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Critiques de Erckmann-Chatrian (76)
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L'ami Fritz

Ce roman de Messieurs ERCKMANN et CHATRIAN (publié en 1864) reste inaltérable. Son charme (au port majestueux) reste un mystère : à lire effectivement sous un arbre, dans le silence presque absolu (une grive musicienne ou un merle vous enveloppant de son chant, depuis les feuillages).



Est-ce dû à la langue ? Elle est souple, fluide, facétieuse, aimante, bienveillante, optimiste... "datée" ou "désuète" [diront certains — étiquetages contemporains qui font toujours sourire... ]



Comme je rejoins l'avis de notre ami HORUSFONCK : "L'Ami Fritz" est un beau récit qui est là pour nous rappeler combien le bonheur et la joie de vivre peuvent être simples..."



Fritz Kobus, bourgeois bien pourvu par ses parents, est un type bien : un "epicaures" comme le qualifie son voisin et ami David Sichel (le "rebbe" de Hunebourg), un religieux qui ne souhaite que le bien d'autrui et l'harmonie matrimoniale ; Katel (la bonne de Kobus) une vieille fille râleuse ; "la petite Sûzel" une fille très simple vivant chez ses parents, des paysans dévoués ; le gras percepteur Christian Hâân (qui a pour tâche ingrate de racketter "pour le Roi" même les plus misérables) est aussi un bon bougre, lui et le grand Frédéric Schoulz (ancien sergent de la Landwehr en 1814) sont de bons compagnons pour les parties de "youker" à la Brasserie du Boeuf-Rouge ou celle du Grand-Cerf ; le "zigeuner" (bohémien) Iôsef un violoneux pauvre, fier, reconnaissant et taiseux...



Dites-moi en quoi l'optimisme et l'amour de la vie seraient-elles "désormais" des vertus déplacées et "démodées" en Littérature ?



Vaut-il vraiment mieux s'obliger à bâfrer les matières fécales orléanesques familiales de Yann Moix (autofiction à scandââle + voyeurisme = Miam-miam !), s'habituer à la prose si vulgaire et anodine de tels ou tels ouvrages à la mode précaire des Temps "défoncés" (subutexeries en série d'une « Ecrivaine Majeure ») ou "s'addicter" aux textes dépressifs répétitifs d'un certain "Prix Goncourt"... plutôt que préférer déguster tranquillement sous le "Tannenbaum", 150 ans après sa très saine création [discours pour "vieux réac' ", 'ttention !], "L'Ami Fritz" des très républicains Emile Erkmann et Alexandre Chatrian ?



Un lecteur nous parle quand même d' "antisémitisme passif" concernant le bon "rebbe"... (Là, faudrait qu'on m'explique !). Une lectrice, de "quasi-pédophilie" (Fritz Kobus a 36 ans et Süzel 17 quand l'un tombe amoureux de l'autre). Aïe-aïe-aïe... :-)



L'important serait donc aujourd'hui pour le Lecteur de se transformer en petit Procureur des mentalités "attardées" des siècles passés... C'est vrai que cela nous prouve notre supériorité de "lecteurs contemporains-clairvoyants" ..."à qui on ne la fait pas"... (Tu parles !).



Si "L'Ami Fritz" représente le "provincialisme", j'accepte bien volontiers de m'asseoir sur tous les ouvrages du Grand Maître Houellebecq et tous les machins branchouilles à Despentes... pour re-savourer la moindre ligne des ouvrages de Charles Ferdinand RAMUZ (de Lausanne), de Georges SIMENON (de Liège), d'André DHÔTEL (d'Attigny), de Bruno SCHULZ (de Drohobytch), de Tarjei VESAAS (de Vinje), de Julien GRACQ (de St-Florent-le-Vieil) et de MM. Emile et Alexandre ERCKMANN-CHATRIAN (de Phalsbourg et Soldatenthal)... Vive le Provincialisme, crénom de nom !!!



Nous sommes à l'Ecole de la fine observation des "us & coutumes" de gens présumés "sans histoire" que l''on a pu admirer tout d'abord dans les passionnants téléfilms "Heimat - Eins" [1984]", "Die Zweite Heimat" [1992], "Heimat - Dritte" [2004] - ceux et celles du village de Shabbach, au fil des siècles - et du chef d'oeuvre cinématographique définitif que demeurera sans doute le lumineux "Heimat" se déroulant dans les années 1842-1844 ("Die Andere Heimat") et comprenant "Chronique d'un rêve" - "L'exode" [2013] du très perfectionniste Edgar REITZ, poète des images et de sons...



Bref, découvrons et savourons dès à présent "Histoire d'un conscrit de 1813", "L'Ami Fritz", "Histoire d'un sous-maître" : tous ces hauts chefs d'oeuvre si modestes du "duo" ERCKMANN-CHATRIAN...
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Histoire d'un sous-maître

Un grand merci à Babelio et aux éditions La Valette pour avoir eu le plaisir de lire ce sympathique roman. Je connaissais les auteurs de nom (oui, ils sont deux : Emile Erckmann et Alexandre Chatrian, et je ne l'ai découvert que très récemment à ma grande honte) mais je n'avais jamais franchi le pas. Voilà qui est fait.



Bien entendu, le thème ne pouvait que m'être agréable puisqu'il traite de l'enseignement au XIXe siècle. Et même s'il ne s'agit pas d'un document mais bel et bien d'un roman, il n'empêche que toute la vision de la société est mise en relief dans ce livre. Alors, la première question est : qu'est-ce qu'un sous-maître ? Il s'agissait d'une jeune personne surveillant les élèves ou, à l'occasion, remplaçant l'enseignant en fonction. Mais attention, il ne s'agissait pas d'un pur et simple surveillant. Le sous-maître était inspecté et devait obtenir sa validation. Inutile de préciser qu'il devait donc être un brin savant. Ainsi, Jean-Baptiste Renaud accède à cette charge au début du XIXe siècle. Son brevet de deuxième classe en poche, il aspire à une carrière. Il veut devenir instituteur lui aussi. Cependant, des événements importants vont faire prendre une autre tournure à son avenir. Il apprend à ses dépens l'hypocrisie des hommes.



