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Citations de Alexis Jenni (610)


[Mon grand-père] suggéra à chacun de faire lire une goutte de son sang pour que nous sachions tous, nous réunis dans ce salon d'hiver, de quel peuple nous descendions. Car chacun d'entre nous devait descendre d'un peuple ancien. Et ainsi nous comprendrions ce que nous étions, et nous expliquerions enfin le mystère des tensions terribles qui nous animaient dès que nous étions ensemble. La table autour de laquelle nous nous réunissions serait alors ce continent glacé parcouru de figures anciennes, chacune munie de ses armes et de son étendard, si étranges aux yeux des autres.
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En tant que couple nous pratiquions surtout l'achat. L'achat fonde le couple ; le sexe également, mais le sexe ne nous inscrit que personnellement, alors que l'achat nous inscrit comme unité sociale, acteurs économiques compétents qui meublent leur temps, occupent de meubles ce temps que ne remplit pas le travail ni le sexe. Entre nous, nous parlions d'achats et nous les faisions ; entre amis nous parlions de nos achats, ceux que nous avions faits, ceux à faire, ceux que nous souhaitions faire. Maisons, vêtements, voitures, équipements et abonnements, musique, voyages, gadgets. Cela occupe. On peut, entre soi, décrire indéfiniment l'objet du désir. Celui-ci s'achète car il est un objet. Le langage le dit, et cela rassure que le langage le dise ; et cela procure un désespoir infini que l'on ne peut même pas dire.
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Dès le début Victorien Salagnon eut confiance en ses épaules. Sa naissance l'avait doté de muscles, de souffle, de poings bien lourds, et ses yeux pâles lançaient des éclats de glace. Alors il rangeait tous les problèmes du monde en deux catégories: ceux qu'il pouvait résoudre d'une poussée -et là il fonçait- et ceux auxquels il ne pouvait rien. Ceux-là il les traitait par le mépris. Il Passait en feignant de ne pas les voir; ou alors il filait.
(P53)
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En vivant dans cette ferme aux confins du monde défriché, John Muir grandit et se forma avec un pied dans chacune des deux réalités qui coexistaient alors : un dans l'Ecosse ordonnée et studieuse, l'autre dans la Grande Sauvagerie qui s'étendait au-delà des champs de son père.
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Le métier de Muir? Vagabond. Son activité? Vagabonder. Sa vocation? Le vagabondage.
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Quand elle est bien faite, la peinture se voit avec les mains. Mais bien faite ne signifie pas bien coloriée sans dépasser les traits, bien ressemblante à ce qu'elle doit représenter, ou toute autre qualité qui mérite une bonne note, une bonne place aux concours académiques, non : cela signifie qu'elle touche celui qui la regarde au-delà de ce que lui montrent ses yeux. Cela signifie qu'elle atteint au coeur de ce qu'est vraiment la peinture, une expérience totale, et l'image que l'on voit devant soi n'en est que la porte. Les yeux ne sont plus seuls en cause : se promener dans un musée provoque une discrète agitation des mains. Les gardiens sont là pour ça.
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La vie n'a pas de prix, l'argent doit servir à la sauver.
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La racine est ce sur quoi on trébuche, disais-je. La métaphore de la racine appliquée à l'homme est un caillou dans la chaussure, tout à la fois symboliquement parlante et botaniquement fausse, on y revient toujours, on s'en agace aussitôt, on la rejette, et on y revient sans le souhaiter. On le sent, dit-on, que l'on a des racines ; comme si on le pouvait. L'homme n'est pas un arbre, la cause est entendue, les racines qu'on lui prête sont une image inventée, mais sans doute est-ce la meilleure propriété de cette image : la racine est ce sur quoi on trébuche, ce qu'on n'a pas choisi et qui est toujours en travers du chemin, ce qui par là même fait le chemin. La racine est ce qui est déjà là, nous gêne et quand même nous nourrit, et qui se développe en permanence en lien avec tout ce qui l'entouré ; (p. 35-36)
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Animé par l'envie de pénétrer toujours plus loin dans la beauté divine, infinie, vivante, il quitta l'université du Wisconsin pour l'université de la Nature Sauvage.
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Tu vois où j’en suis ? Je ne désirais que l’objet le plus banal : un lieu où m’asseoir en paix ; mais nous devons nous battre à mort entre nous pour obtenir juste un peu moins que ce que nous voulions.
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C'est un pays pauvre, ils ne disposent pas d'une mort par personne, ils furent tués en masse.
(P23)

