- [...] Vous voulez les secouer avec les souffrances des Algériens ? Il faut leur parler de ce qui leur est sensible. Un petit jeune qui tombe en Algérie, ça va faire du bruit ; demain, le même sort les attend, eux ou leur fils, leur frère. La sensibilité parisienne est un phénomène de courte durée. On peut soulever toute la ville pour secourir les clochards si les clochards sont à la mode, on peut aussi la soulever contre une guerre, une injustice, mais la vague retombe vite.
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Tant pis pour la vraie vie. Et qui sait si elle n'était pas ici dans les longues rêveries, dans l'attente et le désir d'ailleurs ?
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Comme elle était douce, celle d'avant, la vie un peu floue, loin de la vérité sordide. Elle était simple, animale, riche en imaginations. Je disais "un jour..." et cela me suffisait.
Surtout ne pas penser. Comme on dit "Surtout ne pas bouger" à un blessé aux membres brisés. Ne pas penser. Repousser les images, toujours les mêmes, celles d'hier, du temps qui ne reviendra plus. Ne pas penser. Ne pas reprendre les dernières phrases de la dernière conversation, les mots que la séparation a rendus définitifs, se dire qu'il fait doux pour la saison, que les gens d'en face rentrent bien tard ; s'éparpiller dans les détails, se pencher, s'intéresser au spectacle de la rue.
— La vraie vie, dit-il avec douceur, c'est comme toi. Le calme, la paix en dedans. Moi aussi, j'ai envie d'être calme. [...]
Il réussit à m'attendrir. Il me savait vulnérable à ces images de la vie tranquille, droite, simple.