Le roman se lit très vite, la lecture en est agréable. On apprend énormément de choses sur cette société : les enseignants étaient liés à l'Eglise et se retrouvaient souvent pieds et poings liés. Ils étaient payés par les familles et devaient donc avoir une classe conséquente s'il voulait avoir de quoi vivre. Cependant, il était hors de question de prendre "n’importe qui" : il fallait pouvoir enseigner le catéchisme et convertir ceux qui n'étaient pas catholiques.



Je vais désormais lire les autres œuvres de ces deux auteurs car leurs romans, qualifiés de populaires, permettent de s'enrichir tout en ayant le plaisir de la lecture.


Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Hugues-le-loup

Voici un court roman ou "conte" d'un fantastique truculent, publié pour la 1ère fois en feuilleton en 1859 [*] par les "alsaciens-lorrains" Emile ERCKMANN et Alexandre CHATRIAN, littérateurs doués et grands Républicains sans peurs ni inhibitions.



"Hugues-le-Loup" est sans conteste une étape fictionnelle importante, annonçant les grands chefs d'oeuvre romanesques des années 1860 et 1870, parmi lesquels "Madame Thérèse" [1862], "Confidences d'un joueur de clarinette" [1863], "Histoire d'un conscrit de 1813" [1864], "L'Ami Fritz [1864], "Waterloo" [1865], "Histoire d'un homme du peuple" [1865], "Le Blocus" [1865], "Histoire d'un paysan" [1867], "Histoire d'un sous-maître" [1871] et "Maître Gaspard Fix - Histoire d'un conservateur" [1875].



Aux fêtes de Noël, le bon docteur Fritz (de Fribourg) doit chevaucher vers les solitudes du château de Nideck, poussé par Gédéon Sperver, son père adoptif devenu domestique ("premier piqueur") de Monsieur le Comte : Nideck est un "nid d'aigle" cerné par la Schwarz-Wald, "Forêt Noire"couverte de sa carapace de glace. Il y fait nuit dès quatre heures du soir ou même avant, quand la bise hurle...



Le Comte de cette "Place-forte de toutes les Nuits" se meurt, alité par une étrange faiblesse... Sa fille Odile veille sur lui nuit et jour mais refuse à ce père veuf (qui craint l'extinction de sa race) toute perspective de mariage en se destinant au cloître... Domesticité, majordome (et son épouse), Grand Veneur taciturne, Premier Piqueur volubile et Docteur désoeuvré s'ennuient de concert entre feux dérisoires dans des salles glaciales, jeux de cartes et bons vins qui réchauffent les corps le plus loin possible des courants d'air des corridors et meurtrières...



Juché sur une échelle d'une immense bibliothèque jamais chauffée, un homme souffrant de nanisme ("Knapwurst") revisite, siècle après siècle, la généalogie maudite d' "Hugues le Loup", le grand ancêtre à regard sauvage, front bas et oreilles poilues...



Une vieille surnommée la "Peste-Noire" rôde au pied du vieux château et allume ses feux dans la forêt sans fin ; on retrouve trace de ses collets tendus pour les lièvres... Dehors, les voyageurs les plus intrépides s'égarent dans la neige...



" L'action " ? Plutôt une non-action et une attente dignes de celle du lieutenant Drogo dans "Le Désert des Tartares" du grand Dino BUZZATI : ce en treize (XIII) chapitres palpitants d'une narration orchestrée dans la "petite musique" naissante (tranquille et à l'entrain inimitable) de Messieurs ERCKMANN & CHATRIAN.



[*] "Hugues-le-Loup", republié en volume dans un recueil de Contes & nouvelles fantastiques intitulé "Contes de la Montagne" dès 1860, est accessible aujourd'hui en la très économique (et fort jolie) collection Librio" [2 €]
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Hugues-le-loup

Un roman de saison puisqu'il y fait froid, sombre et la neige recouvre superbement les paysages grandioses de la Forêt-Noire ! Un temps parfait pour le mystère, le fantastique et... l'épouvante.



Derrière le pseudonyme Erckmann-Chatrian, se cachent deux auteur du XIXème siècle, Émile Erckmann et Alexandre Chatrian, amis tous deux originaires de la Meurthe. Ayant subi l'influence des conteurs, ils sont à l'aise dans le registre de l'épopée populaire.



Avec "Hugues-le-loup", on pénètre à la suite de Fritz, médecin de son état, dans un univers quasi médiéval puisqu'envoyé guérir un comte qui souffre chaque année d'une très étrange pathologie, il est confronté à des forces surnaturelles.



Si, comme moi, vous avez pensé à "loup-garou" en lisant le titre de ce roman, sachez que vous n'êtes pas très éloignés de la réalité. Ca hurle à la lune, ça court dans les bois, ça a un comportement bien étrange et les chroniques familiales et ancestrales ont enseveli dans leurs pages de sombres secrets...



Un style un peu vieilli mais qui reste agréable à lire, surtout pour qui se délecte des classiques.





Challenge XIXème siècle 2020

Challenge ABC 2020 - 2021
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L'ami Fritz

Il y aurait une jolie galaxie d'étoiles, que je l'attribuerai à l' Ami Fritz...

Comme les étoiles que j'avais dans les yeux après la lecture de ce livre.

Je suis entré dans ce très beau roman, sans stress et sans préjugé... Dans l'état d'esprit du lecteur-promeneur qui musarde en littérature, pour y trouver avant tout du plaisir et de la bonne humeur.

Bien m'en a pris.

J' y ai rencontré de braves gens épris du bien vivre, du bien boire et du bien manger.

Fritz kobus, le personnage principal, est trop sage pour se fâcher (fut-ce avec son ami le rabbin) et assez bienveillant pour s' attacher la reconnaissance éternelle d'un gitan musicien... Et pas assez égoïste et obtus pour résister bien longtemps à la délicieuse Sûzel.

Alors, oui, certains diront que l' Ami Fritz est pleins de bons sentiments (y en a-t-il jamais trop?) et que le tableau est trop parfait?

Qu' importe, puisque l' Ami Fritz me berce encore avec la valse de Iôsef Almâni, le bohémien.

Et un livre qui vous rend heureux, gai et léger; c'est un cadeau inestimable.

Mille mercis, l' Ami Fritz!
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Maître Daniel Rock

Peu de coins de France peuvent se targuer d’un attachement de leur population tel que l’Alsace (quoi les Bretons ? S’ils tenaient tant que ça à leur région, il n’y en aurait pas autant à Montparnasse !) et Erckman-Chatrian, écrivain à quatre mains, en est le chantre incontesté. Si on peut le considérer comme le père de la littérature régionaliste, cette œuvre-ci détonne assez parmi sa nombreuse production. On y trouve pourtant tous les thèmes habituels : légendes, châteaux en ruines, robustes natif alsacien, truites et vins du Rhin… Mais le tout sans sa bonhommie habituelle, et au contraire habitée d’un refus violent, intransigeant et radical de toute modernisation.



