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EAN : 9782351781876
416 pages
Gallmeister (06/09/2018)
3.64/5   467 notes
Résumé :
1968. Le soir du Réveillon, douze détenus s'évadent de la prison d'Old Lonesome, autour de laquelle vit toute une petite ville du Colorado encerclée par les montagnes Rocheuses. L'évènement secoue ses habitants, et une véritable machine de guerre se met en branle afin de ramener les prisonniers... morts ou vifs. À leurs trousses, se lancent les gardes de la prison et un traqueur hors pair, les journalistes locaux soucieux d'en tirer une bonne histoire, mais aussi un... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (129) Voir plus Ajouter une critique
3,64

sur 467 notes
« Y en a un qui s'est chié dessus. Mopar Horn ignore s'il s'agit d'un maton ou d'un détenu, mais l'air du salon pulse en alerte rouge pour cause d'odeur de merde. »

La première phrase te gifle d'emblée et tout le reste du roman est au diapason : noir, très noir, brut. Hiver 1968, Colorado, le soir du Réveillon. Une chasse aux douze détenus qui se sont évadés dans un blizzard qui exacerbe les tensions. A leur trousse, toute une ville, des gardiens de prison vicelards menés par un directeur impitoyable, un traqueur professionnel, limier mais pas viandard, des journalistes en quête de scoop et des habitants armés jusqu'aux dents et gavés d'amphétamines.

L'intrigue est resserrée au plus simple autour de cette chasse à l'homme désespérée pour permettre à l'auteur de développer mille nuances de noir dans une palette monochrome riche de quelques saillies lumineuses. La traque s'exacerbe avec le blizzard qui s'abat sur la ville, la neige claustrophobique créant un quasi huis clos obsédant et inquiétant tant la folie guette chacun, tant
ressurgissent les blessures et rancoeurs de chacun.

Benjamin Whitmer est presque moraliste lorsqu'il décrypte au couteau les affres de la condition humaine, fouillant au scalpel les entrailles pourries de l'Amérique profonde : racisme, déterminisme social, ultra violence, drogue. le tableau est sans concession, la fatalité dénuée d'espoir. Dans ce Far West contemporain chaotique, seuls les uniformes distinguent les chasseurs des proies.

Et pourtant, dans cette descente aux enfers, il parvient à donner de l'épaisseur à chaque personnage, tout particulièrement au duo de cousins : Mopar le fugitif acculé et Dayton la veuve dealeuse, bien décidée à le retrouver avant qu'on ne l'abatte. le parcours de vie de ces personnages qui vrillent est dépecé à l'os par de brillants flash back qui éclairent juste ce qu'il faut sans faire dans le lourdement psychologique. Ce ne sont pas des personnages qu'on aime, clairement on n'est pas dans l'empathie, ce sont des personnages dont on finit par comprendre le terrible destin. L'auteur capte la mélancolie des marginaux.

Et puis il y a cette écriture, sèche, nerveuse. Benjamin est un orfèvre du noir. Ses dialogues percutent jusqu'au trash et au grossier sans que cela soit gratuit. On est happée, on suffoque par la violence qui suinte de chaque phrase. Evasion est un roman que l'on lit comme on prend une cuite en mode binge drinking. Magistralement féroce.
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1968, le soir du réveillon. Trois matons à genoux, les mains menottées derrière le dos. Face à eux, quatre détenus de la prison de Old Lonesome qui ont décidé de se faire la belle. Huit autres courent dans la nature. Mais, les conditions climatiques épouvantables, des températures glaciales, une neige qui tombe dru, empêchent Mopar, Mitch, Wesley et Bad News d'aller plus loin que cette maison où ils se sont réfugiés. Ils n'auront d'autre choix malheureusement que de la fuir car, bientôt, les gardiens de prison, le directeur Jugg à leur tête, vont les prendre en chasse. Bientôt rejoints par Stanley, un journaliste local, et Garrett, le photographe ainsi que par Dayton Horn, la cousine de Mopar. Une chasse à l'homme sanglante dans cette nuit noire et ouateuse...

