Il n'est pas anodin que le Conseil d'Etat ait consacré coup sur coup, en 2000 et 2001, à la demande du Premier ministre, deux études au droit international. C'est le signe que la plus haute juridiction administrative française ne peut plus concevoir sa fonction sans la replacer dans un contexte plus vaste. En 2000 « La norme internationale en droit français » traçait quelques pistes pour améliorer l'insertion du droit international, notamment communautaire, en droit interne. C'est au cheminement inverse que le Conseil d'Etat s'est intéressé en 2001 en appréciant l'influence internationale de notre droit.
A l'origine de cette étude, une inquiétude : le droit français, qui longtemps rayonna partout dans le monde, ne décline-t-il pas ? N'assiste-t-on pas à une perte d'influence du droit romano-germanique face à la common law anglo-saxonne ? C'est en effet le sentiment qui domine. Pourtant, une telle affirmation ne va pas de soi. L'influence juridique est difficilement quantifiable pour le simple motif qu'il est difficile de rattacher systématiquement des règles nationales, transnationales ou supranationales à tel ou tel système. Si mondialisation du droit il y a, elle se fait moins dans le sens d'une américanisation que d'un métissage des droits français et anglo-saxons. Puisqu'une victoire par KO de l'un sur l'autre n'est pas concevable, l'enjeu n'est donc plus de protéger le droit français d'une inéluctable obsolescence, mais de faire en forte que l'hybridation juridique, qui est la marque de fabrique actuelle du droit mondial ne l'ignore pas complètement.
Ce préalable étant posé, le Conseil d'Etat définit une stratégie d'influence juridique. Il liste les « sujets » qu'elle doit privilégier : la construction d'un ordre institutionnel et normatif international (par exemple la rédaction d'une « Constitution européenne »), l'action en justice pour la protection des droits (règlements de procédure applicables devant les TPI ou devant l'organe de règlement des conflits de l'OMC, création dans l'UE d'une procédure pénale uniforme), réglementation des nouvelles technologies et de la bioéthique. Il identifie les « lieux » où cette stratégie doit se déployer, au premier rang desquels l'Union européenne « levier … de l'influence du système romano-germanique » (p. 94). Avec beaucoup d'humilité, le Conseil d'Etat propose d'améliorer le droit français pour le rendre mieux exportable. Il dresse ce faisant un tableau pessimiste de la dégradation des qualités du droit français, « droit simple, clair, intelligible dont la compréhension ne soit pas réservée aux spécialistes, droit de principes, cohérent donc prévisible, pratiquant une abstraction propre à faciliter son adaptation aux évolutions » (p. 103). Améliorer le droit français, c'est aussi l'enrichir des apports du droit comparé : la création d'une Fondation pour les études comparatives, suggérée par le Pr. Lyon-Caen, proposition reprise par l'Assemblée nationale y contribuerait.
Il trace enfin trois lignes d'action : améliorer l'accueil et la formation des étudiants étrangers qui, formés au droit français, en deviendront les ambassadeurs ; renforcer les professions juridiques françaises qui, trop morcelées, souffrent de la compétition des lawyers américains sur le marché mondial du droit ; améliorer la coordination de l'action des institutions publiques (il vante ainsi l'exemple de la « Maison du droit » franco-vietnamienne)
Pour autant, le Conseil d'Etat ne se leurre pas sur les effets d'une telle stratégie. Il souligne que l'influence juridique a peu à voir avec les qualités intrinsèques de tel ou tel système. Si la common law progresse depuis un siècle, c'est d'abord en raison du rayonnement économique du monde anglo-saxon et du déclin de la langue française, vecteur historique de diffusion du droit français. le déclin – réel ou fantasmée – du droit français n'est que le reflet du déclin – lui aussi plus fantasmé que réel – de la puissance française. Voilà qui démontre le réalisme de cette étude riche et intelligente … tout en en montrant ses limites.
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