Maitre Daniel Rock est le forgeron d’un petit village au pied des Vosges. Avec ses trois robustes fils, il ferre les chevaux, fabrique et répare les outils. Il compte parmi les familles les plus anciennes du pays, les notables, ceux qu’on respecte. Peu de choses ont bougé en cet endroit depuis le temps des chevaliers, si ce n’est que le vieux château sur la colline n’est plus qu’une ruine. La vie suit son cours, paisible, entre moissons, vendanges et laboures.



Un jour, débarque toute une nichée de parisiens. Un groupe de jeunes ingénieurs, accompagnés (accessoire indispensable) de quelques cocottes à la mode. On va construire une voie ferrée ! Les jeunes urbains, avec leurs costumes à la mode et leurs habitudes de consommation moderne, font sensation dans le pays. Ils se sentent partout chez eux, s’étalent sans complexe, et ne se privent pas de plaisanter sur la grossièreté des ‘’triboques’’. D’un seul coup, tout le Paris de la Belle Epoque fait irruption dans un village presque médiéval. La plupart des gens sont fascinés, mais Maitre Rock est ulcéré par l’arrogance des jeunes gens. Quand ils viennent baliser le tracé sur ses terres, la rencontre sera rugueuse…



Une œuvre totalement, ouvertement et irréductiblement passéiste. L’abandon des modes de vie et des valeurs, l’uniformisation (voir ‘parisianisation’) de l’Alsace, la perte de toute une culture, déclenchent chez nos auteurs une violente et brillante riposte. L’arrivée du chemin de fer est décrite comme une invasion culturelle ; l’enthousiasme pour les nouvelles modes comme une trahison générale. Un antisémitisme traditionnel est, il faut le dire, également présent : le juif du pays, grâce à d’habiles spéculations, devient riche ; l’ancien vendeur de peaux de lapins devient – scandale ! – un notable équivalent aux vieilles familles.



Une œuvre que sociologues et ethnologues pourraient analyser pendant des heures. Mais on ne peut rester insensible au désarroi du vieil homme.
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Histoire d'un conscrit de 1813

Diable de roman de messieurs Émile ERCKMANN (1822 [à Phalsbourg]-1899) et Alexandre CHATRIAN (1826-1890)...



Quel charmes puissants il dégage...

L'année de parution est la même que celle de leur célèbre "Ami Fritz" : 1864.



Le cinquantenaire de la fin de l'Empire et l'occasion de régler des comptes... L'Alsace n'a jamais oublié les 150.000 conscrits de 1813 : "Sur cent, on n'en voyait pas revenir un seul..."



Les bossus, les borgnes, les bigleux, les simulateurs, les boîteux... tel ce pauvre hère de Joseph Berta, amoureux de "sa" Catherine du hameau des Quatre-Vents, et logeant depuis dix ans chez son employeur, ce bon horloger de Melchior Goulden, au bonnet de coton toujours rabattu au-dessus de son sourcil broussailleux : personne ne sera "oublié" par L'Ogre...



Le brave Joseph vit et travaille (comme apprenti) à Phalsbourg et monte un jour au clocher pour remettre l'horloge à l'oeuvre : de là il découvre en plein hiver toute l'étendue merveilleuse de son pays mais aussi l'afflux des paysans et citadins venus des quatre coins du pays lire ces foutues affiches qui signent leur arrêt de mort.



On se souvient alors du merveilleux récit "Paris. Notes d'un Vaudois" (1938) de C.F. RAMUZ lorsque le narrateur décrit ses sensations vertigineuses au dernier étage de la Tour Eiffel (qui vaut celles de l'artiste acrobate Philippe PETIT [Cf. son "Traité du funambulisme"], aux prouesses excellemment mises-en-scène dans le film "The Walk" de Robert Zemeckis) ; mais aussi du souvenir purement sensoriel d'Antoine de SAINT-EXUPERY nous décrivant sa perception la plus intime d'une chambre de ferme inconnue, perdue en plein hiver, lui dans ses songes face à la mélancolie d'un feu de cheminée, dans son "Pilote de Guerre" (1942) ; puis l'odyssée triste et erratique des "Manuscrits de guerre" (2011 - posthume) ou le refuge fictionnel d' "Un balcon en Forêt" (1958) de l'ami Julien GRACQ...



"L'Avant-Guerre", justement, puis vient le temps du combat.



Sacré mégalomane de Napoléon : sais-tu au moins le prix auxquels tes satanés rêves de gloire et de "grandeur" se paieront ?



Une oeuvre exceptionnellement belle par son humilité de langage, sa sobriété descriptive et son discret humour, qui n'ont pas pris une seule ride, Dieu merci !



Grandeurs soudaines et Lumières aveuglantes du duo universaliste-"alsacien" ERCKMANN-CHATRIAN, si loin d'une supposée (sous-)"littérature" de Terroir"...



P.S. : tiens, ré-écoutons (en prenant tout notre temps) les chansons enjouées de ce bon Roger SIFFER : "Ich hab di garn", "Mad'moiselle Anne-Marie", "In Strossburi gett's ké jumpfra méh" ...
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Histoire d'un sous-maître

Est-ce là LE chef d'oeuvre "erckmann-chatrianien" ? Pour nous, sans nul doute après lecture éblouie...



Ou : comment un sous-maître doit d'abord apprendre à savoir se soumettre...



La Restauration de 1815 en toutes ses horreurs (psychologiques et sociales). Pour survivre, devoir se plier. Ce qui n'exclue pas le sentiment dissimulé de révolte (plus que légitime mais guère "légitimiste"...).



Bref, après le triste règne de l'Usurpateur (son empire de pacotille puis la cohorte tardive des napoléonâtres nostalgiques), voici celui des revanchards de tous poils cernés de leurs tristes nuées de corbeaux (fort instruits, pour ce qui est du "bon" Curé Bernard, ce "saint homme"...), grands prescripteurs de nouvelles consignes pédagogiques...