Benjamin Whitmer nous offre un roman d'une noirceur implacable, désespérante et d'une force saisissante. Au cours de cette nuit du réveillon, une traque pour attraper les douze détenus qui ont pris la fuite va ébranler toute cette petite ville du Colorado. Fuyards, matons, journalistes en quête d'un scoop et quelques habitants vont se livrer une bataille sans merci. Un scénario de prime abord sans surprise si ce n'était cette violence, omniprésente, qui s'en dégage, cette noirceur étouffante, ces personnages taillés à la serpe, imperturbables, brutaux et immoraux, ce climat, oppressant et étreignant, ce tourbillon d'événements qui s'enchainent. Et que dire de cette écriture lyrique et intense, de cette narration efficiente qui donne voix aux différents personnages, de ces dialogues percutants... Dans cette nuit où seules les silhouettes se devinent, le climat hivernal, véritable personnage à part entière, engourdit les corps et gèle les coeurs. Après Pike et Cry father, Benjamin Whitmer signe là un roman brut, d'une force rare.
Époustouflant !
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Je la sentais pas cette opération porte ouverte à la prison d'Old Lonesome.
Bilan, douze détenus évaporés dans la nature.
Et une chasse à l'homme, dans les Rocheuses, par ce froid de gueux, c'est pas vraiment fait pour développer le côté bon samaritain de tout traqueur irascible qui se respecte.
Mais le respect, c'est p'us c'que c'était, ma pôv' dame.
Désormais, on fait dans l'efficacité primale, le rendement efficient.
Il manque douze très bons clients à cet établissement de prestige, il nous faut les retrouver, morts ou morts.

Est-ce qu'Évasion vaut le détour, assurément.
Est-ce qu'Évasion nécessite une concentration de tous les instants, indubitablement.
C'est pourtant pas faute d'avoir été prévenu en amont.
Vu le nombre de protagonistes, Évasion tu torcheras en moins de temps qu'il n'en faut pour te demander toutes les deux pages "la vache mais qui est donc ce satané loustic, évadé ou maton ?".
J'ai morcelé le bestiau, séquencé ma lecture, surestimé ma capacité mémorielle au point de me poser encore et encore cette satanée question et donc de casser un rythme qui ne demandait qu'à s'emballer et biaiser un ressenti final certainement pas en adéquation avec la qualité avérée d'un tel récit.

Roman noir de chez noir, Évasion tape fort.
Brut de décoffrage stylistiquement et narrativement, il fait la part belle à l'humain dans ce qu'il a de plus sombre et de plus bestial.
Bien sûr, quelques petites lucioles d'espoir viennent de-ci de-là tenter vainement de percer cette longue nuit sans lune.
L'homme est un loup pour l'homme.
Un animal carnivore qui possède une mémoire collective.
Un prédateur incapable de réfréner ses plus bas instincts.
Aussi, lorsqu'il lui est permis de laisser libre cours à sa férocité naturelle, je vous laisse imaginer le festin de roi.

Évasion est une course contre la mort.
De celles dont on espère fébrilement sortir indemne tout en connaissant pourtant le fin mot de l'histoire.
Évasion est une onde de choc violente, perdurable, qui mérite une attention soutenue sous peine de déconvenue sévère.
J'fais comme Marcel, j'aime instruire en amont...
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Première incursion dans l'univers de Benjamin Whitmer, et manifestement l'américain fait partie de ces auteurs qui aiment balancer une fiole de nitroglycérine contre le mur qui porte le rêve américain en trompe l'oeil.
Une ville qui a laissé se dresser des cloisons autres que celles de la prison, n'offrant aucune échappatoire à la médiocrité qui use et abîme. Des personnages écrasés par le destin lorsqu'ils n'agissent pas comme des grenades dégoupillées, prêtes à exploser n'importe quand. Et une neige incessante qui, au coeur de la nuit, ne laisse entrevoir aux évadés aucune direction possible dans ces montagnes du Colorado.
Tous les éléments du récit concourent à sculpter l'intrigue dans un bloc de haine glacée, et faire de la traque des évadés le réceptacle des rancoeurs et espoirs abandonnés de chacun. Tout se mélange avec une ignominie crasse, les gardiens de prison, les évadés, les habitants...pas la peine de chercher les héros, il n'y a que des gens pas bien nés ou revenus cabossés du Vietnam qui recourent à la violence comme antidote aux imperfections du ciel.
Une histoire simple et d'une absolue noirceur en somme mais baignée d'un feu particulier, de ceux qu'on alimente avec une langue chargée d'un acide pénétrant. Une écriture franche et sans inhibition, quelques phrases bien balancées, B. Whitmer possède une sacrée voix pour montrer la violence qui construit les personnalités et les choix qui détruisent. Il a cette manière de raconter sans un mot de trop car les mots ont tendance à mettre une distance anesthésiante entre ce qui se passe et notre conscience. Et sous cette neige omniprésente qui dilue la réalité et fait s'étirer le temps, Whitmer parvient à modifier nos propres perceptions. On progresse dans le récit à pas lents face aux images floues et zones d'ombre montrées du doigt et laissées à plus tard. C'est redoutablement efficace.

