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EAN : 9782070383788
384 pages
Gallimard (15/05/1991)
3.62/5   26 notes
Résumé :
Sur la Doumarie, pays de misère, règnent le Lumineux Guide, l'Invincible Maréchal Carol Oussek et son épouse, l'Auguste Alexandra, Mère de Tous les Peuples, Protectrice des Arts et des Sciences. Des fantoches font office de gouvernement. Parmi eux, le narrateur, Igor Védoz, Ministre de la Justice, cynique et vieillissant, qui n'ignore rien de la cruauté et de la veulerie de ses chers camarades, mais leur demeure indissolublement lié. Par la peur. Un mardi de novembr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Subjuguée !

Je viens de découvrir cet auteur et la puissance de son écriture me laisse bouche bée.
Roman policier d'abord, mais surtout véritable diatribe sur la dictature, l'oppression, la manipulation.

Tchardine, poète mondialement connu, vient de mourir. Aussitôt après Ali Tasko, son secrétaire et dernier amant, est assassiné. Qui a commandité ce crime, et pourquoi ?

L'action se passe en Doumarie, dictature régie d'une main de fer par le Guide lumineux, l'invincible Maréchal, Carol Oussek. C'est le ministre de la Justice, Igor Vedoz, grand admirateur du poète, qui est chargé de cette enquête. Mais bien vite, il se rend compte que cette
mission n'est qu'un piège. Il ne sait pas s'il doit vraiment dénoncer le coupable (car il connaît déjà la réponse) ou plutôt retrouver les documents que Tchardine avait en sa possession et qui lui garantissaient sa survie et sa liberté d'aller et venir.

Inévitablement, l'univers de ce roman nous évoque la Roumanie et son sinistre Ceaucescu.
La population affamée, quasi réduite en esclavage est muselée et incapable de réagir. Chaque parole, chaque action est observée. La dénonciation est monnaie courante.
L'Histoire est rejetée. Les villes anciennes rasées et reconstruites à la démusure du Guide lumineux.
La peur règne partout, même au sein du comité révolutionnaire représenté par les douze ministres qui savent qu'un mot peut suffire à anéantir leurs privilèges. Leur allégeance passe par une soumission totale : on partage tout avec l'Invincible maréchal, même son intimité.

Mais ce roman est aussi une magnifique histoire d'amour. L'histoire d'un homme, qui à l'approche de sa mort, va découvrir et (re)connaître l'amour en la personne de son secrétaire, jeune voyou inculte dépêché par les services secrets. Jeune voyou qui apprendra, au fil des mois, à appréhender la beauté et la liberté à travers les mots de Tchardine.

Très beau roman de Michel del Castillo qui revendique la force de l'écriture, dernier espace de liberté, face à un pouvoir totalitaire.
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Non. Ce n'est pas un roman policier. Certes il y a une enquête, des meurtres, mais l'essentiel n'est pas dans cela. L'essentiel est les parcours humains dans une société complexe parce que ultra-simplifiée, comme seules peuvent l'être les dictatures. Peut-être est-ce moi qui suis déformé, mais je n'y vois qu'un livre bien écrit dont le thème est : les choses et les êtres ne sont jamais aussi simples qu'on ne le croit.
Je suis très touché par certaines "erreurs" de jugement du personnage-narrateur de l'histoire sur ses proches. Ne les connaîtrions que si mal... Froid dans le dos.
Michel del Castillo parvient à densifier quelques uns des personnages dont le Poète mais, à mon avis, pas tous. Il reste du flanc, du vide aussi. Ca n'a pas la densité une fois de plus d'un Dostoïevski. Mais ce roman ne fait jamais que 368 pages et est déjà un colossal travail original.
Je ne perçois qu'assez peu les allusions à des faits qui se seraient passés ou les ressemblances entre fiction et réalité, et personnages inventés ou réels... Je manque sans doute des références ad hoc.
Bref, je mets quatre étoiles, qui penchent nettement plus vers les trois que les cinq, mais, disons, pour le style, pour l'invention, pour l'inventaire...
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De mémoire , peut-être le roman de del Castillo pour lequel j'ai le moins vibré.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
" Aux premières bornes que l'homme rencontre, le monde n'est que désordre et que sourde pénombre."
La voix de Tchardine n'était plus ce chant de violoncelle qui avait enchanté Clara à Berlin. La vieillesse y avait mis des aigus stridents, un vacillement secret.
Ali se redressa, le fixa.
- Non, ce n'est pas de moi, fit Tchardine avec un sourire d'amertume.
C'est de Lorca, une tante de mon espèce.
- Je n'aime pas quand tu parles comme ça.
- C'est comme ça que les autres parlent de moi. C'est ce qu'ils disent dès que j'ai le dos tourné. Ils croient m'excuser en m'imaginant gâteux... C'est aussi comme ça que tu parlais.
- Je n'ai jamais dit ça, sauf à quatorze ou quinze ans... Et puis, tu n'es pas les autres.
- Tu te trompes, je suis tous les autres, ce qui explique qu'ils se reconnaissent en moi. Je suis les autres tels qu'ils s'ignorent. Toutes poésie révèle.
Fut-ce le lendemain ou le surlendemain ? Ils avaient dîné chez Lasserre avec une amie comédienne.
Tchardine se cala au fond de la voiture, fit asseoir Ali à ses côtés, lui recommanda de bien voir, sans détourner le regard.
- La plupart des gens, fit le poète distraitement, ne voient que ce qu'ils désirent voir. Ils badigeonnent la réalité avec des lieux communs. Essaie de regarder contre tes rêves. Tu sauras ce qui d'eux résiste.
C'était l'automne, tiède et humide. Les rues de Paris avaient cette brillance des rues de Carné.
Et le jeune homme découvrit des cités aussi abandonnées, aussi lugubres, aussi mornes que celle où il avait vu le jour. Derrière chaque fenêtre, il pouvait imaginer un adolescent pareil à celui qu'il fut, couché sur le dos, fixant le plafond d'un œil vide tout en écoutant des paroles étrangères, balbutiements tombés d'une planète rêvée.
La promenade dura plusieurs heures. Autour de la ville, luxueuse et fardée, il aperçut des nécropoles géantes, plantées des mêmes peupliers risibles.
Quand ils retrouvèrent leur hôtel, Ali se laissa choir sur le lit.