Chaque mort Américain était vu avant, pendant, après l'événement de sa fin, il mourrait lentement. Ils mourraient un par un, avec un peu de temps pour eux au moment de mourir. Par contre les Somaliens mouraient comme au ball-trap, en masse, on ne les comptait pas.
(P25)
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Mais si le concept (anthropocène) est flou, l’idée est utile. Elle sert à rappeler que les activités humaines ont une influence réelle sur la biosphère dans son ensemble, sur l’écosystème Terre, sur les cycles de l’eau et de l’atmosphère, sur le climat tout simplement.
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Le temps de lire, toujours se vole, aux devoirs, au sommeil, aux autres : le moment où on est seul en silence à parcourir une à une toutes les lignes écrites n'est jamais un temps accordé, mais un temps dérobé, c'est un temps injustifiable, provocant, parce que soustrait aux tâches et aux liens, c'est le lieu d'une jouissance solitaire, et la jouissance solitaire n'est jamais de droit.
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C'est lui qui m'a expliqué que dans les livres on trouve tout. "Si une bibliothèque est assez grande, disait-il, remplie d'une assez grande quantité de livres, tout sera écrit ; toute vie possible, tu la trouveras dans un livre, même la tienne. J'en suis persuadé mais je suis le seul à ne pas pouvoir le vérifier, car je suis aveugle." Et il riait tout doucement. C'est comme ça que l'on considère les livres : on croit, ou pas ; et moi, dès cette première nuit, je crus.
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Il est étrange ce réflexe que nous avons de ne pas faire souffrir, comme si nous sentions en nous-mêmes la douleur que l'on inflige. C'est peut-être la présence de notre âme immortelle qui nous suggère la douceur, et l'amour pour tout ce qui a deux bras, deux jambes et un visage. Et il est tout aussi étrange que ce sentiment si commun cède si aisément, dès que les circonstances l'éprouvent un peu, dès que les visages autour de nous ne sont plus ceux que nous avons l'habitude de reconnaître, et alors se révèle en nous une capacité d'infliger une douleur infinie, à n'importe qui, avec la plus grande indifférence, capacité dont on se demande bien où elle était, avant.
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Par le toucher nous sommes ensemble (...)
par le toucher seulement, on sait que l'on n'est pas seul. En nous touchant, nous nous incorporons. (p. 124)
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J'avais pour présenter les tripaillons chinois, reconstitué le chou mythologique d'où nous venons tous, ce légume génératif que l'on ne trouve pas dans les jardins. A l'aide de feuilles de chou vert j'avais recréé un nid, et en son cœur, bien serré, j'avais mis la tripe rouge, trachée en l'air, disposée comme elle est quand elle est dedans. Je l'avais préservé de la découpe car sa forme intacte en était tout le sel.

J'avais fait frire les crêtes de coq, juste un peu, et cela les avait regonflées et avait fait jaillir leur rouge. Je les servis ainsi, brûlante et turgescentes, sur un plat noir qui offrait un terrible contraste, un plat lisse où elles glissaient, frémissaient, bougeait encore.

"Prenez-les avec des baguettes, des pincettes allais-je dire, et trempez-les dans cette sauce jaune. Mais attention, ce jaune-là est chargé de capsaïne, bourré de piment, teinté de curcuma. Vous pouvez aussi choisir celle-là si elle vous convient mieux. Elle est verte couleur tendre, mais tout aussi forte. Je l'ai chargée d'oignon, d'ail et de radis asiatique. La précédente ravage la bouche, celle-ci ravage le nez. Choisissez; mais dès que vous essayez il est trop tard."