En 1816, "sur le terrain" du Terroir vosgien fort accidenté et glacial, curés et nobliaux préfèrent - ici comme ailleurs - maintenir le peuple dans l'ignorance.



Voici donc l'histoire (vécue comme en immersion au plus près du personnage) de Jean-Baptiste Renaud, pauvre d'entre les pauvres, acharné à monter les barreaux - vermoulus ou pourris - de l'échelle sociale dans ce monde grisâtre de la Restauration de l'ancien Ordre (divin). On sait depuis "Le Rouge et le Noir" [1830] de l'ami STENDHAL combien ces barreaux sont intrinsèquement glissants et vous amènent à la chute - tout du moins (comme ici) à "l'accident" qui se répète... L'arriviste Julien Sorel amené incidemment (par simple sens de la survie en milieu hostile ou indifférent) à l'imprudence, à une tentative de féminicide et, au final, à l'échafaud. L'ordre règne : pauvre Julien Sorel, pauvre Jean Baptiste Renaud, qui tous les deux, se "trouvent" et ne regretteront diablement rien... Les pauvres ont cette espèce de fierté, n'est-ce pas...



Comme ses créateurs, Jean-Baptiste est, semble-t-il, un "bon chrétien" mais aussi un Républicain qui se cherche et se trouve (au chapitre X final) : il n'a que dix-huit ans et redevient dans les paragraphes conclusifs le vieil herboriste plein de clairvoyance qui nous conte "son histoire" édifiante...



"Histoire d'un sous-maître" est donc un court, dense et exceptionnel roman produit en 1871 par le "couple" (ils se sépareront tardivement sur motif financier) que formèrent si longuement Messieurs Emile ERCKMANN et Alexandre CHATRIAN, visiblement ici au sommet de leur art, tant la langue y est agile, inventive et merveilleuse : romanciers trop souvent sous-estimés (classés comme "régionalistes") dont la simple science a été de forger des "contes populaires" exigeants à la durabilité sans pareille, et qui parlent au coeur de chacun...



On se souvient encore de leur "Histoire d'un conscrit de 1814" puis leur "Waterloo" (ces deux envers de la triste médaille bonapartiste) ou de leur toujours charmant et tendre opus "L'Ami Fritz", mais leur oeuvre est immense (réédité en une quinzaine de volumes à couvertures jaunes par le courageux et si exigeant "Jean-Jacques Pauvert Editeur").



Ce roman se hisse - par son évidente perfection romanesque - à la hauteur du "tout premier" (jeune) C.F. RAMUZ : nous songeons là immédiatement à "Aimé Pache, peintre vaudois" [1911] comme à "Vie de Samuel Belet" [1913] ou même à "La guerre dans le Haut-Pays" [1915] pour leur pureté et leur dimension existentialiste, qui vinrent immédiatement après ces quatre premiers pas chatoyants que furent "Aline" [1905], "Les Circonstances de la Vie" [1907], "Jean-Luc persécuté" [1908] et "Le Village dans la montagne" [1908]...



La vie des pauvres et des humiliés est une Gnose ignorée.
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Maître Gaspard Fix et autres contes

Les oeuvres des "Maîtres" Emile ERCKMANN et Alexandre CHATRIAN [1822-1899 & 1826-1890] ont le cuir inusable : curieusement délaissées et aujourd'hui quasi-introuvables, elles se révèlent pourtant pleines de charme et de saine patine : faites d'une sorte d'inoxydable perfection... (Tiens, ne serait-ce point la raison la plus évidente de leur "inactualité" suspecte ?)



Et "Maître Gaspard Fix" [de 1875] ne dérogera aucunement à mon affirmation hardie.



Ce portrait d'un arriviste (et pas seulement "Histoire d'un conservateur" comme l'annonçait le sous-titre de ses premières éditions) est d'une précision psycho-socio-ethnographique sans failles : nous voilà plongés dans "le monde de l'Epoque Louis-Philippienne", ce maelström de subjectivités matérialistes qui nous font aussi souvenir de ce fabuleux instinct de conservation si adroitement décrit et suivi dans le fameux "Fouché" (cette fascinante crapule) de Stefan ZWEIG.

Prenons exemple du "bon" docteur Laurent - malheureux concurrent de "Maître Fix" et naturel adversaire idéologique à La Neuville : il n'a décidément aucune chance face à lui... On le sent, on le pressent : l'aubergiste, de combines en combines, finira sénateur.



C'est, au fond, l'héritage du grand "De" BALZAC ("Le Père Goriot", "Eugénie Grandet" et "Illusions perdues", surtout...).



Comme cela résonne fort, aujourd'hui ! Comme cela fait mouche...

Et comme cette langue est belle et documentée...



Pour ne rien arranger, Messieurs ERCKMANN et CHATRIAN - nos Républicains de choc - ont une belle empathie pour leur méprisable héros : parce que c'est un humain (qui aurait pu être bien différent en d'autres circonstances). Cet aubergiste qui aime l'agent "quand d'autres aiment les gens" (ce qui s'avère, bien sûr, pure perte de temps).



Un roman passionnant découpé en XX chapitres, ici plaisamment enrichi des illustrations de Théophile Schuler (gravées par Pannemaker).



Alors, fouillons très vite nos "solderies" et autres ibay-amazoneries pour retrouver trace de la présence enchantée de cette merveilleuse réédition des "Oeuvres Complètes" du duo E-C [Il s'agit là du Xème volume des "Contes et Romans Nationaux et Populaires"], initiative due au courageux Jean-Jacques PAUVERT dans les années soixante...



Tiens, comme nous paraît éloignée de nous, soudain, l'étrangeté de ce courage commercial d'alors... La qualité, qu'aurions-nous à faire de la qualité ? :-)


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Histoire d'un conscrit de 1813

Ce conscrit, c'est le narrateur, Joseph Bertha, jeune horloger habitant Phalsbourg en Moselle. Il est un peu jeune pour devenir soldat, de plus il est boiteux... mais rien n'y fait, après le retrait de l'armée napoléonienne de Russie à la fin de 1812, l'Empereur a besoin de reconstituer ses troupes et une nouvelle conscription est levée... elle a lieu dans la commune ou résident les conscrits, par tirage au sort. Plus le chiffre est élevé plus le conscrit a des chances de demeurer dans la vie civile. Joseph Bertha, tire un mauvais numéro, rejoint donc l'armée et part vers l'est avec ses compagnons malchanceux comme lui... Et il raconte, dans ce texte, la terrible bataille de Leipzig, avec une armée napoléonienne défavorisée par le nombre de combattants face aux ennemis, Prussiens, Suédois et Russes, deux ou trois fois plus nombreux que l'armée impériale française. Les conditions climatiques sont de plus défavorables et parmi les soldats, qui souffrent aussi d'un mauvais approvisionnement en nourriture, il y a aussi des malades, certains d'ailleurs sont atteints par des fièvres ou par le typhus.