" Dans les faubourgs on voit tituber des hommes insomnieux,
Comme des rescapés d'un naufrage de sang."
- Lorca, toujours, lâcha Tchardine avec mélancolie
Tu viens de découvrir de quoi l'Occident retire sa tristesse. Nulle part l'homme ne chante plus les matins.
- Je ne suis pas triste. Et puis tu m'emmerdes avec tes discours à la noix !
Mais ces scènes, ces dialogues que je reconstitue à partir de confidences et de témoignages de seconde main, rien ne prouve qu'ils aient eu lieu. On peut donc imaginer que, de retour de leur promenade nocturne, Ali garda un silence buté. ou que, le visage tourné vers le mur, il feignit de dormir.
Une chose est sûre : après le premier éblouissement, Ali connut une période de doute et de désolation. Une expression de désenchantement s'imprima sur son visage.
L'Occident ne le déçut pas vraiment, mais il ne sut pas davantage répondre à son attente infinie. Au fond, on retrouvait partout la même douleur de vivre.
Le vieux poète aurait-il raison ? L'existence ne serait-elle qu'une douleur lancinante dont seule l'illusion de l'amour consolerait ?

Mots creux de nos sanglots gonflés
Majuscules risibles de nos peurs affolées.
Trouver dans le silence du geste,
Derme à derme, bouche à bouche.
Le fier discours
Aux déclamations hostile.
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- Ali… Je ne t’ai jamais dit…
Voix bizarre. De confidence chuchotée. Voix des prisonniers qui marchent en rang, sous l’œil des matons et qui bavardent sans remuer les lèvres. Voix de clandestinité.
- ça ne fait rien… J’ai compris, je crois. Dors.
- J’ai besoin de me l’entendre dire… Il me semble que je t’ai vraiment aimé… c’est si… étrange, quand j’y pense… Au début, je trouvais ça… répugnant. Je me voyais tel que je suis, ridé, affaissé, laid…
La joie transperça Ali, qui se surprit à bénir l’obscurité, laquelle le protégeait.
Il dut laisser passer un temps avant de répliquer d’une voix enrouée, remplie de violences.
- toi, tu étais vieux au-dehors, moi en dedans. Et laid. Tu m’as nettoyé. Comme la pluie. Tu m’as fécondé aussi. Tu m’as donné la vie. Dors maintenant, dors…
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"Gueule" suggère qu'on a vécu, aimé, bourlingué, picolé, triché ; qu'on a fini par devenir le personnage de ses propres actions et qu'on se regarde agir et parler, comme au cinéma. Un masque, ça se dépose, ne fût-ce que dans l'obscurité ; ça se change éventuellement. C'est un accessoire, un travestissement. Dans "tronche" pour péjoratif que le mot paraisse, il entre une nuance de familiarité complice. On se fait une tronche quand on ne possède pas les moyens de se fabriquer une gueule.
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- Tu t’imagines que les gens vivent, dans ce pays ?
- non, s’empressait de rétorquer Ali, qui sentait trop le poids de la mort dans ce qui l’entourait.
- Et même notre lumineux guide, tu t’imagines qu’il vit ? bon, il chasse, il tue des lions et des antilopes. Mais il interprète le plus vieux rôle du répertoire, celui de tyran que sa puissance aveugle. Tu n’as qu’à regarder ce qu’il tente de faire de notre capitale : tu ne vois pas la vieillerie de ces palais de carton-béton ? Et moi, que fais-je sinon singer le rôle du bouffon ? Mais il arrive qu’un éclair me transperce et que je parvienne à fixer cette lueur sur une feuille de papier.

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Avec Ali, Tchardine s’éprouvait pour la première fois délivré. Il ne redoutait aucune indiscrétion. Il ne craignait pas non plus d’être mal compris. Il se laissait aller à exprimer en toute liberté sa pensée, qui était caustique, subtile, érudite sans être livresque.
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Vidéo de Michel del Castillo
Michel del Castillo vous présente son ouvrage "Mamita" aux éditions Fayard.
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