Les crêtes frites dont je n'avais pas épongé l'huile glissaient vraiment trop dans le plat noir; un mouvement brusque au moment de les poser en fit déraper une qui jaillit comme d'un tremplin et heurta la main d'un convive, il gémit, la retira vivement, mais ne dit rien. Je continuai.

Je n'avais pas coupé le boudin et ne l'avait pas trop cuit plus non plus. Je l'avais enroulé en spirale dans un grand plat hémisphérique, et juste parsemé de curry jaune et de gingembre en poudre, qui à la chaleur dégageaient leur parfum piquant.

Enfin je plaçai au centre les têtes tranchées, les têtes de moutons laissées intactes posées sur un plat surélevé, disposés sur un lit de salade émincée, chacune regardant dans une direction différente, les yeux en l'air et la langue sortie, comme une parodie de ces trois singes qui ne voient rien, n'entendent rien, ne disent rien. Ces cons.

"Voila", dis-je.
Il y eut un silence, l'odeur envahissait la pièce. S'ils n'avaient pas tous ressenti ce sentiment d'irréalité, nos convives auraient pu être incommodés.
"Mais c'est dégueulasse!" dit l'un deux d'une voix de fausset. [...] Je me souviens de la musique exacte de ce mot qu'il prononça pour dire son malaise: le d comme un hoquet, le a long, et le sse traînant comme un bruit d'atterrissage sur le ventre. La musique de ce mot, je m'en souviens bien plus que de son visage car il avait prononcé "dégueulasse" comme dans un film des années cinquante, lorsque c'était le mot le plus violent que l'on pouvait se permettre en public. [...]

Je les servis à la main car aucun outil ne peut convenir, seule la main, et surtout nue. J'ouvris de mes doigts le chou génératif, empoignai la tripaille luisante, en rompt les cœurs, les rates, désagrégeai les foies, ouvris d'un pouce bien rouge les trachées, les larynx, les côlons pour rassurer mes hôtes quant au degré de cuisson: pour de telles viandes seule une flamme modérée peut convenir, la flamme doit être une caresse, un effleurement coloré, et l'intérieur elle doit saigner encore.
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Il suit la rivière, la Yosemite Creek qui serpente sur le plateau, qui s'approche du gouffre d'un mouvement aisé et gracieux vers sa destinée qui est de sauter dans le vide, huit cents mètres d'un coup sans hésiter, dans un nuage d'écume neigeux.
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Fragonard peint l'instant. Il peint l'extraordinaire mousse rose de la robe, qui exhibe violemment ce dont il est question, mais que l'on ne voit jamais ; pas ici, pas tant ; ou alors il faut être très près. Dans les frondaisons agitées d'un vent d'orage, dans ce jardin très luxuriant est très luxurieux, la mousse rose de la robe est l'affirmation violente de la chair, de cette chair-là que l'on ne voit pas et à laquelle on pense toujours. Le personnage peint, lui, voit, il en est renversé dans les buissons, il en est tout illuminé, figé dans une brève extase, un sourire violent éclaire ses traits : il voit. Mais le spectateur ne voit pas, ce qui est à voir est caché dans les profondeurs du tableau, il faudrait y entrer, être à la place de l'homme renversé, décalé, pour voir comme il voit ; on voit qu'il voit car il est ravi, il est emporté par sa vision, la prodigieuse mousse rose de la robe nous dit que c'est bien là qu'est le lieu de l'événement. Le grand sexe rose s'épanouit devant lui comme une fleur.
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Le maître dit
c'est en Europe que le travail est le plus cher
que les coûts sociaux sont les plus élevés
que les règles environnementales sont les plus contraignantes
l'Europe n'est pas un endroit pour les affaires
en ce moment en Europe....
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