Pour autant, Évasion est le genre de lecture pour laquelle je suis incapable de dire avec certitude si j'ai aimé ou pas tellement la réalité décrite est tenace et puissante. Elle a laissé un goût de rouille dans la bouche. Avec un certain recul, s'impose la conviction d'avoir découvert un auteur talentueux qui a une aisance à planter ses ongles dans un décor sans ambiguïté ni bons sentiments.
Et avec encore plus de recul, j'ai adoré.
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Ahurissant.
Je découvre Benjamin Whitmer pour la première fois avec ce roman qui ne nous laisse aucun répit ! C'est comme un "western" des temps modernes. Une affaire de règlements de comptes.

Hiver 1968. Colorado. Douze prisonniers s'échappent de la prison d'Old Lonesome. La plus longue nuit de l'année débutera pour tous ceux qui se trouveront dans leur sillage. Manque de bol, un terrible blizzard frappe la région, compliquant ainsi tant la sortie pour les fuyards que pour ceux qui partiront à leur recherche.

Cette histoire a pour décor principal l'extérieur. Les montagnes, le froid, la neige, la nuit, la faim, la souffrance, la nature dans ce qu'elle a de plus sauvage, dans ce qu'elle a de plus primitif. le blizzard séparera la plupart des évadés, chacun partant de son côté. Dans l'impossibilité d'avancer, les autres tenteront ensemble de trouver un abri temporaire en attendant que la tempête se calme, semant victimes sur leur passage. Ici, on est loin du "glamour" et de la bourgeoisie bien-pensante. Dans ce coin paumé des États-Unis où on vit à la dure et où les gens sont déjà blasés, l'atmosphère est loin d'être joyeuse. La guerre du Vietnam est toujours en cours et ses conséquences auront laissé des marques sur ses habitants. Ici, le rêve américain n'existe pas. On a perdu confiance en toute autorité et la seule justice qui compte est celle qu'on applique soi-même. La population est désillusionnée.

"Personne n'a jamais de chance dans ce putain de monde de merde. Personne, putain."

Drogue et armes font partie du quotidien. On ressent toute cette lourdeur, cette ambiance triste, colérique, négative et malgré tout, on réussit à la comprendre. Les personnages ne sont pas plaisants. Ils vivent dans un monde où l'espoir n'est pas tellement accessible.

"S'il y a le moindre truc qui risque de tourner mal, il tourne mal, toujours. Si t'as une toute petite chance dans ce putain de monde, elle t'échappe avant même que tu l'aies vue venir."

Ils naissent, grandissent et meurent dans un lieu qu'ils ont haï toute leur vie et qu'ils ne quitteront jamais. On est dans une Amérique déchirée par le malheur. Pourtant, il n'y a pas tant d'apitoiement, on ressent plus cela comme un état de fait.

"Peu importe combien d'amour il y a dans le monde, cela ne suffit pas. Pas pour la paix ni la lumière ni le soulagement de la douleur. Peu importe combien d'amour il y a dans le monde, cela ne suffit pour rien du tout."

Les évadés d'Old Lonesome ne sont pas des enfants de coeur mais ceux qui les traquent ne valent pas tellement mieux, sinon pires...n'ayant aucuns scrupules à passer au-dessus des lois pour arriver à leurs fins et les ramener, morts ou vifs. Chacun trouvera son compte dans la traque, chacun y participera pour des motifs personnels. Pour certains, il ne s'agit que de soif de pouvoir, indiquant bien qui dirige dans cette ville. Pour d'autres, il ne s'agira que de vengeance ou de voyeurisme. Ou tout simplement, ce sera un prétexte pour pouvoir défouler sa rage sur quelqu'un ou quelque chose. Juste pour se sentir mieux.

