Lettres à son frère Théo

Je vais te dire quelles gravures j’ai mises au mur : Ruysdael : le Buisson et Blanchisseries ; Rembrandt : la Lecture de la Bible (une grande chambre vieille-Hollande) - le soir : – une chandelle sur la table où la jeune mère assise près du berceau de son enfant lit la Bible ; une vieille femme assise écoute, c’est quelque chose qui fait penser : « En vérité, je vous le dis, là où deux ou trois personnes s’assemblent en mon nom, je suis au milieu d’elles » ; c’est une ancienne gravure sur cuivre, aussi grande que le Buisson, superbe ; (...).

PARIS (mars 1875 - mars 1876)
Paris, le 31 mai 1875.

J’écris ci-dessous quelques noms de peintres que j’aime : particulièrement :
Scheffer, Delaroche, Hébert, Hamon, Leys, Tissot, Lagey, Boughton, Millais, Thijs Maris, de Groux, de Braekeleer, jr. Millet, Jules Breton, Feyen-Perrin, Eugène Feyen, Brion, Jundt, George Saal, Israels, Anker, Knaus, Vautier, Jourdan, Compte-Calix, Rochussen, Meissonier, Madrazzo, Ziem, Boudin, Gérôme, Fromentin, Decamp, Bonington, Diaz, Th. Rousseau, Troyon, Dupré, Corot, Paul Huet, Jacque, Otto Weber, Daubigny, Bernier, Emile Breton, Chenu, César de Cock, Mlle Collart, Bodmer, Koekkoek, Schelhout, Weissenbruch et last not least Maris et Mauve. Mais je continuerais ainsi je ne sais combien de temps, et il y a encore les vieux, et je suis sûr d’avoir encore omis quelques-uns parmi les meilleurs.

LONDRES (juillet 1873 - mai 1875)
Londres, janvier 1874.

Je vois que tu t’intéresses à l’art et cela est une bonne chose, vieux. Je suis heureux que tu aimes Millet, Jacque, Schreyer, Lambinet, Frans Hals, etc., car comme dit Mauve « c’est quelque chose ».
Oui, le tableau de Millet, l’Angélus du Soir, « c’est quelque chose », c’est magnifique, c’est de la poésie. Comme je parlerais encore volontiers d’art avec toi, mais nous n’avons qu’à nous écrire souvent ; trouve beau tout ce que tu peux, la plupart ne trouvent pas suffisamment beau.

LONDRES (juillet 1873 - mai 1875)
Londres, janvier 1874.

Théo ne put supporter sa douleur. Frappé de paralysie, transporté en Hollande par les soins de sa femme, il y mourait quelques mois plus tard, en janvier 1891.
On ne voulut pas séparer ceux qui s’étaient tant aimés durant leur vie. Vincent, le peintre des soleils silencieux et des tournesols d’or, et Théo, le frère sublime, reposent côte à côte à Auvers-sur-Oise. Et, dans l’admiration universelle, leurs deux noms n’en font qu’un.

Notice biographique sur Vincent van Gogh

Le 27 juillet, hanté par l’angoisse de la crise qu’il sent venir, il se tire une balle au cœur. Mais le coup dévie : la balle se loge dans l’aine. Il trouve la force de revenir. Prévenu par le docteur Gachet, Théo accourt. Quelques heures après, Vincent n’existait plus.
Une lettre, qui n’est que doute et désespoir, fut trouvée sur lui. Dernière lettre à Théo, qui ne parvint à lui que par-delà la mort.

Notice biographique sur Vincent van Gogh

Vincent passe dans des alternatives de douleur, de désespoir, de mélancolie, de calme – et cependant ne cesse de peindre. A certaines phrases de ses lettres, on imagine à quel point il dut souffrir du hurlement perpétuel de ses malheureux compagnons.

Notice biographique sur Vincent van Gogh

Chassé d’Arles par une population qui, maintenant, le redoute et s’effraie à sa vue, chassé par l’angoisse de la crise prochaine, il se décide, sur les pressants avis de Théo et du pasteur Salles, à entrer à l’asile de Saint-Remy.
L’asile Saint-Paul de Mausole, à Saint-Remy, tout proche de l’arc de triomphe et du mausolée qui comptent parmi les plus beaux monuments romains de France, est un ancien monastère. Une allée de pins en annonce l’accès. Dans les bâtiments, immenses, un médecin, le docteur Mercurin, avait aménagé au début du XIXe siècle une maison de santé.

Notice biographique sur Vincent van Gogh

On le conduit à l’hôpital. Et là, entre deux crises, cet homme étonnant retrouve son génie, et peint.
Le 7 janvier, il regagne sa chère maison couleur de lumière et d’amour. Mais il n’y retrouve que des ombres, la sienne d’abord, celle de l’ami parti ensuite. Et voici que la vie devient douloureuse. Des hallucinations le poursuivent, l’obsèdent, l’épouvantent. La pire des souffrances s’empare de lui : l’angoisse. Les Lettres deviennent poignantes.

Notice biographique sur Vincent van Gogh

Les Lettres nous disent ses joies multiples. Joie des couleurs, de la lumière ; joie d’installer une maison enfin, la « maison des amis », illuminée d’une décoration où la dominante est la couleur de l’affection pure, le jaune triomphal ; joie de voir arriver le premier des amis, Gauguin. Une seule de ces lettres, peut-être, laisse entrevoir la catastrophe imminente. Puis elles cessent – pour réapparaître quinze jours plus tard. C’est que, dans l’intervalle, le drame a éclaté. Le soir de Noël, Vincent a jeté son verre à la figure de Gauguin. Dans la nuit, il s’est coupé une oreille et l’a portée, bien enveloppée, à une fille, dans une maison : Vincent est fou.

Notice biographique sur Vincent van Gogh

Il dessine et peint sans arrêt et, tard dans la nuit, écrit. Dans les quelques mois qui suivent – mars-décembre 1888 –, il élève une œuvre artistique prodigieuse, et un véritable monument littéraire : car ce peintre est aussi un écrivain.

Notice biographique sur Vincent van Gogh