"Notre pauvre petite fusillade était comme le bourdonnement d'une abeille au milieu de l'orage".
Le pauvre Joseph se trouve pris au milieu d'une bataille - et même d'une campagne - qu'il nous raconte à hauteur d'homme. Comme Fabrice del Dongo à
Waterloo, il n'arrive pas à savoir ce qui se passe, quels sont les enjeux stratégiques, comment se déroule la bataille. Il ne connaît que le pan de mur sur lequel il s'appuie, ou le petit bois dans lequel il passe. Ce récit rejoint donc la Chartreuse de Parme, dans la mesure où il ne peut y avoir d'épopée, de chevalerie, dans cette guerre moderne qui oppose des centaines de milliers d'hommes. le chef lui-même, Napoléon, même armé de sa lunette, ne peut en saisir toute l'ampleur.
Mais, contrairement à Fabrice à
Waterloo, Joseph n'est pas animé par la gloire, ni par le patriotisme. Il part se battre parce qu'il est conscrit, parce qu'on lui a demandé. Il n'a pas de haine contre les Allemands - lui qui parle leur langue en tant qu'Alsacien. Contrairement aux "soldats de l'an II" célébrés par
Victor Hugo, les idéaux révolutionnaires ne motivent plus les soldats, dans une société où les valeurs ont cédé face aux intérêts : les armées de 1792-94 voulaient diffuser les valeurs des Droits de l'Homme, la liberté et l'égalité. Plus d'égalité et de patriotisme quand les généraux ne pensent qu'à devenir maréchaux, les ducs nouvellement créés à revoir leurs richesses, les soldats à avoir la croix.
Par-delà le contexte très précis, il y a donc une forme d'universalité
de la guerre qui est présentée, vue à travers des familles ordinaires : la fiancée qui attend, les mères qui prient, la peur des jeunes gens, les chefs à l'abri qui envoient les autres à la mort... Les émotions sont sincères, car universelles, on ressent beaucoup d'empathie pour Joseph et Catherine.
Pour finir, en tant que professeure d'histoire, ce serait le roman parfait pour expliquer à mes élèves de terminale la conception
de la guerre absolue théorisée par
Carl von Clausewitz : un feu d'artillerie constant, un objectif de destruction de l'ennemi avec une violence extrême, des effectifs considérables - près de 500 000 hommes combattent à Leipzig.