Le malheureux conscrit évoque donc dans tous les détails son expérience du combat, la défaite de Leipzig, qui entraînera la chute de Napoléon 1er, et la débâcle des troupes vaincues.

Un roman historique très convaincant, né des plumes des auteurs Erckmann et Chatrian, pendant le Second Empire dont le souverain n'est autre que Napoléon III neveu du Bonaparte précédent...

Livre que j'ai beaucoup apprécié.
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Histoires de Noël pour frissonner au coin du ..

La fin d'année approche et je désire commencer la suivante en ayant bouclé mes lectures donc pas de pavés en cours.

En revanche, je me suis embarquée dans la lecture de ce petit livre édité par Mikros Classique pour attendre noël et ses festivités restreintes de cette année.

La première histoire d'Erckmann-Chatrian pseudo de deux écrivains français est tirée de contes fantastiques de 1860.

"La montre du Doyen" nous plonge dans une ville de la Forêt Noire où des meurtres ont été perpétrés. Les nouveaux arrivants, musiciens de profession vont être soupçonnés alors que le coupable leur a joué un tour.

La seconde de Gaston Leroux s'intitule "Le noël de Vincent Vincent" qui est le fils adoptif du narrateur. Il raconte la mort des parents de son fils dans des circonstances particulières après un cambriolage.

Quand au dernier texte écrit toujours par Leroux, il s'agit de deux soeurs dont les fils vont se rendre à la messe de minuit en voiture. L'un en réchappera et le second mourra. Leur sororité va t-elle être impactée par ce coup du sort malheureux?

Si vous aimez les histoires sombres nimbées de mystère comme chez Maupassant ou Dickens, ces histoires se chargeront d'apporter un peu d'adrénaline aux fêtes de fin d'année. Ames sensibles s'abstenir.









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Waterloo

Je tiens tout d'abord à remercier Babelio pour ce livre.



A la base, je dois bien avouer que je n'y connaissais pas grand chose à la période napoléonienne. Tout au plus ce qu'une personne lambda peut connaître. Et je dois dire que j'ai vraiment apprécié ce roman autant pour le texte que pour les illustrations.



Le roman fait apparemment suite à un autre roman des mêmes auteurs. Tout deux écrits au 19 siècle.



Le roman raconte les mémoires de Joseph Bertha, apprenti horloger. Nous assistons à l'exil de Napoléon à l'île d'Elbe puis à son retour. Le roman parle de la vie des simples soldats (des conscrits pour la plupart) qui se retrouvent plongés dans des batailles sordides et sanglante alors qu'ils ne demandent qu'à vivre en paix auprès de leurs famille.



J'ai appris pas mal d'information sur la vie des soldats lors de cette période. Pour ce qui est des illustrations, elles sont vraiment très bien faites. Les costumes des différents grade sont bien représentés pour toutes les armées qu'elles soit napoléonienne, prussienne ou britannique.



Pour ce qui est de mon avis, la première partie où on voit Joseph Bertha entoure de sa famille m'a vraiment beaucoup plus. J'ai eu beaucoup plus dur pour la seconde partie qui n'est qu'une énumération de la vie des simples soldats pendant la guerre. Certes très intéressant mais ce n'est vraiment pas ma tasse de thé



Je tiens à parler du livre comme objet. Tout simplement superbe. Bien illustre, splendide couverture



Petit plus pour une néophyte comme moi, au début du roman un récapitulatif des différents grades et un glossaire à la fin du livre
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Contes et Romans Nationaux et Populaires, t..

D'Erckmann et Chatrian, je ne connaissais que l'Ami Fritz, lecture de CM2 imposée par notre instituteur Michel Rousseau, l'homme à la blouse grise et à la Gauloise éternelle fixée au coin de sa bouche, toujours en mouvement, accompagnant un flot de fumée jaillissant des narines comme pour ponctuer ses aphorismes libertaires. Nous n'étions alors pas très loin de la fin de la guerre.

Plus tard, pour la Noël 1967, j'avais suivi avec mes frères, chez nos voisins d'en haut, l'adaptation télévisée de Georges Folgoas, Avec Dominique Paturel, dans le rôle d'un Fritz Kobus plus vrai que nature et Henri Virlojeux dans celui non moins réel du rabbin David Sichel.

Délaissant Erckmann, et Chatrian par la même occasion, je préférais les Mansucrits de 1844, lecture plus conforme à mon statut de jeune étudiant à l'université François Rabelais de Tours.

Chaque après-midi, quittant les bords de Loire où trônait la nouvelle université, dirigeant mes pas vers la librairie Franco-Anglaise de Jean-Charles et Nancy, deux icônes de la vie culturelle et underground du Tours des années 1970, j'inspectais minutieusement les rayons à la recherche de l'ouvrage qui chamboulerait mon cerveau avide.

Et là, un après-midi de décembre 1971, la collection complète des deux prodigieux alsaciens me saute aux yeux.

14 volumes brochés, cartonnés de rouge, disposant d'un marque page intégré en tissu rouge aussi, recouverts d'une jaquette d'un jaune lumineux, publiés en 1963, chez Jean-Jacques Pauvert éditeur à Paris.

Cinquante Francs l'ensemble me dit Nancy avec ce sourire qui lui allait si bien.

Cinquante francs, soit 25 repas au Restau-U ! Jouable. Je mangerai moins ce mois-ci !

Depuis, ces 14 volumes n'ont jamais quitté les rayons de ma bibliothèque.

Le volume 14 de la collection, « témoignages et documents », est consacré à la vie et l'oeuvre du binôme Erckmann-Chatrian, il est supervisé par Georges Benoit-Guyod de l'académie française. En 1949, il fut l'instigateur et l'animateur du Comité national du cinquantenaire d'Erckmann-Chatrian, crée à l'occasion du cinquantenaire de la mort d'Emile Erckmann.

