Citations de Camille Bordas (93)
De façon générale regarder le sport à la télé me déprimait. Pas seulement parce que j'étais nul en sport et que je ne comprenais pas trop l'intérêt en soi, mais parce que ça me semblait si inutile d'être sportif que de voir des gens y consacrer leur vie, je trouvais ça triste et tragique. Je pensais que ces sportifs regretteraient plus tard d'avoir tout sacrifié au sport et qu'en attendant, nous, le public, on profitait de ce qu'ils n'en avaient pas encore pris conscience pour nous distraire. On utilisaient leurs années perdues comme divertissement. C'était cruel.
C'est toujours la même chose pour un pique nique. Ils s'installent près d'un arbre, parce que c'est le plus beau. Et au bout d'un moment, ils pissent dessus parce que c'est le plus près
Elle m’a demandé ce qui, à mon avis, arrivait aux enfants qui mouraient alors qu’il portait encore leurs bagues. » Tu crois qu’on les enterre avec ? Elle a dit. Je doute qu’il y ait des orthodontistes pour enfants morts.
’ai attendu le weekend pour aller sur la tombe du père. J’ai dit à personne que j’y allais. Je me disais qu’ils avaient tous oublié, ou qu’il s’était pas rendu compte de la date, et je voulais pas être rabat-joie de service. Quand je suis arrivé, la tombe du père était couverte de trucs que je pouvais attribuer à chacun de mes frères et sœur (un petit bonsaï =Léonard ; un bouquet de fleurs sauvages =Simone ; une bougie = Aurore ; des petits cailloux blancs dans le jardin =Jérémy ; l’orchidée devait être la part de ma mère). Ils avaient tous dû venir là chacun leur tour sans rien dire aux autres.
Quand tu es premier en tout, faut pas trop la ramener, on y croirait pas si j’expliquais que je voulais vraiment de la concurrence. Ça sonnerait faux, fallacieux. Faut rester humble dans ce cas là, faire comme si t’avais un peu honte d’être intelligent. Je me dis que ça doit être pareil quand t’es très heureux. J’ai jamais vraiment été très heureuse mais bon, j’imagine que c’est un peu la même chose. Faut pas trop la ramener. Rester un peu en retrait.
On a passé le reste de la récréation à parler de l’impression désagréable qu’avait Denise ces derniers temps d’avoir deux têtes.
– C’est comme si j’avais une tête plus petite à l’intérieur de celle-là, une tête que les gens ne voient pas. Elle est plus petite mais il y a plus de choses à l’intérieur que dans l’autre, alors elle essaie de repousser la tête extérieure et de prendre sa place.
Ca va peut-être te paraître bizarre, mais je suis super sensible à la misère humaine, a dit Rose. Y a plein de gens qui ont juste l’air d’avoir besoin d’un gros câlin, tu vois? Ou que quelqu’un se dévoue pour les baiser, leur donner un peu d’amour. En général c’est des gens moches et gros et même désagréables, mais juste parce qu’ils ont jamais baisé en fait. Ils sont habitués à ce que les gens soient dégoûtés par leur présence, mais moi ils me dégoûtent pas, ils me font juste de la peine.
Une fois, elle avait reconnu être jalouse des autres parents. Les autres mères à la sortie de l’école se plaignaient de ce que leurs enfants ne travaillaient pas assez, passaient beaucoup trop de temps à jouer dans le parc avec leurs copains, qu’ils étaient toujours là à négocier quelques minutes en plus, à grappiller sur la permission de dix-huit heures. A sa connaissance, ma mère était la seule à avoir le problème inverse.
Ce que je faisais par contre, de temps en temps, c'était d'imaginer des dialogues supplémentaires pour mes films préférés. Je m'inventais un rôle dans les films en question, aussi. C'était pas évident de m'intégrer au scénario d'un film et de faire en sorte que le film reste bon par contre, j'essayais de me donner un rôle aussi secondaire que possible, mineur, de façon à pas trop altérer l'intrigue.
je suis tellement plus diminuée aujourd'hui que ne serait-ce que l'an dernier...cette dégradation physique...c'est comme une bande annonce pour la fin de vie, vous voyez ? Et le film a pas l'air terrible !