"Toutes les mauvaises choses qu'il a faites en Asie ou ici, ça a été à cause de moments comme ça. C'est la colère et l'ennui qui les déclenchent. Regarder les stupides fils de pute de la hiérarchie dire à des fils de pute qui s'ennuient à mourir d'aller faire des conneries qui ne serviront à aucun fils de pute. Vous vous retrouvez comme un chien laissé si longtemps attaché à sa chaîne que vous seriez prêt à vous trancher un membre à coups de dents juste pour sentir qu'il existe."

Chose certaine, personne n'en sortira indemne. On assiste à une chasse-à-l'homme des plus violentes. le langage est souvent très cru, très vulgaire mais qui colle parfaitement à la mentalité des gens du coin, à leur vécu, à leur éducation, à leur milieu et surtout, à comment ils se sentent au quotidien. Au début, j'ai eu un peu de mal à me repérer car il y a beaucoup de personnages, cela m'a pris un moment à réussir à trier tout le monde, je devais revenir en arrière souvent pendant le premier quart du livre. Il faut donc être concentré tout le long de la lecture pour ne pas perdre le fil. Certains passages ne sont pas très creusés mais je pense que l'auteur a laissé de côté ces aspects où justement il n'était pas si nécessaire de creuser, pour laisser toute la place aux éléments importants. En gros, il n'y a pas de pertes de temps.

Bien que d'une noirceur inégalable, pas une seconde je ne me suis ennuyée et c'est avec grand plaisir que j'aimerai lire les autres romans de Benjamin Whitmer. Accrochez-vous parce que dans tous les sens du terme, ça dérape ! Une lecture qui décoiffe où l'hiver et son climat prennent beaucoup de place, parfaite pour la thématique suggérée ce mois-ci.

LC THÉMATIQUE DE DÉCEMBRE : LE RETOUR DE L'HIVER
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critiques presse (4)
LePoint
16 octobre 2018
L'auteur de « Pike » revient le temps d'une traque infernale dans le Colorado et ses Rocheuses chéries, pour un résultat un peu moins puissant.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeMonde
28 septembre 2018
Hiver 1968, Colorado. Chasse aux détenus en fuite dans un blizzard propice à la détresse. « Evasion », de Benjamin Whitmer, sombre et violent.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Lexpress
10 septembre 2018
On est donc dans un classique polar de cavale. "Pour tenir le lecteur en haleine avec une intrigue aussi mince, il faut un sacré talent", observe le Prix Goncourt Pierre Lemaitre, dans sa préface enthousiaste. Et Benjamin Whitmer n'en manque pas, en effet.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Actualitte
07 septembre 2018
Avec Évasion, Benjamin Whitmer signe une intrigue violente et efficace avec une galerie de personnages taillée à la pointe du couteau. La langue, crue et cruelle, traduite par Jacques Mailhos, libère la noirceur de l’Amérique « du milieu », dans les années 70.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (212) Voir plus Ajouter une citation
Le détenu