Outre la biographie des deux auteurs, l'histoire de leur rencontre, de la création d'Erckmann-Chatrian, couple dans lequel Erckmanna écrivait et Chatrian à Paris courait les éditeurs multipliait « …les démarches nécessaires à la publication des textes envoyés par son associé. Il lui faudrait donc, lui qui n'avait jamais séjourné dans la capitale, entrer en relation avec les maisons d'édition, les directeurs de revues ou de journaux, et les décider à prendre intérêt à des écrits signés d'un nom absolument inconnu. »

L'association, en dépit du déséquilibre dans la répartition des rôles, fonctionne tant bien que mal, mais : « Ce qui rendait Chatrian si malade, c'était évidemment la fatigue physique et mentale accumulée depuis des années, et qui finissait par le terrasser. C'était aussi, à n'en pas douter, le sentiment que son associé, si confiant jusqu'alors qu'il avait paru se désintéresser de la gestion de ses affaires, commençait à se défier de lui, à le surveiller peut-être. »

Le Figaro du 19 août 1889 publie un article consacré à Erckmann et Chatrian, notez qu'il n'est pas fait mention de Erckmann-Chatrian, dont les premières lignes sont révélatrices :

«  Il nous a paru intéressant de publier, dans Le Figaro, quelques détails curieux et inédits sur la rupture de la collaboration Erckmann-Chatrian, ces deux frères siamois qui ont remporté un si grand succès à la Comédie Française avec l'Ami Fritz - car la collaboration est irrévocablement rompue et les causes qui ont amené cette rupture sont singulièrement bizarres. »

Histoire d'argent réclamé par Erckmann à Chatrian soupçonné, lui l'honnête homme, d'avoir puisé sur la part revenant à Erckmann, les émoluments de nombreux collaborateurs…

La querelle se déroule sur fonds d'occupation de la Lorraine, dans laquelle Erckmann continue de vivre à Phalsbourg, par les troupes allemandes après la défaite de 1870.

L'auteur de l'article, Auguste Georgel, n'hésite pas à écrire : «  (…) l'excellent Phalsbourgeois chercha à Chatrian une querelle d'Allemand (…) » Tout est dit.



Le Tome 14 se termine sur une note plus positive, les témoignages de nombreux auteurs, parmi lesquels Zola, sur la représentation du monde dans les récits d'erckmann-Chatrian :



« Le monde d'Erckmann-Chatrian est un monde simple et naïf, réel jusqu'à la minutie, faux jusqu'à l'optimisme. Ce qui le caractérise, c'est tout à la fois une grande vérité dans les détails purement physiques et matériels, et un mensonge éternel dans les peintures de l'âme, systématiquement adoucies. »



Sévère, Monsieur Emile !!!
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L'ami Fritz

Superbe livre, drôle, très frais, même si c'est un classique. J'ai passé avec ce texte des moments délicieux. Un excellent classique!
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Histoire d'un conscrit de 1813

En 1813, à Phalsbourg (Alsace), le jeune Joseph Bertha est le compagnon horloger du brave Monsieur Goulden. Il est amoureux de la belle et tendre Catherine qu'il pense pouvoir l'épouser bientôt. Mais, Napoléon ayant subi de terribles revers en Russie, relance la conscription, cet injuste tirage au sort servant de critère à un engagement de sept ans. Malgré qu'il soit handicapé (boiteux, il marche très mal car il a une jambe plus courte que l'autre), il n'est pas réformé. Il tire même un mauvais numéro et se retrouve pris dans des marches forcées à travers l'Allemagne puis engagé dans des batailles particulièrement sanglantes. Il sera blessé à l'épaule à la bataille de Lutzen, soigné quelque temps et renvoyé au combat dans une ambiance apocalyptique...

Ce récit émouvant et magnifiquement écrit nous fait découvrir de l'intérieur la réalité de la vie de soldat dans des armées napoléoniennes en pleine débâcle. Et elle fut loin d'être aussi glorieuse que certains autres romans historiques pourraient le laisser imaginer. Tout n'est qu'un long et inutile calvaire. Il faut marcher par tous les temps sur des distances importantes, supporter le froid, la faim, la maladie (le typhus fait des ravages) et dormir n'importe où dévoré par la vermine. Les descriptions de batailles sont également fort terribles. Les techniques d'extermination systématiques n'ont pas débuté avec la guerre de 14. L'expression « les horreurs de la guerre » convient parfaitement à cette histoire que l'on dirait écrite par un survivant alors que le duo n'était pas né à l'époque et n'a publié ce texte, qui eut un grand succès, qu'en 1864. Surtout connus pour le charmant « Ami Fritz », les deux écrivains alsaciens, romanciers de terroir avant l'heure, sont un peu tombés dans l'oubli aujourd'hui et c'est bien dommage parce qu'un livre comme celui-ci vaut largement le détour.
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L'ami Fritz

S’il est un territoire que l’histoire a passablement bousculé (et ses habitants avec), c’est bien l’Alsace-Lorraine. Au cours des siècles et des conquêtes, cette région, qui comporte une partie des anciennes régions administratives Alsace et Lorraine, (actuellement incluses dans une entité appelée avec beaucoup d’à-propos Grand-Est – certains remplacent le terme d’à-propos par d’autres vocables plus désobligeants), cette région a été ballottée, tantôt française, tantôt allemande, avec tous les changements que ces changements d’autorisaient imposent : économiques et commerciaux, mais surtout linguistiques et culturels : jusqu’en 1871, la région était française, mais dans la pratique, les gens parlaient autant allemand que français et plus encore ces langues locales qui tenaient un peu des deux premières. C’est un argument que les partisans du rattachement à l’Allemagne avançaient hardiment. La question fut réglée entre 1871 et 1919 quand la France fut obligée de céder à l’ennemi vainqueur ces deux fleurons de notre patrimoine, qui du coup devenaient fleurons du patrimoine germanique.

« L’Ami Fritz », écrit en 1864, décrit donc une Alsace administrativement française, mais fortement imprégnée de culture allemande. Mieux encore la région où se situe l’action, bien que française, est rattachée à la Bavière toute proche. Fritz se déclare bavarois et les vieux briscards de l’Empire rencontrés dans les rues se font traiter de Frantzosen.. Ce qui n’empêche pas la vie de s’écouler paisible et heureuse.