J'étais le dernier des six et je ne voulais pas qu'on m'attribue les bizarreries des autres. Je voulais être unique. Moi-même. Différent. En même temps je n'avais pas trop le choix (j'étais moins beau et moins intelligent que les autres). Mais je n'avais pas non plus d'idée précise de ce que je devais être.
Je savais qu'on était pas pauvres parce qu'on allait à la plage tous les étés, et j'avais appris à l'école que ça n'était pas donné à tout le monde, d'aller à la plage.
J'aimais ma famille, je crois. Je n'en connaissais pas d'autre, c'est vrai et du coup, je ne pouvais pas trop comparer, mais il me semblait que c'étaient des gens bien ,corrects. Même s'ils étaient souvent perdus dans leurs pensées. Chacun dans sa bulle.
J'imagine que c'est ce qui arrive quand on est le seul à remarquer quelque chose : on s'en croit responsable.
La quantité de complications et de malchance dont les scénaristes accablaient mes personnages préférés m'avait toujours paru assez injuste. Je savais bien que c'était pour correspondre aux règles d'Aristote et tout, mais quand même. Si j'avais ressenti de l'admiration ou de la tristesse pour un personnage, il avait automatiquement une place dans mon monde parallèle de films où il ne se passait jamais rien de traumatisant.
Le placard en face du lit était entrouvert, et j'avais vue sur ses vêtements, ses vestes et chemises accrochées à leur cintres. Je savais bien que les vestes et chemises n'avaient pas de vie intérieure, de sentiments, mais elles avaient quand même l'air de comprendre que le père ne reviendrait pas et qu'elles ne seraient plus jamais portées. Elles avaient presque l'air d'avoir honte de ne pas avoir disparu avec lui, d'être juste là à nous rappeler son absence.
« T'as pas remarqué que Bérénice, Aurore et Léonard se sont tous inscrits en thèse parce qu'ils pensaient qu'ils allaient trouver des réponses à toutes leurs questions, mais qu'au lieu de ça, il leur faut de plus en plus de temps pour répondre à des questions de plus en plus simples ? Ils divisent toutes les questions en une infinité de sous-questions maintenant, et les sous-questions sont tellement compliquées qu'ils finissent jamais par revenir à la question originale. Ils sont devenus cinglés. »
Elle devenait toujours bizarrement nostalgique, cela dit, quand on faisait les valises pour rentrer à la maison. En temps normal, ça ne la gênait pas d’être au milieu, mais elle exigeait toujours d’être assise à côté d’une fenêtre quand on rentrait de vacances. Elle disait que regarder la mer et le rivage disparaître par la fenêtre était un bon moyen de rester en phase avec sa mélancolie, et que d’être en phase avec leur mélancolie était ce qui distinguait les grands artistes. « Donc les voyages en voiture font les grands artistes ? » je lui avais demandé, pour être sûr d’avoir bien compris ce qu’elle voulait dire. « Les voyages retour », elle avait précisé.
Septembre est revenu comme si de rien n'était. Comme s'il n'avait pas tout emporté sur son passage à sa dernière visite. Comme quelqu'un avec qui on s'est foutu sur la gueule et qui revient frapper à votre porte quelque temps plus tard, ne dit pas bonjour, ne s'excuse en rien, et va directement vous taper une bière dans le frigo.Ma femme est morte le premier jour de septembre, l'année dernière.
Quand ma fille a donné son premier coup, j'ai pensé qu'elle me demandait d'arrêter de lui faire mal et j'ai frappé mon ventre en réplique,c'était à elle de me laisser tranquille.Elle a riposté immédiatement,et c'est à partir de ce coup là,que j'ai commencé à lui prêter attention.