Citations de Benjamin Whitmer (446)
Ils se sont éloignés de la route et marchent vers le sud-ouest en direction des montagnes fouettées par la neige, sans rien pour freiner la tempête que quelques trembles et pins tordus ça et là. Le vent remonte par les ourlets de son pantalon, lui glace les os, lui perfore le visage.
« Si vous fermez les portes au monde extérieur, vous fermez les portes à votre âme . »
C’est une prairie fantôme. Angoissante et froide, sous l’étrange clair de lune. Monde étiré, fin, comme si quelqu’un avait monté la pesanteur d’un cran. Sifflement à peine audible de la neige qui tombe, oblique dans le vent puissant. Arbres sombres aux contours flous, qui renvoient à Stanley son regard noir. Tout est fixé comme sur une page. Creuse, froide, emplie d’échos et d’abandon.
C'est ce que Marjorie fait quand le vie devient si étouffante qu'elle ne peut pas imaginer passer un autre jour sans aller se pendre dans le placard. C'est ce qu'elle a expliqué à Stanley. Elle roule jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus rouler sans risquer de mettre la voiture dans le fossé, puis elle prend une chambre dans un motel et elle boit trois bouteilles de vin. La première pour l'amour, la deuxième pour la haine, la troisième pour la solitude.
Le vrai problème, avec la cocaïne, c'est qu'on n'en a jamais vraiment assez. Même quand on se bâfre, on en prend en général juste assez pour entretenir ses saignements de nez et la haine qu'on a de soi.
On emprisonne des gens pour usage de drogues. On emprisonne les gosses qui volent dans les caisses de station-service, volent des voitures pour faire les cons avec. Mais les hommes qui abandonnent leurs enfants, ils continuent à traverser la vie en flottant, aussi légers que l'air.
Je regardai Goodnight. Je commençais à bien deviner ce qu’il pensait derrière son gros visage ravagé, mais en l’occurence je n’eus pas besoin de faire beaucoup de télépathie. Il avait l’air qu’il aurait eu si quelqu’un avait pressé la pointe d’une mèche de perceuse pile entre ses deux yeux.
Vivre dans cette ville, c'est comme se faire étrangler, mais très lentement. Le genre de mort lente et suffocante à laquelle on met une vie entière à s'habituer. Et puis on meurt.
La vérité, c’est que je ne pense pas que la plupart des gens veuillent réellement l’amour. L’amour fait exploser votre vie en mille morceaux, et il les réarrange selon ses propres lignes. Et il est éphémère. Si vous le manquez, vous le manquez. Il a son temps à lui, et vous n’en êtes pas maître. Si vous ne le prenez pas dans votre filet quand la chance s’en présente, il disparait. Et même si vous l’attrapez, il finira toujours par vous briser le cœur. Même quand il dure une vie entière, il finit par laisser l’un de vous deux seul dans un monde si vide que c’en n’est pas supportable.
Toujours.
Mais ce n’est pas vous qui choisissez. Voilà l’autre vérité. Ce n’est pas comme quand vous vous promenez dans les rayons d’un magasin et que vous choisissez telle boîte de haricot plutôt que telle autre. Quand vous vous dites que vous préférez le goût de celle-ci, mais que vous ne pouvez pas la prendre parce qu’elle vous ravage à chaque fois les entrailles, alors vous achetez l’autre. Là, vous n’avez pas votre mot à dire.
Vous négociez pas les termes. L’amour est une fournaise dans laquelle vous balancez votre vie à pleines pelletées. Une pelletée après l’autre, encore, et encore, et encore.
-Tu sais ce que Jesse James faisait, quand il cambriolait une banque ?
- Non.
- Il demandait à toutes les personnes présentes dans la banque de montrer leurs mains. Tous ceux qui avaient les mains calleuses, il les laissait partir. Il ne dévalisait que les fils de putes aux mains douces. Les hommes qui ne travaillaient pas pour vivre.
Vous pouvez passer votre vie entière à chercher le mensonge qui a fait de votre vie ce qu'elle est. Presque tous ceux qui atteignent mon âge le cherchent. Mais moi je sais ce que c'est. Je connais le mensonge à l'origine de chaque mensonge que j'ai pu entendre tout au long de ma vie. Y a pas grand monde qui peut en dire autant.
Ce monde n'est pas fait pour que vous vous en évadiez. Ce monde est fait pour tenir votre cœur captif le temps qu'il faut pour le broyer.
Le Vieux détestait la ville. La détestait parce qu'il l'avait vue devenir ce qu'elle était. Passer d'une ville avec une prison à une ville-prison.
Elle m'envoyait des livres. Elle essayait de me rendre assez intelligent pour que je puisse avoir des conversations avec elle à mon retour.
En prison tu construis ton temps. Tu fais des piles de temps avec le claquement des cuillers sur les assiettes en fer, avec l’odeur du nettoyant industriel et l’odeur de la sueur, avec les pas et les pas sur le goudron de la cour, avec les visages plats des matons comme des trucs gravés à l’eau-forte sur un mur en béton, avec les ampoules nues de 200 watts qui vrombissent pendant que tu te branles dans une poignée de pommade, avec le sifflement et le cliquetis des tuyaux dans les murs, avec les petites tapettes aux mentons secs et aux lèvres gercées. Tu empiles ça comme un château de cartes, et Mopar venait de réaliser qu’il n’en pouvait plus de faire des piles.
J'ai l'impression d'avoir passé ma vie entière à rédiger une lettre de suicide, dit-il. Pour chaque personne que j'ai rencontrée, pour tous les gens que je connaissais. Mais tu ne peux rien dire à personne. Si tu le dis à une femme, elle s'enfuit. Si tu le dis à un homme, il se moque de toi. À juste titre. Y a personne à qui je pourrais le dire.
Il est presque impossible d'évaluer les blessures que les jeunes hommes blessés sont capables de s'infliger. Passant leurs nuits à boire, prenant toutes les drogues qu'ils peuvent se payer, pataugeant dans le type de conversations circulaires et sans fin que seuls les jeunes hommes blessés peuvent supporter. Des conversations à tel point saturées d'auto-apitoiement et de haine de soi qu'elles ne peuvent s'achever que par imposition soudaine de la force physique.
- C'est possible de manger ? demanda Pike.
- C'est possible. (Il fait un geste du menton par-dessus son épaule.) On a trois mexicains dans la cuisine.
- On mange pas les mexicains.
- Tu l'as buté, hein, espèce de fils de pute ? dit le plus grand en serrant ses gros poings noirs.
Derrick continue d'avancer, le .45 pointé vers son interlocuteur.
- Il s'est pris les pieds dans ses lacets.
- Ah ouais ? Et c'est comme ça qu'il a mis plein de bouts de cervelle par terre ?
- Ça arrive à tout le monde. Ça pourrait même vous arriver à vous.
Les lumières de Denver brillaient devant nous comme des soleils lointains. Toutes ces lumières, je me sentais toujours perdu quand je les regardais. Ça me mettait les nerfs en boule de savoir que chacune d'elles contenait le monde entier de quelqu'un. Des mondes dont je ne savais rien, dont je ne saurais jamais rien.