Quelle mouche échappée des ombres d'un confessionnal a piqué l'auteur de la Bête Humaine? Quel encensoir balancé avec trop de vigueur a brutalement frappé la tempe de l'auteur de la Curée?
Certes, Zola avait beaucoup à se faire pardonner et devait montrer patte blanche pour entrer à l'Académie: c'est dans ce but qu'il a écrit le Rêve, ce roman "calme" dit F. A. Burguet et pétri de sainteté...Mais personne n'a cru à cette patte blanche : on voyait trop le nez du loup, et Mimile n'est pas entré à l'Académie...
Bien fait pour lui: cette mascarade bondieusarde ne lui ressemble vraiment pas. Même La Faute de l'Abbé Mouret, un autre Rougon-Macquart peu concluant, avait le charme de l'inattendu, si ce n'est de l'inavouable, avec son Eden sensuel et ses galipettes naturalistes...Un bon curé découvrant sans remords les plaisirs de la chair, tout un programme!
Mais le Rêve !!
Zola sera-t-il absout pour cette exaspérante hagiographie d'une petite gourde aux doigts de fée ? Sera-t-il convié au banquet des grandes âmes pour cette pièce nouvelle ajoutée à la Légende Dorée de Jacques de Voragine ? Sera-t-il admis au rang des grands moralistes chrétiens pour cette sulpicienne version de la Petite fille aux allumettes?
En deux mots, l'histoire : elle a tout du conte !
Une petite mendiante, pupille fugueuse de l'Assistance, trouve refuge chez de pieux chasubliers, dans une petite ville de Picardie, Beaumont, qui vit à l'ombre de sa cathédrale. Ils l'adoptent, ils l'élèvent, ils en font une brodeuse hors pair, elle remplace l'enfant qu'ils ont perdu, maudits par une mère acariâtre. La petite perd peu à peu ses rancunes et révoltes d'enfant trouvée et vit recluse entre ses deux parents, rêvant comme toutes les petites filles d'épouser un beau prince, riche et charmant. Il ne tarde pas à se manifester : c'est le fils de l'évêque –eh oui ! avant de rentrer dans les ordres, ce dernier a connu la passion, mais la femme en est morte et le fils, maudit, est tardivement rentré en grâce auprès du prélat qui veut le marier à un riche héritière…
Angélique et Félicien, la fille de substitution et le fils du remords, s'épouseront-ils ? La brodeuse sans nom épousera-t-elle le prince sans mère, au mépris de tous les interdits sociaux et de toutes les conventions ?
On est à la fois dans la Petite fille aux allumettes, dans la petite Poucette, dans la Belle au Bois Dormant et dans Blanche -Neige-un-jour-mon –prince—viendra…
Trop, c'est trop !!
Essayons pourtant de plaider la cause de ce naturaliste fourvoyé dans le pays des contes et de ce déterministe égaré en terre mystique...
D'abord l' « écriture artiste », chère aux Goncourt: il est vrai qu'elle est, dans le Rêve, particulièrement travaillée : quand les personnages sont respectivement des brodeurs - des chasubliers- des maîtres verriers, des évêques...on se doit d'ornementer son langage , de le fleurir de mots savants et d'or nué.
Zola, donc, s'en donne à coeur joie: ensubles, chanlatte, coutisse, pâté, bourriquet, cannetilles, bouillon, frisure, broches..et j'en passe. Moi qui ne sais même pas faire un ourlet correct, j'en avais les doigts tout entortillés, comme si j'avais tressé les nattes de Bo Derek toute la journée!!
Ces recherches « in situ » chères aux écrivains naturalistes qui en crédibilisent leur récit m'ont toujours paru plutôt bien intégrées dans les Rougon-Macquart que j'ai lus – une petite quinzaine- mais ici elles m'ont pesé, m'ont paru plaquées, artificielles et je me suis prise à soupirer plus d'une fois : « Ah, nous voilà chez le verrier, on va avoir droit au vade mecum du vitrail, encore une fiche technique de Castorama ! » (j'ai parfois honte de ma propre trivialité!)
