Citations de Anna Enquist (201)
Aucune thérapie n'est possible avec des gens gravement amoureux, pense Drik. Cela ressemble à une psychose, ils n'ont qu'un seul sujet de conversation, s'en écarter est impossible.
Comment peut-il être aussi positif, aussi gentil ?
Quand elle est avec quelqu'un d'humeur maussade, elle pense immédiatement que c'est de sa faute. Elle est incapable de renverser la vapeur, sinon par la fuite ou la violence.Si seulement elle pouvait penser comme lui : voilà quelqu'un qui est de mauvaise humeur et je n'y suis pour rien.
Ils n'avaient jamais parlé de tout cela. Pas un mot. Trop douloureux pour son père, trop angoissant pour lui. Une conspiration du silence. Dans l'état actuel des connaissances, ce serait vivement condamné. Le fantasme est toujours plus néfaste que la réalité, si atroce soit-elle.
Cela ne marche pas, on ne ressent jamais la même chose. On peut bien sûr regarder en arrière ("regarder devant soi"), mais le temps qui s'est écoulé depuis, ce qui s'est passé dans l'intervalle colore la perception. Une chose ne peut jamais être la même à deux moments différents dans le temps, ne peut du moins être perçue comme "la même" parce que l'observateur a changé.
"Je veux tendre un filet de voies navigables sur toute la terre pour qu'il n'existe plus de régions inconnues. Je dois naviguer parce que le monde est là-bas."
Il fit un geste vague en direction du fleuve. Le crépuscule tombait et le gel semblait s'intensifier. Une branche se cassa; du ciel d'un gris de plomb, de petits cristaux de neige scintillants commencèrent à tomber.
"Voilà Elizabeth. Je ne peux pas l'expliquer mieux que ça. Cela n'a rien à voir avec toi. Tu es formidable, la meilleure femme que j'aurais pu choisir. Ce n'est pas que je veuille m'éloigner de toi, je préférerais rester toujours auprès de toi, m'asseoir avec toi à table, marcher à côté de toi. Mais la mer est là. Je ne peux pas m'en empêcher. Pas à cause des honneurs, pas parce que le roi le demande, mais parce que c'est ma destinée."
Les flocons de neige devinrent plus lourds et plus gros. Ils tombaient en voltigeant sur leur tête, leurs épaules et leurs cuisses. La nuit était tombée.
"Il faut que tu comprennes. Je n'agis pas contre toi. Tu n'y es pour rien. Il y a quelque chose en moi que je ne peux désavouer. Je le sens dès que je traverse le passerelle. Quand je suis sur le pont et que je porte mon regard au loin sur la mer, quand je sens le bateau bouger sous moi et que j'entends les haubans cliqueter contre le mât, je me transforme. A ce moment-là, je deviens moi-même."
Dans le halo d'un lointain réverbère les flocons dansaient sans bruit en tout sens. Le bonnet d'Elizabeth s'alourdit sous la neige. Un amas glacial glissa le long de son écharpe dans son cou. Elle ne bougea pas.
"Sa femme est sous terre, silencieuse, inaccessible, parfaite. Délivrée de tout."
"Elle fuit dans la solitude alors qu'elle désire ardemment ne pas rester à l'écart."
Par des voies détournées, Bach lui avait donné accès à sa mémoire.
Quand tu es un enfant, tu as droit au dévouement total de tes parents. Sinon, tu n’es pas armé pour la vie. Une vie tellement exigeante et imprévisible qu’il faut être très bien équipé, se sentir entouré, compris, aidé au maximum face aux épreuves à accomplir et ça, dès son plus jeune âge. Ce dévouement total, un compositeur ne peut pas l’offrir, car toute son attention est concentrée sur le travail.
Ce matin, mon domestique est venu me raser. Quand il a eu terminé, il m’a montré le résultat. Je voyais ton visage dans le miroir. Tu es une partie de moi. C’est ainsi.
Hugh
Une fois qu'on est à terre, le déclin ne peut pas se poursuivre.
"Il se mettait dans des situations que d'autres auraient sans doute préféré éviter. Sa curiosité était plus grande que sa prudence. On peut appeler cela du courage. Ou de la confiance dans le progrès."
Entre l'absence et le retour, il existait une zone intermédiaire. Elle s'y trouvait à présent.
Elle n’avait jamais vraiment pu partager l’amour de James pour la mer ; quand elle essayait d’y penser, elle redoutait la somptuosité et la masse d’une étendue inconcevable de cette eau, à l’échelle du monde. Pas de balises, pas de routes, pas de délimitations. Pour James, chaque partie du monde était dans l’eau et, pour elle, toute eau était liée à la terre.
Il se peut que la société autour de nous s'écroule, il y a de fortes chances que je n'aie plus un sou dans six mois et que je ne retrouve pas de travail, mais la vie, c'est maintenant.
Si on joue vraiment bien, on réussira à le changer, à lui faire comprendre qu'il appartient à cette société, que la violence et la soif de pouvoir ne sont pas tout. Alors il retournera en prison, purifié. (p. 250)
Le quatuor. Oui, c'est ça. On a bien joué, le mieux possible. La musique donne une forme au chagrin, une sonorité à l'absence, tout en offrant une sorte de consolation. Cliché, peut-être, mais pour moi c'est une révélation, c'est la vérité. (p. 201)
Caroline est lancée dans son récit. Fais donc un peu attention, se commande-t-il. Un concert réussi, apparemment. Moins que s'ils étaient venus me voir avant, mais bon, surtout, pas de reproches, d'amertume, d'émotions qui trahissent immanquablement la vieillesse ... (p. 206)
Il faut persévérer, répond-il. Nous devons persévérer, l'un et l'autre . Au-dehors, c'est la jungle. Les dangers nous guettent, mais nous devons tranquillement chercher notre chemin. Pour toi, c'est le deuil, pour moi, c'est la vieillesse. (p. 207)
C'est tellement facile d'esquiver les questions épineuses en ne pensant qu'à la musique... les contrariétés, les problèmes, les affaires inextricables s'effacent. Mais comment donner forme à une amitié si ancienne entre deux familles lorsque l'une d'elles est réduite de moitié ? (...)
Rien ne peut plus se passer comme avant, c'est trop douloureux, l'absence se voit trop. (p. 218)