Y en a un qui s’est chié dessus. Mopar Horn ignore s’il s’agit d’un maton ou d’un détenu, mais l’air du salon pulse en alerte rouge pour cause d’odeur de merde. Mopar se frotte les yeux. Il est accroupi contre un piano droit, s’accroche à un de ses pieds incurvés cependant que le monde tente de se dérober sous lui.
— Putain, calmez-vous et on pourra vous desserrer tout ça, dit Mitch Howard depuis le couloir.
Il porte encore la grande casquette de gardien à huit pointes qu’il avait mise pour que les vigiles du mirador ne voient pas qu’il est noir. Elle est trop petite pour lui et elle gigote sur le haut de sa tête quand il parle.
— Quoi? dit Mopar. Putain, qu’est-ce que t’as dit?
Les lunettes à monture fine d’Howard sont de travers à cause de la course. Il les ajuste d’un coup d’index gros comme un avant-bras de nouveau-né. Howard est énorme.
— C’est à eux que je m’adresse.
Il parle des trois matons qui se tiennent à genoux sur la
moquette rouge du salon. Ils ont les mains menottées derrière le dos, et leurs visages sont bouffis comme des tomates d’automne. Deux d’entre eux ont décidé de se calmer, et ils travaillent à maîtriser leur respiration, mais le blond frotte ses menottes contre un de ses talons ferrés. Sa respiration sort par souffles écorchés après avoir franchi le garrot de cuivre, ses épaules enflent sous sa chemise, du sang goutte de ses poignets pour se fondre dans la moquette.
Sang rouge, divan rouge, fauteuils de salon rouges, et
une lampe de table à abat-jour rouge. Même les lumières du sapin de Noël. Mopar s’essuie le front avec la manche de sa chemise de gardien et cligne des yeux pour s’éclaircir la vue.
Mais le putain de rouge reste, partout. Il y a aussi un bruit. Un bruit rouge. Un vrombissement et une palpitation, comme un battement de cœur. Ça vient d’où, bordel? Mopar attrape sa cravate par le nœud, la desserre d’un coup sec, puis l’arrache par le haut et la jette contre un mur.
— Où est passé tout le monde ? dit-il. Putain, où est passé
tout le monde ?
Personne ne lui répond. La vieille femme est courbée sur le divan, cheveux fanés tirés en un petit chignon comme un bout de bois qu’elle se serait planté dans le crâne avec un clou de sept centimètres. Les deux autres détenus, Wesley Warrington et Bad News Dixon, sont affalés sur des fauteuils du salon. Il n’y avait pas assez d’uniformes de gardiens pour tout le monde, alors ils sont encore vêtus de leurs pantalons et vestes en jean de détenus.
Dans cette pièce, il n’y a personne d’autre. Il y avait eu au
moins douze gars qui s’étaient échappés par la porte nord.
Mopar s’en souvient.
— Putain, où sont passés les autres? dit-il.
— Ils se sont tirés, dit Howard. Y a plus que moi, toi, Warrington et Bad News. C’était notre plan.
— Je me souviens pas de ça. C’est pas un plan que j’ai entendu avant. Putain.
— C’est mon plan à moi, dit Howard. Te tracasse pas ta
petite tête de con pour ça.
— Putain. Merde. (Son cerveau enfle. Mopar respire par la bouche. Sa tête est sous pression, prête à exploser.) Ils ont sonné l’alarme ? J’ai pas entendu l’alarme.
— Ça va aller, vieux, dit Howard. Concentre-toi sur ta respiration.
Mopar a envie de se déchaîner sur lui avec son fusil scié
artisanal. Traite-moi comme un putain de con et je te repeins les murs en rouge. Un rouge encore plus rouge. Et ce bruit dans sa tête, encore, ce vrombissement. Comme une pulsation de sang dans les murs de la pièce. Respire.
Par la fenêtre, les montagnes scintillent, hirsutes et grises
derrière la neige qui tombe, sous un soleil comme une lanterne qu’on abaisserait entre les pics. Mopar regarde. Travaille à se calmer. Respire, tête de nœud. C’est le premier coucher de soleil que tu vois en dix ans. Respire.
Le maton blond continue à se débattre avec ses menottes. Il a des cheveux fins comme des cheveux de bébé, et dessous, il a le crâne rose. Soudain, ses yeux s’exorbitent et le gauche se met à pisser le sang, capillaires explosés. Il tombe la tête en avant et convulse comme un mille-pattes sur un poêle.
— Donne-leur du mou, dit Howard à Mopar. Donne-leur du mou avant qu’un de ces enculés de bouseux crève.
Il me parle comme à un putain de gosse. Mopar n’aurait pas bougé le petit doigt même s’il avait pu. Ces matons peuvent crever.
— J’y vais.
Bad News se lève de son fauteuil. Ils avaient fabriqué leurs
