♬ Une super Nana, une super Nana... ♬
Elle promettait cette Nana que nous avons vue naître et grandir dans L'Assommoir, et elle ne nous déçoit pas !
Quelle femme pouvait-elle devenir après avoir grandi entre Gervaise et Coupeau, dans les conditions que l'on connaît ?
Une demi-mondaine, une courtisane, une cocotte... allons, cessons de tourner autour du pot : une prostituée. de luxe, certes, mais prostituée.
Nana vend ses charmes, et Dieu sait qu'elle en a ! Elle fait tourner les têtes, elle séduit, elle rend fou.
À son contact, des fortunes et des réputations se font et se défont.
Loin de voir dans son choix de vie un avilissement, Nana y voit une fierté mais surtout une façon d'assouvir sa vengeance. À travers les hommes de la haute société dont elle se joue, elle se venge. Elle leur fait payer le prix de son enfance misérable, et le prix fort, s'il vous plaît.
Pour saisir ses motivations, il faut avoir vu la pauvreté dont elle a souffert dès son plus jeune âge et comprendre qu'elle s'est sans doute juré de ne jamais manquer de rien... quitte à user de méthodes peu catholiques.
Il faut avoir lu L'Assommoir pour bien comprendre Nana.
Elle est prête à tout pour gagner argent et pouvoir : de l'argent qui lui offre un grand train de vie, du pouvoir dont elle use avec délectation sur les hommes qui tombent entre ses griffes.
Nana veut dominer et pour cela elle est prête à utiliser toutes les armes à sa disposition, la plus redoutable d'entre elles étant son physique.
Il faut dire que Nana est tellement belle ! Pas d'une beauté élégante et distinguée, non. D'une beauté éclatante, sensuelle voire érotique.
L'entrée en matière du roman, très réussie, est similaire à celle de Son excellence Eugène Rougon dans lequel le personnage principal s'impose d'emblée, avant d'apparaître physiquement : tous parlent de lui, tout tourne autour de lui, tous les projecteurs sont braqués sur lui.
Zola fait monter l'impatience du lecteur, puis fait enfin entrer en scène son personnage.
Pour Nana, il s'agit d'une entrée en scène au sens propre puisqu'elle joue dans une opérette de second ordre, ou troisième, ou plus : un navet en fait, dans lequel elle se montre autant dépourvue de talent que de vêtements... d'où son succès.
Elle joue mal, elle chante mal, mais qu'importe : il se dégage d'elle une sensualité irrésistible, surtout pour les hommes à qui elle fait tourner la tête.
Débordant d'ironie, le premier chapitre m'a ravie !
Nana est le tome de la débauche. D'une autre façon que dans La curée (ici, c'est sur un fond de volonté de revanche sociale que tout se joue), mais avec une même envie de dépeindre de façon féroce la "haute" société,
Zola nous montre l'envers du décor.
Que dire de tous ces hommes du monde capables de se ruiner financièrement, moralement ou socialement pour goûter aux charmes de demoiselles fort éloignées de leur univers ? Que cherchent-ils ? le frisson de l'interdit ? Sont-ils tellement blasés de leur vie matériellement aisée qu'ils ont besoin de s'encanailler pour se sentir exister ?
À une époque où l'on n'aime pas montrer ce qui n'est pas convenable, quitte à cacher la poussière sous le tapis,
Zola ne recule devant rien, abordant tous les sujets d'une façon crue et osée pour son temps. Paru en 1880, ce neuvième volume des Rougon-Macquart a beaucoup choqué.
Voici une sélection de petits mots doux relevés dans la presse de l'époque :
"Le monstre a paru. Ce n'est pas un monstre que je devrais dire, mais une monstruosité."
"Se coaliser contre cette invasion, soi-disant naturaliste, qui, par certaines souillures spéciales rappelle l'invasion des Prussiens, me paraît, pour les écrivains français, une oeuvre patriotique, nationale, nécessaire."
"Le nom de M.
Zola est, depuis quelques jours, dans toutes les bouches – même celles d'égout. Il n'est plus question que de son dernier roman, Nana… C'est le scandale du moment.
Qu'est-ce que Nana ? C'est la suite de L'Assommoir.
On sait que M.
Zola a un mépris de mauvais bourgeois pour le peuple. Suivant lui, le peuple est condamné à la dégradation, et ne peut se mouvoir qu'entre deux vices : l'ivrognerie et la prostitution."
C'est plutôt violent, non ?
Et je ne résiste pas au plaisir de recopier un autre "mot doux", un petit poème sobrement intitulé "À Émile
Zola" :
"Malgré ta morgue doctorale,
Ordure et « Nana » c'est tout un ;
Si ton livre est de la morale,
Alors la m… est un parfum."
Si vous vous lancez dans la lecture de Nana en frissonnant d'avance, en vous délectant à l'idée de lire des lignes érotiques, vous allez être déçus. S'il a fait scandale à l'époque, le roman semble de ce point de vue très banal aujourd'hui. Lisez-le donc pour les bonnes raisons : Nana est une peinture féroce et réjouissante des moeurs de certains contemporains d'Émile
Zola.
Ni bonne ni mauvaise, ni gentille ni méchante, ou un peu tout cela à la fois, Nana n'apparaît pas responsable de sa vie. Née dans le ruisseau, son seul "talent" est sa beauté provocante qui rend les hommes fous. À maintes reprises,
Zola la décrit "blanche et grasse", ce qui à son époque correspond aux canons de la beauté féminine. Qu'aurait-elle pu faire d'autre que de vivre de ses charmes ?
Drôle de Nana qui brûle la chandelle par les deux bouts.
Sacrée Nana qui joue tant avec le feu qu'elle finira par s'y brûler.
Faut-il la blâmer ?
La réponse vers laquelle
Zola entraîne son lecteur est non.
Ce n'est pas le choix de vie de Nana que l'écrivain dénonce, parce que de choix, elle n'en n'a pas eu.
Ce qu'il dénonce, ce sont ces hommes qui gravitent autour d'elle et qui profitent d'elle.
Même s'ils en viennent à se perdre et se ruiner, ce sont bien eux les coupables.
Le tableau est bien brossé, le texte fait mouche, le lecteur ne peut plus fermer les yeux sur la réalité.
Si je ne vous ai pas convaincus d'aller faire la connaissance de Nana, peut-être
Gustave Flaubert le fera-t-il. Aussi, je lui laisse le mot de la fin.
Voici tout d'abord un extrait de ce qu'il écrivit dans une lettre à sa nièce Caroline :
"Toute ma journée d'hier s'est passée à lire Nana (de 10 h. du matin à 11 h. et demie du soir sans désemparer). Eh bien, on dira tout ce qu'on voudra. Les mots orduriers y sont prodigués, le milieu est ignoble, et il y a des choses d'une obscénité sans pareille. Tous ces reproches sont justes. Mais c'est une oeuvre énorme faite par un homme de génie ! Quels caractères ! Quels cris de passion ! Quelle ampleur ! – et quel vrai comique ! Nana tourne au mythe sans cesser d'être une femme et sa mort est michelangelesque !"
Et voici une partie de ce qu'il écrivit à Émile
Zola lui-même :
"Nom de Dieu ! quelles couilles vous avez ! quelles boules !
S'il fallait noter tout ce qui s'y trouve de rare et de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. [...]
Un livre énorme, mon bon ! […]
Maintenant, que vous ayez pu économiser les mots grossiers, c'est possible. Que la table d'hôte des tribades « révolte toute pudeur », je le crois ! Eh bien ? après ! merde pour les imbéciles ! – c'est nouveau en tout cas, et crânement fait !"