Un qui est paisible et heureux, c’est Fritz. Fritz Kobus, rentier, amateur de bon vin et de bonne chère, sans aucun souci de santé ni de fortune, vivrait un véritable paradis si son célibat prolongé n’excitait pas l’imagination de toutes les femmes et filles à marier du pays, et aussi des « marieurs » au premier rang duquel son ami le rabbin David Sichel. L’Ami Fritz, moi, il me fait penser à l’ami Franz (Schubert, zut, voilà l’origine de mon pseudo dévoilée) : dans ses schubertiades, l’ami Franz ne vit que de bon vin de bonne chère, d’amitié… et de musique ? L’Ami Fritz aussi aime la musique, son ami bohémien Iôsef vient souvent le régaler avec son violon tzigane. Les filles, très peu pour lui. Mais il en est en Alsace comme partout ailleurs, rien ne se passe comme prévu, et la charmante Suzel, fille de son métayer, va venir bousculer toutes ses certitudes…

Alors oui, bien sûr, c’est plein de bons sentiments, c’est terriblement démodé, c’est illisible pour l’homme et la femme du XXIème siècle, je suis tout à fait d’accord… Mais qu’est-ce que ça fait du bien de se reposer l’esprit avec un sain dépaysement dans un passé, révolu certes, mais terriblement attachant (eh, quelque part c’est le nôtre aussi, même si on n’est pas alsacien !), quel bonheur de savourer une langue légère et fluide, très « couleur locale » (ce qui donne un chouette cachet d’authenticité au récit), de voir évoluer ces personnages directement issus des images d’Epinal (les Vosges, c’est juste à côté), de participer quasi « in vivo » aux agapes de ces épicuriens…

Erckmann-Chatrian, l’auteur bicéphale de ce chef-d’œuvre, est l’association de deux auteurs : Emile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890). Pendant plusieurs décennies ils se sont faits les chantres de cette région, à travers plusieurs romans dont certains ont traversé le temps. Avec « l’Ami Fritz » (1864) leur plus grand succès, nous pouvons encore lire avec jubilation : « L’Invasion ou le fou Yégof » (1862), « Les Contes du bord du Rhin » (1862) « Madame Thérèse » (1863) « L’Histoire d’un conscrit de 1813 » (1864) et sa suite « Waterloo » (1864) et bien d’autres …

Comme Jules Verne, Hector Malot ou la Comtesse de Ségur, Erckmann-Chatrian est en exposition dans un musée. L’entrée est gratuite ; quand on entre on sait à peu près ce qu’on va trouver, mais on ne sait pas quand on va ressortir. On sait en tous cas qu’on ressortira ragaillardi et confiant dans l’avenir…

L’exposition est permanente, et ne risque pas de prendre fin dans les prochaines années…



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L'ami Fritz

C'est tout d'abord une curiosité qu'un roman soit écrit par 2 auteurs, ici E.Erckmann et A.Chatrian, (cela en 1813). Il est vrai que, plus tard, il y aura les frères Goncourt.... L'ami Fritz est un rentier, jouisseur des bonnes choses de la vie: les amis, le vin, le jeu de cartes, la pêche, et ne veut pas s'encombrer d'une femme. Evidemment, ce plan s'inversera, et celui qui avait tant juré de son amour de la liberté et de la seule justesse du célibat, rencontrera l'amour.

Mais il n'y a là que des bons sentiments: pas la moindre trace de querelles, de jalousies, de tous les défauts de l'homme qui permettent, normalement, d'épicer un roman. Nous sommes à l'inverse du monde Balzacien, où la perversité des hommes met les faibles à la merci des cyniques: ici, les hommes sont généreux, respectueux, doux, courtois.... Et même si le texte se lit bien (vocabulaire très plaisant d'il y a deux siècles, pimenté par les particularités régionales des campagnes alsaciennes), une telle accumulation de bienveillance nous fait presque regretter les conflits et les tensions qui régentent normalement la vie de nos semblables. Dès lors, l'ami Fritz a rejoint trop vite, hélàs, la bibliothèque verte, alors que les adultes peuvent continuer d'en savourer le style léger et l'humour.
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Histoire d'un conscrit de 1813

"Notre pauvre petite fusillade était comme le bourdonnement d'une abeille au milieu de l'orage".

Le pauvre Joseph se trouve pris au milieu d'une bataille - et même d'une campagne - qu'il nous raconte à hauteur d'homme. Comme Fabrice del Dongo à Waterloo, il n'arrive pas à savoir ce qui se passe, quels sont les enjeux stratégiques, comment se déroule la bataille. Il ne connaît que le pan de mur sur lequel il s'appuie, ou le petit bois dans lequel il passe. Ce récit rejoint donc la Chartreuse de Parme, dans la mesure où il ne peut y avoir d'épopée, de chevalerie, dans cette guerre moderne qui oppose des centaines de milliers d'hommes. Le chef lui-même, Napoléon, même armé de sa lunette, ne peut en saisir toute l'ampleur.

Mais, contrairement à Fabrice à Waterloo, Joseph n'est pas animé par la gloire, ni par le patriotisme. Il part se battre parce qu'il est conscrit, parce qu'on lui a demandé. Il n'a pas de haine contre les Allemands - lui qui parle leur langue en tant qu'Alsacien. Contrairement aux "soldats de l'an II" célébrés par Victor Hugo, les idéaux révolutionnaires ne motivent plus les soldats, dans une société où les valeurs ont cédé face aux intérêts : les armées de 1792-94 voulaient diffuser les valeurs des Droits de l'Homme, la liberté et l'égalité. Plus d'égalité et de patriotisme quand les généraux ne pensent qu'à devenir maréchaux, les ducs nouvellement créés à revoir leurs richesses, les soldats à avoir la croix.

Par-delà le contexte très précis, il y a donc une forme d'universalité de la guerre qui est présentée, vue à travers des familles ordinaires : la fiancée qui attend, les mères qui prient, la peur des jeunes gens, les chefs à l'abri qui envoient les autres à la mort... Les émotions sont sincères, car universelles, on ressent beaucoup d'empathie pour Joseph et Catherine.

Pour finir, en tant que professeure d'histoire, ce serait le roman parfait pour expliquer à mes élèves de terminale la conception de la guerre absolue théorisée par Carl von Clausewitz : un feu d'artillerie constant, un objectif de destruction de l'ennemi avec une violence extrême, des effectifs considérables - près de 500 000 hommes combattent à Leipzig.
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L'ami Fritz

Un livre sans grande prétention, que j'ai lu parce qu'il est parfois comparé à Mon oncle Benjamin de Claude Tillier, alors qu'il n'a pas grand chose à voir. L'histoire est sympathique et vous mettra le sourire aux lèvres, elle se double d'une description des moeurs de cette fin de XIXe siècle dans une petite ville allemande peu éloignée de la frontière française.



