Ah, je suis embêtée. Embêtée parce que j'ai gagné
Matière noire lors d'un concours. Embêtée parce qu'il me tardait de découvrir la plume d'
Ivan Zinberg. Embêtée parce que depuis sa sortie, je vois le livre être plébiscité régulièrement sur les réseaux sociaux. Embêtée parce que je suis… mitigée !
Toute histoire a un début ; celle-ci commence par un premier chapitre qui donne le ton, la chasse d'un prédateur en pleine action et qui promet de la tension. le tout dans une écriture qui vous happe dès les premiers mots, directe et tranchante sur les derniers. Et l'histoire prend un autre tournant, celui du désenchantement et du dépaysement.
Deux enquêteurs complètement différents, l'un flic qui cogne quand l'envie lui prend et l'autre journaliste retraité de la police, sage mais pas trop, prudent mais pas trop. Chacun d'eux a sa petite équipe et ses relations, une vie privée remplie. À côté, deux affaires qui n'ont semble-t-il rien à voir aux premiers abords, mais qui finissent invariablement par se rejoindre, au prix d'une longue enquête. Vous me direz, où est le problème ? Qu'est-ce qui t'a perdu à ce point ?
Bek, le mec des cités qui a bien tourné et est devenu flic après une prise de conscience. Terriblement jaloux, divorcé, un flic qui cogne dès que l'envie lui en prend parce qu'il ne sait pas maîtriser ses colères, le tout sur un ton froid et distant. Comment s'intéresser à lui ? Impossible pour moi, irritant à souhait, avec sa manie de se croire au-dessus de tout le monde et au-dessus des règles. Jacques, le retraité flic à présent journaliste. Il y a cette distance aussi, qui fait que je lis ses chapitres sans y prêter grande attention.
Les détails inutiles qui alourdissent le récit, parce qu'on passe trop de temps sur la vie privée de ces messieurs. C'est certes important d'approfondir les personnages, mais pas au prix de l'avancée de l'intrigue. Je me fiche de la vie sexuelle de Bek, je me fiche du surplus de détails sur les états d'âme de chacun. Malheureusement, ce trop plein d'informations sur la vie personnelle de chacun devient lourd et gênant pour le reste du récit, parce que les deux affaires ne bougent pas d'un yota pendant un long moment. À tel point que les enquêteurs, Bek en tête, deviennent antipathiques.
Et c'est là que j'en viens à l'autre partie qui se bat en moi une fois ma lecture finie.
Matière noire est excellent en son genre. Un roman policier qui n'épargne aucune étape de l'enquête à ses lecteurs, y compris les étapes dont on se passerait bien. D'un réalisme absolu, on y comprend les rouages de la police, comment et pourquoi une enquête n'est pas résolue en une heure, comme veulent nous le faire croire les séries en particulier.
Matière noire, c'est la réalité, avec son lot d'invraisemblances et de sourcils froncés quand on lit le comportement des personnages. Type aller casser du malfrat pour obtenir des informations, ou se pointer chez un autre malfrat et le menacer. Type manipuler délibérément des personnes pour obtenir des informations. Et si on vomit ces comportements, on comprend hélas assez vite qu'ils sont réels. Que dans notre vie de tous les jours,
Ivan Zinberg n'invente rien, il nous montre juste ce qui se passe et ce qu'on ne veut pas regarder.
Un roman policier magistral, absolument. Avec une écriture développée, qui prend son temps pour nous happer dans un univers que l'on croit connaître mais qui s'avère incomplet. Mais ce n'est pas un thriller, en rien. Parce que, comme pour La Deuxième Femme, exposer la réalité avec tout son réalisme et une écriture forte ne suffisent pas pour le lecteur, il faut aussi de la tension. Et malheureusement,
Matière noire manque de tension, à force de passer du temps sur chaque étape, avec des pauses pour nous parler encore et encore des états d'âme du flic ou du journaliste. Même les coupables que l'on recherche n'offrent pas ou peu de sentiment, autre que l'attente. L'un semble même caricatural, et l'autre trop effacé pour qu'on s'intéresse au pourquoi du comment.
Il est bon de développer ses personnages, mais lorsqu'on est dans un thriller, et c'est ainsi que le roman nous est présenté, il faut plus que du cerveau à analyser, il faut des enjeux et ce quelque chose qui nous motivera à tourner les pages. Très immersif,
Matière noire sera donc dans la lignée de
Niko Tackian et
Olivier Norek, très à la pointe du sujet, bien écrit, encré dans le réel. Mais pas un thriller ; on s'enferme dans les chapitres sans en saisir la tension.
À lire pour s'en faire son propre avis, cette brique n'attend que vous ! Peut-être y trouverez-vous le coup de coeur 2021 ! Quant à moi, je vais me pencher sur le reste de la bibliographie de l'auteur, cette première rencontre en demi-teinte n'est que le début !
Lien :
https://saveurlitteraire.wor..