Je fais un peu les choses à l’envers avec cette autrice si connue des amateurs de littérature anglaise classique, ayant commencé avec un texte mineur pour aller vers ce titre considéré comme son chef d’oeuvre, et je n’ai aucun regret, car j’ai adoré ce cheminement me permettant de découvrir combien l’autrice avait évolué et grandi. Nord et Sud est bien plus qu’une romance à la Orgueil et Préjugés comme on l’a souvent vendu, c’est un texte sociétal fort et engagé qu’il faut lire.
Dans la première moitié du XIXe siècle, Elizabeth Gaskell était une autrice qui avait réussi à se faire connaître et à avoir un certain succès. Elle était également dans la sphère d’auteurs et autrices cultes comme Charles Dickens, George Eliot et Charlotte Brontë dont elle a écrit la biographie posthume. Mais comme nombre d’autrices, elle fut invisibilisée dans les années qui ont suivi, notamment à l’étranger, et ce n’est que grâce aux adaptations de la BBC que j’ai pu découvrir cette autrice majeure. Je les en remercie.
J’avais lu le mois dernier, dans une envie de découvrir ces classiques sur papier, Les dames de Cranford et si j’avais apprécié sa plume caustique, je n’avais pas été passionnée plus que ça par les histoires de ces dames, alors que dans le même genre j’avais adoré l’exercice plus court avec Mr Harrison. J’avais donc quelques appréhensions avec ce nouveau texte, dont certes je connaissais la teneur grâce à la superbe adaptation télé où j’avais rêvé devant l’interprétation de Richard Armitage, mais qui promettait d’être un petit pavé, et l’ayant préféré sur un texte plus court… Mes craintes ont été d’emblée levées grâce à une entrée en matière des plus enthousiasmantes, enthousiasme qui n’a jamais baissé ensuite ou si peu.
On présente souvent Nord et Sud comme une romance et je dois avouer que c’était aussi, un peu beaucoup, ce que j’avais retenu de son adaptation télé. Quelle surprise, j’ai eu, en lisant le roman, de découvrir que c’était justement l’aspect qui me plaisait le moins, et que c’était plus dans la chronique sociétale revendicatrice de l’autrice que je trouvais mon bonheur. Pour ce qui est de la plume en revanche, pas de surprise, j’adore comme à chaque fois. C’est grinçant, caustique, âpre et parfaitement moderne, avec une facilité à entrer dans les échanges des personnages, les descriptions de leurs lieux et moments de vie, assez incroyable. La preuve d’une oeuvre réussie, c’est ce côté intemporel.
Nord et Sud, comme son titre l’indique est donc la rencontre de deux mondes et c’est justement ce qui m’a plu ici. J’ai aimé que la jeune femme naïve du Sud de l’Angleterre plus protégé, se voit confrontée à ce Nord industrieux, âpre, représenté à la fois par son nemesis John Thornton, propriétaire d’une filature, et les habitants variés de la ville, bien plus nuancés. C’était beau de voir la chrysalide, Margaret, se transformer en puissant papillon, un papillon éclairé sur la situation dans laquelle vivent les ouvriers du Nord. Cette question ouvrière est au centre de l’oeuvre et avec un socialism développé depuis les années 20 en Angleterre, on peut dire que l’autrice est assez moderne. J’ai ainsi été particulièrement sensible à son évolution au fil de l’oeuvre, passant d’une jeune fille de pasteur oisive, enfermée dans son petit monde, à femme adulte, mature, qui se bat pour les causes en lesquelles elle croit et prône l’écoute et le dialogue entre ceux que tout semble opposer. J’ai été soufflée par ses envolées pleines de fougue et j’ai beaucoup aimé les descriptions très riches de l’autrice de la condition et la vie ouvrière, prêtant un nom et une histoire à plusieurs d’entre eux à travers les familles qu’on suit. C’était puissant et immersif.
J‘ai bien plus de réserves concernant la construction de l’histoire et encore plus de la romance, qui a quand même une certaine place ici. J’ai d’abord trouvé effectivement trop de ressemblances par moment avec la construction d’Orgueil et Préjugés, notamment dans la maladresse des deux héros mâles à déclarer leurs sentiments à leur dulcinée… Ça va trop vite, ça sort de nulle part, ils sont trop mièvre alors qu’ils étaient froids et caustiques avant. Il y avait aussi quelque chose de trop classique, propre aux romans de cette époque, avec l’élément narratif perturbateur venant gêner le développement de la relation entre les deux héros qui s’étaient naturellement rapprochés autour de la maladie d’un troisième personnage et de plusieurs drames survenus dans la petite ville où ils résident. Cela a donné un récit avec pas mal de longueurs et quelques redites dont on aurait largement pu se passer, le dernier tiers étant assez interminable et morose. Heureusement que l’émotion était toujours au rendez-vous et qu’on apprécie d’assister à l’évolution de chacun à travers les épreuves qu’ils doivent surmonter et qui les rongent.
J’ai donc été plus à l’aise dans l’aspect « quotidien » de l’oeuvre. J’ai aimé suivre les vies de famille de chacun, même s’il y avait un côté trop prêchi prêcha chez celle de Margaret au vu de l’ancien travail de son père. Cela donnait vraiment une sensation de réalisme confondant de suivre leur petit quotidien à trois avec ses parents, et encore plus quand elle allait à la rencontre des ouvriers avec qui elle s’est liée de manière fortuite, jusqu’à aller chez eux et participer à leur vie et leurs déboires. Ce sentiment d’y être avec eux, c’est vraiment ce qui a fait la saveur de ce récit et l’a rendu si culte pour moi.
Je suis donc ravie d’avoir retrouvé la plume moderne d’Elizabeth Gaskell sur un texte aussi engagé dont la teneur sociale m’a surprise et ravie. Je trouve en revanche que l’autrice n’a pas déployé autant de talent sur la romance qui est maladroite, convenue et déjà vue. Elle m’avait plus marquée dans son adaptation télé. J’ai donc un ressenti final un peu partagé et ambivalent sur cette oeuvre saluant le cadre social et intime, mais étant déçue par la romance dont j’attendais plus en terme d’écriture.
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