L'ami Fritz a été publié en 1864, soit une vingtaine d'années après l'oncle Benjamin. Le seul point commun qu'ont les deux hommes, c'est l'appréciation des plaisirs de la table, en dehors de cela, ils sont tellement différents que l'on peut dire que tout les oppose : milieu social, statut, richesse, préoccupations, éducation... Fritz Kobus est un joyeux bon vivant dont la conviction la plus ancrée est l'aversion au mariage, Benjamin Rathery est d'une certaine façon un philosophe au sens que l'on donnait à ce mot dans l'antiquité : il ne se contente pas de faire des phrases, il vit "de manière conforme à ce qu'il enseigne", pour paraphraser Kant (*). Les deux livres sont donc fort différents puisque d'un côté messieurs Erckmann et Chatrian nous proposent un divertissement qui ne manque pas d'une certaine fraîcheur dans sa simplicité, et de l'autre Claude Tillier nous livre une sorte de pamphlet déguisé, débordant d'idées, riche et assez complexe, qui fait presque figure de testament intellectuel.



(*) Cité en épigraphe de Qu'est-ce que la philosophie antique, de Pierre Hadot
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Contes et romans nationaux et populaires, t..

Florilège de citations de quelques récits de ce volume 5 où les personnages rivalisent d'empathie et de tolérance les uns envers les autres tout en célébrant les cadeaux de la nature et le culte de la bonne chère et du bon vin.

Le bons sens des petites gens contre l'indifférence, la détestation et la haine d'autrui des nantis, fil rouge des romans d'Erckmann-Chatrian.

l'ami Fritz :

« Kirschenwasser, que le vieux rabbin ne dédaignait pas. Ils causaient en yudisch des affaires de la ville, du prix des blés, du bétail et de tout. Quelquefois David avait besoin d'argent, et Kobus lui avançait d'assez fortes sommes sans intérêt. Bref, il aimait le vieux rebbe, il l'aimait beaucoup, et David Sichel, après sa femme Sourlé et ses deux garçons Isidore et Nathan, n'avait pas de meilleur ami que Fritz ; mais il abusait de son amitié pour vouloir le marier. »

Le Juif Polonais :

Nuit du 24 décembre 1818, acculé à la banqueroute, le bourgmestre Hans Mathis décide de dépouiller un marchand de grain juif polonais, Baruch Koweski. Une fois son forfait accopmli il se débarrasse du corps ne laissant sur les lieux du crime que le manteau et le bonnet du malheureux. le remords le saisit au moment de marier sa fille Annette Mathis, avec le brigadier Christian Bême et de lui léguer la dot de trente-mille francs-or fruit de son larcin…Le même cauchemar vient hanter ses nuits un hypnotiseur lui fait avouer son crime

LE SONGEUR. – À quoi pensez-vous ?

MATHIS. – Je pense qu'il me faut de l'argent… que si je n'ai pas trois mille francs pour le 31, l'auberge sera expropriée… Je pense qu'il n'y a personne dehors… qu'il fait nuit, et que le Polonais suivra la grande route, tout seul dans la neige.

LE SONGEUR. – Est-ce que vous êtes déjà décidé à l'attaquer ?

MATHIS, après un instant de silence. – Cet homme est fort… il a des épaules larges… Je pense qu'il se défendra bien, si quelqu'un l'attaque.



Entre deux vins :

« Pendant la messe de minuit de l'an 1847, à Phalsbourg, le petit greffier de la justice de paix, Conrad Spitz et moi, nous vidions notre troisième bol de punch au café Schweitzer, près de la porte d'Allemagne. (…)

« Comment se fait-il, mon cher monsieur Vanderbach, qu'à cette heure indue, sans nous être dérangés de notre place au café Schweitzer, nous nous trouvions transportés chez Holbein, le tisserand, au coin de la halle aux grains et des vieilles boucheries ? »

Mais ce qui m'étonna le plus, c'est qu'en me retournant vers Conrad Spitz, pour lui témoigner ma surprise, je me trouvai face à face avec une vieille pie chauve, posée sur le bâton supérieur de la chaise du greffier, le bec droit, la tête enfoncée entre les épaules, les yeux recouverts d'une pellicule blanche qu'elle relevait de temps en 6 temps, et ses petites pattes sèches et noires cramponnées au bois vermoulu. Elle était immobile et rêveuse.



La maison forestière



Hé hé ! fait le brave homme, vous « êtes Français, j'ai vu ça tout de suite! — Pas tout à fait, je suis de « Dusseldorf ! — Ah! de Dusseldorf ! C'est égal, fit-il en reprenant le « dialecte de la vieille Allemagne, vous avez l'air d'un bon enfant tout , « de même! » « Tenez, regardez là-bas le Birkenstein...« j'aime mieux le Losser, le Krapenfels, le Waldhorn: mais, comme « disent les Français, à chacun ses goûts et ses couleurs »



La taverne du jambon de Mayence



« dans la sombre rue des Hallebardes... au fond de l'antique cour des Trabans... » (on y sert de)

« bons jambons (de) Mayence, de plus nobles vins qu'à Rüdesheim, Markobrunner, Steinberg, de plus jolies filles qu'à Pirmasens, Kaiserlautern, Annweiler, Neustadt... »,

le cuïsinier Hafenkouker, le célèbre chef du Roemer de Francfort (…) avec les envois de tous .les pays d'Allemagne. »

« verser au deuxième service- des vins de France, du vin de Bourgogne, de Bordeaux et du Champagne, » « les musiciens jouent le Volfort de Rastadt, les trois Hopsers de Pirmasens et les Ländlers de Kreuznach (…) quatre trompettes vêtues mi-partie de rouge, de jaune, d'azur et de violet à l'ancienne mode des Trabans (…) tenaient à leurs lèvres de longues trompes recourbées, à fanon de velours brodé d'argent et d'or, à la toque sur l'oreille et le poing sur la hanche (…) se mettaient à sonner l'antique fanfare du duc Rodolphe entrant à Bergzabern en l'an 1575. »



A découvrir et à lire !!!




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