garrots à l’atelier de la prison. Une boucle de fil de cuivre et une poignée en bois. Bad News fait se lever le maton blond en tirant sur la poignée derrière sa nuque, le fil s’enfonce dans le cou, un collier de sang se forme. Le visage du maton passe du rouge au violet et sa langue enfle entre ses lèvres. Bad News tire encore puis laisse l’homme retomber sur ses genoux, torse droit. Mais il ne lâche pas la poignée.
— Active, dit Howard. L’est pas prévu que ces bouseux claquent pour le moment.
— Ça me dérangerait pas trop, dit Bad News.
Il est jeune et nerveux, a des airs de type souffrant d’un trouble de la personnalité borderline. Ses yeux exorbités ne sont que pupilles. Il dit que c’est le LSD qui a cramé ses nerfs.
Il dit que si tu prends assez de LSD, on te déclare juridiquement
fou. Il dit qu’il en a pris encore six fois plus que ça et que si tu le crois pas t’as qu’à demander à l’autre salope, là-bas, à Boulder. Sauf qu’on peut plus rien lui demander du tout.
Le maton blond essaie d’agripper le fil qui lui enserre le cou. Bad News tient toujours la poignée.
— Lâche-le, dit Howard à Bad News.
Bad News fait tourner la poignée et détend le fil de cuivre.
Le maton tombe vers l’avant, tousse. Vomit sur la moquette.
Bad News donne du mou aux deux autres, qui se crispent tous les deux en sentant sa main se serrer sur la poignée.
— Tu vas regretter de pas avoir tué ces fils de putes, dit-il.
— Je vais rien regretter, dit Howard. Essaie de voir si tu peux gratter des trucs à manger.
— Viens, Warrington, on y va, dit Bad News.
Ils passent à côté d’Howard et sortent du salon.
Howard regarde la vieille femme sur le divan.
— Comment tu t’appelles?
La vieille femme a le regard ailleurs, fixé sur rien de précis.
Elle ne semble pas affectée par ce qui se passe autour d’elle.
Elle tourne la tête, pose ses yeux gris sur Howard.
— Pearl, dit-elle.
— Tu es mariée, Pearl?
Elle sort une cigarette roulée et une allumette de cuisine de la poche de son tablier et l’allume. Elle secoue l’allumette et la jette sur la moquette rouge – cette moquette est la sienne mais elle paraît s’en foutre.
Howard l’écrase sous la semelle de sa chaussure d’uniforme.
— Va falloir que tu me répondes.
— Si j’avais eu un mari, je vous l’aurais dit.
— T’es une vraie dure, hein? Un fils, peut-être ?
Elle souffle sa fumée vers le faux plafond en fer-blanc
gaufré.
— Donc t’as aucune fringue qu’aucun de nous pourrait
mettre ?
Elle regarde Howard comme on regarderait une merde de chien écrasée sur le tapis.
— Le petit peut essayer les miennes.
— On est tombés sur une garce finaude, dit Howard. Si t’es toute seule ici, alors pourquoi y a trois voitures devant chez toi?
— J’ai pas dit que j’étais seule.
Howard se gratte un bouton entre les deux yeux.
— D’accord, dit-il. On reprend tout. Qui d’autre vit ici?
— J’ai des pensionnaires, dit-elle. Dont deux ont une voiture.
— Et ils sont où, là, putain?
Bad News revient dans le salon, suivi de près par Warrington. Bad News porte une besace, la donne à Howard avec un petit sourire.
Howard ouvre le sac en cuir. Puis le referme.
— Des pensionnaires?
Les yeux de Pearl ne vacillent pas. Pas même un tout petit peu.
— J’imagine que ça ne vous surprend pas, dit Howard aux matons. Le genre de pensionnaires que Pearl héberge.
(Il ouvre de nouveau le sac.) Elles viennent de partout pour te voir, hein? Tes pensionnaires, Pearl?
— J’ai perdu mon mari en quarante-neuf. (Elle dit cela comme si un animal vivant juste à l’intérieur de son visage lui dévorait toute volonté de se taire.) Au cours de l’évasion. Il a été tué par l’un d’entre vous.
— J’étais pas en prison en quarante-neuf, dit Howard.
J’avais dix ans, putain.
— Je marche dans la rue et je vois ces murs, dit-elle, je ne fais rien d’autre, et ça suffit pour me rappeler pourquoi je fais ce que je fais.
— Je parie que tu caches un paquet de billets quelque part qui te le rappelle aussi, dit Howard. Un gros paquet de billets.
— Les femmes qui viennent chez moi ne sont pas du genre à s’encombrer d’un gosse, dit Pearl. Les femmes qui viennent chez moi n’avaient rien demandé aux femmes qui les ont fait naître.
Si vous ne croyez pas qu’elles se foutent tout pareillement de leur descendance, alors vous n’aurez qu’à regarder autour de vous quand ils vous recolleront au trou à Old Lonesome.
— Tu es une femme aigrie, dit Howard. Aigrie à l’égard
du monde. C’est ça ton problème.
