeune femme indépendante, sure d'elle, libre d'être qui elle souhaite en cette France des années 2000, archétype de l'enfant de la 3e génération d'immigrés parfaitement intégrée, reste malgré elle hantée par le déterminisme social et culturel d'où elle vient : une petite-fille d'immigrés parqués dans des camps du sud de la France alors que la très jeune Algérie célébrait sa liberté recouvrée dans la joie et le sang des règlements de compte : jugeons les traîtres !
Ali, son grand-père, son épouse et leurs enfants, dont Hamid, le père de Naïma, doivent plier bagage et tout abandonner : la terre, sacrée, le statut social, la famille, les amis. Époque révolue qui voit Ali et sa famille parqués comme des bêtes dans les camps de transit avant de finir leurs jours dans une banlieue dortoir de l'Orne, en Normandie. Triste contraste entre une opulence terrienne d'antan et la vie à l'usine parmi les autres exilés.

La France qu'on a aidée, accueille si bien ses ouailles : au turbin pour la majorité et l'espoir d'un avenir un peu plus glorieux (quoique) pour les générations à venir, merci l'école républicaine. Hamid, l'aîné, sera quelqu'un ; il s'en est fait la promesse. Exit la cité-dortoir, l'odeur du couscous et la communauté soudée dans la misère sociale. En épousant Clarisse, la bourguignonne, Hamid concrétise ce doux rêve de devenir autre qu'un fils de Harkis. Muré dans le silence d'un passé trop coûteux, il taira son histoire à ses enfants dont Naïma qui se cherche et entame une quête familiale à l'amertume omniprésente. Mais que faire, vers qui se tourner quand personne ne souhaite parler ?

Alice Zeniter m'a embarquée dans cette épopée tragique avec un tel panache, une magie des mots auxquels je suis restée suspendue. J'ai lu en apnée cette quête des origines dont on ne peut sortir indemne. C'est beau tout simplement ; ce roman porte la tragédie du sublime, ce livre est une perle qui m'a transportée vers toute une palette d'émotions. C'est fou comme je me suis sentie proche de Naïma, de Yema, la grand-mère qui me rappelle un peu la mienne, de cette famille dont la seule envie est de taire le passé et avancer. Et un talent fou que celui d'Alice Zeniter que je découvre (déjà trop tard). La rentrée littéraire, oui on la snobe, souvent, moi la première. Mais 2017 restera un cru d'exception grâce à l'Art de perdre, point d'interrogation d'une dureté sans nom qui prendra tout son sens, vous verrez.
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