À travers l'exemple du comté du Rouergue (Aveyron),
Frédéric de Gournay nous offre une magnifique leçon d'histoire sur le tournant de l'an mil en France, c'est-à-dire ce moment de bascule où la vieille noblesse issue de l'Empire roman et des invasions franques s'est trouvée métamorphosée par la classe nouvelle des chevaliers et la construction de châteaux et tours un peu partout.
Ce livre est remarquable en ce qu'il est à la fois très clair et très précis dans l'utilisation de ses sources. C'est la première que je comprends aussi facilement en quoi l'an mil est une révolution. Cela grâce aux multiples exemples concrets de l'auteur et une écriture, parfois savante (principalement à cause des citations en latin), mais toujours accessible pour l'amateur éclairé que je suis.
La thèse du livre est très bien expliquée par la 4e de couverture : avant l'an mil, prévalait encore l'ordre carolingien, c'est-à-dire un embryon d'administration mis en place avec des comtes nommés par un pouvoir royal chargé d'appliquer la loi, de récolter les impôts et de coordonner la défense militaire du territoire. À partir de 950, ce monde bascule... assez vite par rapport au temps long historique.
Si le comte avait déjà pris son indépendance vis-à-vis du pouvoir royal et que le comté de Rouergue était de fait un territoire autonome, à son tour le comte n'est plus obéi par ses vassaux. Il n'y a plus de loi unique. Les petits seigneurs, les chefs de guerre, font construire des tours, des châteaux, à la fois pour le prestige et comme repaire pour faire régner la loi du plus fort aux alentours.
Peu à peu on assiste à la naissance d'une nouvelle classe que les textes d'époque nomment « milites », et nous chevaliers. Recrutés probablement parmi l'élite de la paysannerie (au moins en partie), ces chevaliers deviennent indispensables à la noblesse, jusqu'à être incorporés en elle. de Gournay note que la noblesse s'est autant acculturée à cette classe de cavaliers guerriers que l'inverse ; de ce double mouvement, c'est la société entière qui en est transformée. Les répercussions sont larges, et l'auteur détaille avec de nombreux exemples l'évolution de l'habitat, la situation des paysans, l'organisation de l'agriculture…
Un livre d'histoire comme j'aimerais en lire plus souvent ! Concret, sourcé et agréable à lire !