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Citations sur Mort d'un poète (12)

- Ali… Je ne t’ai jamais dit…
Voix bizarre. De confidence chuchotée. Voix des prisonniers qui marchent en rang, sous l’œil des matons et qui bavardent sans remuer les lèvres. Voix de clandestinité.
- ça ne fait rien… J’ai compris, je crois. Dors.
- J’ai besoin de me l’entendre dire… Il me semble que je t’ai vraiment aimé… c’est si… étrange, quand j’y pense… Au début, je trouvais ça… répugnant. Je me voyais tel que je suis, ridé, affaissé, laid…
La joie transperça Ali, qui se surprit à bénir l’obscurité, laquelle le protégeait.
Il dut laisser passer un temps avant de répliquer d’une voix enrouée, remplie de violences.
- toi, tu étais vieux au-dehors, moi en dedans. Et laid. Tu m’as nettoyé. Comme la pluie. Tu m’as fécondé aussi. Tu m’as donné la vie. Dors maintenant, dors…
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"Gueule" suggère qu'on a vécu, aimé, bourlingué, picolé, triché ; qu'on a fini par devenir le personnage de ses propres actions et qu'on se regarde agir et parler, comme au cinéma. Un masque, ça se dépose, ne fût-ce que dans l'obscurité ; ça se change éventuellement. C'est un accessoire, un travestissement. Dans "tronche" pour péjoratif que le mot paraisse, il entre une nuance de familiarité complice. On se fait une tronche quand on ne possède pas les moyens de se fabriquer une gueule.
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Le pouvoir vit de sa puissance, non de ses idées.
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" Aux premières bornes que l'homme rencontre, le monde n'est que désordre et que sourde pénombre."
La voix de Tchardine n'était plus ce chant de violoncelle qui avait enchanté Clara à Berlin. La vieillesse y avait mis des aigus stridents, un vacillement secret.
Ali se redressa, le fixa.
- Non, ce n'est pas de moi, fit Tchardine avec un sourire d'amertume.
C'est de Lorca, une tante de mon espèce.
- Je n'aime pas quand tu parles comme ça.
- C'est comme ça que les autres parlent de moi. C'est ce qu'ils disent dès que j'ai le dos tourné. Ils croient m'excuser en m'imaginant gâteux... C'est aussi comme ça que tu parlais.
- Je n'ai jamais dit ça, sauf à quatorze ou quinze ans... Et puis, tu n'es pas les autres.
- Tu te trompes, je suis tous les autres, ce qui explique qu'ils se reconnaissent en moi. Je suis les autres tels qu'ils s'ignorent. Toutes poésie révèle.
Fut-ce le lendemain ou le surlendemain ? Ils avaient dîné chez Lasserre avec une amie comédienne.
Tchardine se cala au fond de la voiture, fit asseoir Ali à ses côtés, lui recommanda de bien voir, sans détourner le regard.
- La plupart des gens, fit le poète distraitement, ne voient que ce qu'ils désirent voir. Ils badigeonnent la réalité avec des lieux communs. Essaie de regarder contre tes rêves. Tu sauras ce qui d'eux résiste.
C'était l'automne, tiède et humide. Les rues de Paris avaient cette brillance des rues de Carné.
Et le jeune homme découvrit des cités aussi abandonnées, aussi lugubres, aussi mornes que celle où il avait vu le jour. Derrière chaque fenêtre, il pouvait imaginer un adolescent pareil à celui qu'il fut, couché sur le dos, fixant le plafond d'un œil vide tout en écoutant des paroles étrangères, balbutiements tombés d'une planète rêvée.
La promenade dura plusieurs heures. Autour de la ville, luxueuse et fardée, il aperçut des nécropoles géantes, plantées des mêmes peupliers risibles.
Quand ils retrouvèrent leur hôtel, Ali se laissa choir sur le lit.

" Dans les faubourgs on voit tituber des hommes insomnieux,
Comme des rescapés d'un naufrage de sang."
- Lorca, toujours, lâcha Tchardine avec mélancolie
Tu viens de découvrir de quoi l'Occident retire sa tristesse. Nulle part l'homme ne chante plus les matins.
- Je ne suis pas triste. Et puis tu m'emmerdes avec tes discours à la noix !
Mais ces scènes, ces dialogues que je reconstitue à partir de confidences et de témoignages de seconde main, rien ne prouve qu'ils aient eu lieu. On peut donc imaginer que, de retour de leur promenade nocturne, Ali garda un silence buté. ou que, le visage tourné vers le mur, il feignit de dormir.
Une chose est sûre : après le premier éblouissement, Ali connut une période de doute et de désolation. Une expression de désenchantement s'imprima sur son visage.
L'Occident ne le déçut pas vraiment, mais il ne sut pas davantage répondre à son attente infinie. Au fond, on retrouvait partout la même douleur de vivre.
Le vieux poète aurait-il raison ? L'existence ne serait-elle qu'une douleur lancinante dont seule l'illusion de l'amour consolerait ?

Mots creux de nos sanglots gonflés
Majuscules risibles de nos peurs affolées.
Trouver dans le silence du geste,
Derme à derme, bouche à bouche.
Le fier discours
Aux déclamations hostile.
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Avec Ali, Tchardine s’éprouvait pour la première fois délivré. Il ne redoutait aucune indiscrétion. Il ne craignait pas non plus d’être mal compris. Il se laissait aller à exprimer en toute liberté sa pensée, qui était caustique, subtile, érudite sans être livresque.
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Notre fraternité se fondait sur la poésie, ce frémissement impalpable, cette palpitation des mots quand ils prennent leur envol pour s'arracher au silence. Comme un battement d'ailes dans l'obscurité. L'indicible soudain chuchoté.
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Il ne regrettait pas de le suivre, non. Qu’aurait-il fait seul, loin de lui ? Il n’aurait su dire si c’était de l’amour, de la fidélité. C’était d’abord la vie. Là où Tchardine était, là aussi le sentiment de la vie se manifestait. Comme si seul le vieux magicien avait disposé des mots pour la dire et pour la célébrer.
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- Tu t’imagines que les gens vivent, dans ce pays ?
- non, s’empressait de rétorquer Ali, qui sentait trop le poids de la mort dans ce qui l’entourait.
- Et même notre lumineux guide, tu t’imagines qu’il vit ? bon, il chasse, il tue des lions et des antilopes. Mais il interprète le plus vieux rôle du répertoire, celui de tyran que sa puissance aveugle. Tu n’as qu’à regarder ce qu’il tente de faire de notre capitale : tu ne vois pas la vieillerie de ces palais de carton-béton ? Et moi, que fais-je sinon singer le rôle du bouffon ? Mais il arrive qu’un éclair me transperce et que je parvienne à fixer cette lueur sur une feuille de papier.

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Il ne l'avait jamais aimée. Elle lui avait toujours inspiré un dégoût nauséeux. Il ne supportait ni sa voix ni son odeur.
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... il croyait être ce qu'il disait, faute de pouvoir être ce qu'il était.
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