Payot - Marque Page - Antonio Tabucchi - Ecrire à l'écoute
La vraie vie, nous dit Pessoa, n'est pas celle qu'on mène, mais celle que l'on invente par l'imagination.
À cette époque, j'habitais dans un endroit sauvage, qui n'était pas très loin, en haut des collines. Quand j'y parvins, le déluge avait déjà commencé, et le ciel était enflammé, comme une fête de village où les saints se déchaînent. Je montai dans ma chambre et j'ouvris la fenêtre. C'était une grande fenêtre, qui donnait sur un paysage de maquis et de roches trouées par les intempéries. Là vivaient des sangliers et des lapins de garenne, qui étaient déjà tous rentrés dans leurs tanières. Dans ma chambre il y avait une femme qui me dit : viens dormir. Si elle n'était pas là, je me l'imaginai, parce que quand éclate un furieux orage qui te menace jusqu'à te faire trembler les mains, il est nécessaire d'entendre la voix d'une femme qui te rassure en te disant : viens au lit. (p. 121/122)
Pereira prétend avoir fait sa connaissance par un jour d'été. Une magnifique journée d'été, ensoleillée, venteuse, et Lisbonne qui étincelait. Il semble que Pereira se trouvait alors à la rédaction, il ne savait que faire, le directeur était en vacances, son souci consistait à devoir monter la page culturelle, parce que le Lisboa avait dorénavant une page culturelle dont on lui avait confié la responsabilité. Et lui, Pereira, réfléchissait sur la mort. En ce beau jour d'été, avec la brise atlantique qui caressait la cime des arbres, avec le soleil qui resplendissait, et une ville qui scintillait, oui, qui scintillait littéralement sous sa fenêtre, et un ciel bleu, un ciel d'un bleu jamais vu, prétend Pereira, d'une netteté qui blessait presque les yeux, il se mit à songer à la mort.
(incipit)
La philosophie donne l'impression de s'occuper seulement de la vérité, mais peut-être ne dit-elle que des fantaisies, et la littérature donne l'impression de s'occuper seulement de fantaisies, mais peut-être dit-elle la vérité.
La philosophie donne l’impression de seulement s’occuper de la vérité, mais peut-être ne dit-elle que des fantaisies, et la littérature donne l’impression de s’occuper seulement de fantaisies, mais peut-être dit-elle la vérité. p.33
Il demanda : "vous avez dit ?".
"Je parlais des corps" dis-je, "peut-être sont-ils comme des valises, nous y transportons nous-mêmes". (p.46)
La première chose à laquelle on pense, ici, c'est à quel point est trop le trop que notre époque nous offre, au moins à nous qui sommes du bon côté. Mais regarde donc les chèvres : elles vivent de rien, elles mangent les ronces, elles lèchent même le sel. Plus je les regarde, plus elles me plaisent, les chèvres. (p.14)
Samuel Butler était vraiment un type singulier, non seulement pour les romans incroyables qu’il a écrits, mais pour sa façon de voir la vie. Une de ses phrases me vient en tête : « Je peux tolérer le mensonge, mais je ne supporte pas l’imprécision. » Mon amour, des mensonges nous nous en sommes beaucoup dits dans notre vie, et nous les avons tous acceptés réciproquement, tant ils étaient vrais dans notre imaginaire désirant. Mais il y a eu un mensonge, ou si tu préfères plusieurs mensonges regroupés autour du même fait réel, qui nous a perdus pour toujours, car c’était un faux mensonge, c’était l’illusoire, et l’illusoire est nécessairement imprécis... (p.186)
Des grillons, j’en ai entendu, la nuit dernière, mais avec un tout autre son. Ce sont des grillons annonçant l’été qui arrive et que je pense passer avec toi. Les grillons des fêtes du grillon de quand nous étions enfants, ceux qui mouraient pendant la nuit sur une feuille de salade dans leur petite cage dans la cuisine, même si ceux dont je parle étaient au contraire des grillons libres, contents, ça s’entendait à leur chant, on aurait dit qu’ils disaient « demain c’est le premier juin, fête de l’Ascension ». Au demeurant, qu’est-ce que c’est, comme fête, l’Ascension, où monte-t-on, et qui monte ? (p.237)
"A Bombay, il n'y a pas beaucoup de jaïns" dit-il ensuite sur le ton que l'on emploie pour donner des explications à un touriste, "dans le Sud, si, beaucoup encore. C'est une religion très belle et très stupide." Il dit cela sans aucun mépris, toujours sur le ton neutre d'une déposition.
"Vous, qu'êtes-vous?" demandai-je, "je vous prie d'excuser mon indiscrétion."
"Je suis jaïn" dit-il.