— Non, mon problème, c’est vous. Vous tous.
Et elle ne veut pas seulement dire eux tous, dans cette pièce. Elle veut dire eux tous dehors, partout.
— Aigrie et desséchée. Tu détestes le monde parce qu’il ne t’a jamais fait mouiller. (Howard ouvre le sac et en sort un objet long, métallique et moche.) Si tu nous disais plutôt où tu caches ton magot, hein? Tu vas nous le dire, ou on te défonce avec ça, histoire de voir si t’as encore des bouts qui vivent à l’intérieur.
Elle irradie de mépris par chacun de ses pores, mais on voit à sa tête qu’Howard se trompe. Elle n’est pas aigrie. Elle a juste le cœur brisé par sa vie et par tous ceux qui sont venus à elle en trimballant leur propre cœur brisé, en quête de quelque chose pour l’extirper de leur corps. Mopar se demande si ça a jamais fonctionné.
— Sous mon lit, y a une latte de parquet qu’a plus de clous, dit-elle. C’est là.
Howard fait un signe de tête à Bad News et Warrington.
— Allez me chercher ça, dit-il.
Mopar frotte son pantalon crasseux. Il a l’air d’avoir été impliqué dans un tragique glissement de terrain. La neige
avait à peine commencé à tomber quand ils sont sortis de la pris
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Pour le moment. Howard balance un coup de tuyau vers le crâne du maton. Le maton rentre sa tête dans ses épaules pour l’éviter, mais le tuyau le cueille à hauteur de l’oreille et il tombe sur le flanc contre les jambes de Pearl. Howard frappe de nouveau et le cuir chevelu du maton s’ouvre, pelé comme une peau de raisin. Il s’effondre un peu plus entre les jambes de Pearl. Pearl le repousse d’un coup de pied et il tombe sur le sol en faisant un bruit mat. — T’es une garce charitable, lui dit Howard. Ça aurait pu être ton mari !
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En prison tu construis ton temps. Tu fais des piles de temps avec le claquement des cuillers sur les assiettes en fer, avec l’odeur du nettoyant industriel et l’odeur de la sueur, avec les pas et les pas sur le goudron de la cour, avec les visages plats des matons comme des trucs gravés à l’eau-forte sur un mur en béton, avec les ampoules nues de 200 watts qui vrombissent pendant que tu te branles dans une poignée de pommade, avec le sifflement et le cliquetis des tuyaux dans les murs, avec les petites tapettes aux mentons secs et aux lèvres gercées. Tu empiles ça comme un château de cartes, et Mopar venait de réaliser qu’il n’en pouvait plus de faire des piles.
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C'était la fatigue d'une femme qui avait passé l'intégralité de sa vie à regarder l'intégralité de sa vie se désagréger. Vous voyez tous les espoirs que vous ayez jamais eus se faire balayer comme de la neige par le vent. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien que cette chose microscopique qu'est votre propre personne. Et puis vous attendez que ça aussi, ça se fasse balayer.
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Toutes ces choses que vous vous dites que vous ne revivrez jamais. Ces trous dans lesquels vous vous jurez de ne plus jamais tomber. Mais il y a plus de trous dans lesquels tomber qu'on ne peut en compter, et seuls ceux qui passent leur vie entière en terrain sûr peuvent les éviter tous. Pour le reste d'entre nous la vie consiste à y tomber et à en ressortir.
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Vidéo de Benjamin Whitmer
Deux romans exceptionnels à rebours du rêve américain. Les dynamiteurs de Benjamin Whitmer raconte la perte de l'innocence d'un gamin des rues de Denver à la fin du XIX° siècle, hallucinante géographie des bas-fonds de la ville ravagée par la crise économique. Dans les brumes du matin de Tom Bouman met en scène, au nord de la Pennsylvanie, un jeune homme immature, suspect idéal de la dispartion de sa compagne, entre grands espaces vierges et corruption sociale.
Une émission animée par Christine Ferniot et Michel Abescat Réalisation : Pierrick Allain
Les dynamiteurs de Benjamin Whitmer, traduit de l'américain par Jacques Mailhos, éd. Gallmeister. Dans les brumes du matin de Tom Bouman, traduit de l'américain par Yannis Urano, éd. Actes sud. Vous avez aimé cette vidéo ? Abonnez-vous à notre chaîne YouTube : https://www.youtube.com/channel/¤££¤28Yannis Urano16¤££¤4fHZHvJdM38HA?sub_confirmation=1
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