Deux exceptions, et elles sont de taille, car l'une m'a ferrée et décidée à lire le livre –c'était l'incipit du bouquin, pas folle la guêpe, Zola connaît son métier d'écrivain ! – et l'autre m'a tout simplement enchantée.
Rien que pour ces vingt pages-là il faut lire le Rêve !
La première, ce sont les pages de description , sous la neige, de la cathédrale de Beaumont où, sous le porche de Sainte Agnès, au milieu des statues de saints emmitouflés de neige, se réfugie la petite mendiante blonde qui sera l'héroïne de cette histoire édifiante, Angélique, la bien-nommée. Sans ironie, cette fois, je me suis trouvée dans un conte – La Reine des Neiges d'Andersen –pas celle de Disney, « délivrée, libérée », non, non !!
La seconde est une scène de lessive dans un jardin clos, traversé par un torrent, un jour de grand vent : une pure merveille ! Le vent souffle, les draps et les camisoles s'envolent, papillonnent tout blancs sur les prés verts, les lavandières d'occasion courent, un jeune maître-verrier les aide…Ravissement printanier et scène de première rencontre magique !
Voilà pour l'écriture artiste - on peut aussi rajouter un bel exercice de style à la Monet : la cathédrale de Beaumont évoquée avec talent à toutes les saisons de l'année…
Sinon, que dire encore pour la défense de notre Emile ?
Qu'il a bien essayé de raccrocher le Rêve à ses théories sur l'hérédité : Angélique est une enfant abandonnée par l'infâme Sidonie Rougon, vendeuse à la toilette –c'est-à-dire un peu maquerelle sur les bords-et comme nous dit Zola, « sèche comme une facture, froide comme un protêt, indifférente et brutale comme un recors » !! De cette souche peu tendre et peu recommandable, viennent les crises de violence d'Angélique, ses révoltes, ses bouffées de sensualité…mais l'inné est ici battu en brèche par l'acquis : deux parents adoptifs que Zola n'a pas craint d'appeler Hubert et Hubertine Hubert – le comble de la cucuterie, non ? – et qui corrigent par la piété, l'amour et…. la réclusion consentie cette nature un peu rebelle. De leur petite diablesse, ils font une sainte, vouée à expier, vierge et martyre, ses impossibles rêves de princesse le jour même de leur miraculeuse réalisation. Et sans doute aussi à expier leur amour à eux deux, pauvres artisans, si tendrement attachés l'un à l'autre et déjà « punis » par la mort d'un enfant..Alors quand on aime, on ne compte pas : pourquoi pas un deuxième sacrifice ? Ou même un troisième, car il y a du Frollo dans Monseigneur l'archevêque, dont la chair fut bien faible autrefois et qui ne supporte pas que son fils vive un parfait amour avec sa bergère…pardon sa brodeuse !
Les parents jouissent, les enfants trinquent...
Décidément trop c'est trop !
Même mon plaidoyer se retourne contre ce pauvre Rêve si maladroit, si benêt, si plein de clichés qu'on entend tinter chacun d'eux dans la sébile !!
Restent une belle écriture et une lessive envolée...
Anatole France ne fut pas plus tendre à l'égard du Rêve :
« Devant l'impalpable héroïne de ce roman nébuleux, je suis forcé de convenir que la Mouquette [ dans Germinal] avait du bon. Et, s'il fallait absolument choisir, à M.Zola ailé, je préférerais encore M.Zola à quatre pattes. Le naturel, voyez-vous, a un charme inimitable, et l'on ne saurait plaire, si l'on n'est plus soi-même. »
Je vais vite me mettre à un Zola bien dur, bien noir, bien tassé : La Terre…
Un Zola à quatre pattes….
Lu dans le cadre du club de lecture 2016.
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