Comme dans un conte de fée, par un coup de baguette magique, la modeste demoiselle des Postes est propulsée dans le monde des nantis « l'accomplissement précède le désir encore informulé ».
Du jour au lendemain, toute se transforme pour cette petite provinciale timide : Christine Hoflehner devient Christina von Boolen . Des petites mains à son service modifient sa coiffure, la vêtent d'atours luxueux qui tels des talismans font d'elle une princesse admirée, courtisée par des princes charmants.
Tout aussi brusquement, neuf jours plus tard, le sortilège disparaît.
Devenue indésirable, dans ce lieu où elle avait connu l'
ivresse de la métamorphose, elle retrouve ses tristes vêtements, quitte l'hôtel par la porte de service, revient chez elle où sa mère vient de mourir.
Grandeur et décadence ! Plus dure est la chute pour celle qui revenant dans le monde d'en bas a connu le monde d'en haut ! Elle sombre alors dans la misère, la solitude, dans une amertume qui se conjuguera ensuite avec la rancoeur de son compagnon de misère Ferdinand. Après l'ascension fulgurante, la lente descente aux enfers.
Somme toute, des situations bien romanesques qui n'ont rien à envier à celles des romans de gare , me direz-vous ……. Pourtant, ce qui n'aurait été ailleurs qu'une intrigue conventionnelle devient sous la plume de Zweig la trame d'un magnifique roman .
Une écriture souple et fluide qui épouse les méandres de l'analyse psychologique sublime le contenu de l'ouvrage, une écriture qui donne toute sa mesure lorsque Zweig évoque des sensations paroxysmiques, d'exaltation, au contraire, de profonde dépression. Une action dont l'intérêt ne faiblit jamais, que Zweig fait dépendre du contexte politique et social des années 1914 - 1926 et qu'il situe en des lieux dont l'atmosphère imprime fortement l'esprit des personnages.
La longue description –balzacienne- qui ouvre le roman, puis celle du grand hôtel où Christina rayonne, épanouie, et, comme en écho inversé, celle de l'hôtel borgne et sordide où Ferdinand et Christine vivent leur première et triste relation amoureuse en sont des exemples. Tout en évitant le manichéisme, Zweig se fait observateur de la comédie humaine, jetant un regard décapant sur les conventions, les préjugés des membres de la haute société qui hante les salons du grand hôtel .
Un roman riche, flamboyant dont la fin ouverte et troublante incite le lecteur à envisager lui-même l'issue du drame.