Citations de Anne Nivat (71)
Je me sens plus utile à trier mes déchets qu’à choisir un président. (Amandine, jeune technicienne de labo surdiplômée)
Bref, être journaliste, c’est refuser la posture et ne jamais esquiver ses efforts.
Vivre ensemble, c’est accepter la différence de l’autre, ce à quoi ici, personne ne parvient.
Pour être respectée, sois toujours respectable. (Élise, auxiliaire de vie)
Si, dans ma carrière, je m’étais limitée à questionner mes semblables, je ne serais jamais partie durant des mois dans des pays en guerre découvrir une situation, un peuple, une religion, des us et coutumes. Je me serais privée d’interviewer des djihadistes, des talibans, des oligarques, et de raconter leur histoire. J’aurai failli à devenir cet intermédiaire nécessaire entre la source d’un récit et sa réception par le public, qui veut et doit savoir.
À tout vouloir étreindre avec la même intensité, nous nous sommes dangereusement éloignés de la nature, la nôtre, et celle de la terre.
Qu’ils soient récemment arrivés ou enracinés, les ruraux d’ici ont choisi la tranquillité. Ils observent le reste de la France depuis leur refuge, parfois horrifiés, persuadés que les fauteurs de troubles ne résident pas dans leur campagne. Dans cette France tranquille, éloignée du centre et qui se croit dénigrée, la population se sent protégée. Au risque de se refermer.
Et tant mieux si être journaliste de terrain aujourd’hui contribue à mettre au jour notre humanité, à donner à entendre avec respect les chemins de chacun, et surtout, à raconter sans décevoir.
J’assume ma subjectivité et revendique l’absence de jugement : sans censurer ni porter aux nues quiconque, je donne la parole dans les limites de l’angle journalistique choisi et respecte de stricts principes éthiques
“C’est quoi être journaliste ? Tout le monde l’est! “ m'assène t-on de plus en plus souvent. Non, tout le monde ne l’est pas. être journaliste, ce n’est pas “produire du contenu” pour susciter un maximum de likes, de clics ou de rentrées publicitaires, c’est raconter des histoires vraies, obtenues et partagées grâce à du travail, l’art de la contextualisation, de la pédagogie, le respect d’une éthique et, accessoirement, du talent. J’ajouterais la passion de se frotter au terrain, à l’inconnu et à l’inattendu. Être journaliste, c’est passer son temps à quitter son confort (matériel, intellectuel) pour prêter attention à des points de vue autres.
Le citoyen désenchanté continue de ressentir au plus profond de lui injustice et ressentiment à l’égard des institutions et de ceux qui les incarnent.
Venues du fond de la mine, les gueules noires se sont muées en seigneurs. Mines et aciéries ont disparu, seuls restent les pauvres, solidaires. Car si l’individualisme sépare et anéantit les dernières illusions, la fraternité demeure.
Je l’écris une fois pour toutes : dans cette guerre qui a débuté le 24 février 2022, la Russie est l’agresseur. Elle a envahi son voisin, violé sa souveraineté, nié son identité, causé d’ignobles pertes humaines et plongé le monde dans la stupeur et l’effroi. Si, après avoir refermé ce livre, ceux qui auront eu le plaisir ou le courage de le lire se disent qu’ils ne savent pas où me placer, côté russe ou côté ukrainien, je serai satisfaite. N’appartenir à aucun camp, n’écouter les injonctions ni des uns ni des autres, voguer, libre, sans rien devoir à personne, au service de l’information, est exactement ce que je souhaite. Militer n’est pas ma préoccupation. Documenter ce conflit des deux côtés l’est. À mes débuts dans le métier de reporter de guerre, l’absence de prise de parti était un atout, mieux, une obligation. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on s’arracherait peut-être davantage cet ouvrage s’il défendait une cause.
Même si, depuis 2013, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique offre le droit de consulter les déclarations d'intérêts et de patrimoine des élus, le citoyen désenchanté continue de ressentir au plus profond de lui injustice et ressentiment à l’égard des institutions et de ceux qui les incarnent. Se prenant à rêver d’une démocratie moins verticale, il n’accepte plus automatiquement ce que “les sachants” disent et remet allègrement tout en doute. Il fait sécession, devient un citoyen différent.
Habib a bataillé ferme avec les anciens du village pour leur faire accepter la création d'une école religieuse pour filles:"J'avais beau leur montrer des sourates du Coran dans lesquelles le Prophète déclare expressément qu' hommes et femmes doivent recevoir la même éducation, rien n'y faisait; ils avaient l'impression qu' envoyer une future femme à l'école était un sujet de honte et non de fierté. Ils me traitaient d'infidèle."
Notre voiture est en quelque sorte réquisitionnée pour faire office de taxi gratuit. Là encore, je suis obligée d’obtempérer ; pourtant, je sais déjà que cette présence officielle me gênera pendant les longues heures du dur voyage. Et personne dans ce commissariat pour nous dire combien d’heures de route exactement nous séparent encore de cette inatteignable Khorog. Les estimations oscillent entre cinq et neuf.
Surprise : le major qui s’installe dans notre voiture est une femme charmante, le contraire de ce que j’avais imaginé et redouté. Grande brune au nez aquilin, cheveux courts, lèvres faites et ongles manucurés, Parvina, trente neuf ans, est en pantalon et corsage à manches courtes (une tenue moderne dans un pays à tendance conservatrice pour ce qui est de la tenue des femmes, même si les Pamiries font exception : davantage soviétisées, elles ont toujours été plus modernes que leurs compatriotes des autres vallées du pays). Pendant le voyage, nous n’échangeons que quelques questions polies ; une journaliste, étrangère de surcroît, restera toujours un objet de méfiance pour un officier des services secrets.
Bagdad est désormais derrière toi. Il va falloir t’en délivrer réellement, en commençant par le plus dur :raconter. Car raconter, c’est tout revivre à nouveau.
Désarçonné par la nouvelle vie post-soviétique, le chef de village estime cependant que "chacun devrait tacher de se trouver du travail, une occupation quelle qu'elle soit, pour ne pas se laisser aller", et il déplore que la plupart de ses administrés, oisifs, passent leur temps à jouer aux cartes en buvant de la vodka, quand ils ne partent pas des journées entières dans la nature, déraciner des tezgen, accompagnés de leurs ânes. Lui aussi place beaucoup d'espoir dans l'ouverture de la route vers la Chine, dont il a suivi la construction avec grand intérêt. "Finalement, conclut-il, l'idéal, ç'aurait été que l'URSS continue d'exister, mais pas dans un système communiste. J'imagine une URSS qui se serait adaptée au capitalisme, à la démocratie. Ainsi, elle n'aurait pas perdu sa puissance et les Etats-Unis ne la traiteraient pas avec si peu d'égards. N'est-ce pas d'ailleurs ce que la Chine a réussi à faire?"
J’écoutais avec avidité cette femme à la radio – parler de sa volonté de prendre le temps – ce refus de la vitesse, du positionnement. Parler des gens, de ses histoires avec eux, d’hommes, de femmes, d’enfants, de vies qu’elle retrouvait (…). Peut être est-ce cela qui m’a conduit à rencontrer Anne. Un autre genre d’émotion. Quelqu’un qui, peut-être, pourrait éclairer un peu la route, comme une porte ouverte sur ces mondes lointains et ces guerres, si difficiles à comprendre.
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"Les gens ont de plus en plus de mal à se supporter .
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Faut refaire cohésion! Il faut s'atelier à notre ennemis commun: l'individualisme!