On ne meurt pas chacun pour soit, mais les uns pour les autres ou même les uns à la place des autres.
Qui dit conservateur dit surtout conservateur de soi-même
Le Réalisme est précisément le bon sens des salauds
- Je n'ai pu encore me faire au bonheur de vivre heureuse et délivrée.
-Heureuse, peut-être, mais non pas délivrée. Il n'est pas en votre pouvoir de surmonter la nature.
Jeunes gens et jeunes filles, c'est d'abord en vous, c'est dans vos esprits, que vous sauverez la liberté. « Mais nous sommes des esprits libres ! » répondrez-vous. En êtes-vous sûrs ? Vous vous vantez d'être libres. C'est déjà la preuve que vous ne l'êtes pas encore tout à fait. Car la liberté de notre pensée se conquiert chaque jour contre nous-même, contre nos habitudes, nos préjugés, l'effort de la propagande, et cette lutte ne va pas sans d'amères déceptions, des défaites humiliantes, qui vous enlèveraient – si vous en faisiez la cruelle expérience – toute certitude d'être encore vraiment libres, ou du moins de vous proclamer tels.
Qui s’ouvre indifféremment au vrai comme au faux est mûr pour n’importe quelle tyrannie. La passion de la vérité va de pair avec la passion de la liberté.
Votre pensée n’est plus libre. Jour et nuit, presque à votre insu, la propagande, sous toutes ses formes, la traite comme un modeleur le bloc de cire qu’il pétrit entre ses doigts
On dirait que les survivants de ces générations formées pour le plaisir, en ne se refusant rien ont appris à se passer de tout. Il regarde les événements se rouler les uns sur les autres ainsi que des troncs d'arbres en temps de crue, et croit pouvoir attendre que le fleuve soit rentré dans son lit.
On dirait qu'au moment de la lui donner, le bon Dieu s'est trompé de mort, comme au vestiaire on vous donne un habit pour un autre. Oui, ça devait être la mort d'une autre, une mort pas à la mesure de notre Prieure, une mort trop petite pour elle, elle ne pouvait seulement pas réussir à enfiler les manches...
Il faut savoir risquer la peur comme on risque la mort, le vrai courage est dans ce risque.
La machine pense contre l’homme parce qu’elle pense à sa place, elle le dépossède non pas seulement de sa propre opinion, mais de la faculté d’en avoir une. Il ne pourra jamais dire ce qu’il pense, pour la raison qu’il ne saura plus ce qu’il pense. La Machinerie le saura pour lui. Le jour n’est pas loin, en effet, où tous les moyens de diffusion des idées se trouveront réunis en quelque organisation monstrueuse, qui d’ailleurs en viendra vite à substituer aux idées, d’un emploi difficile et parfois dangereux, des images simples et violentes, comparables à celles qu’utilise avec une maîtrise grandissante la publicité américaine. Non, ce jour n’est pas loin ! Les imbéciles peuvent encore se faire illusion, car la Machinerie à penser compte encore — pour combien de temps ?
Lorsqu'on pense aux moyens chaque fois plus puissants dont dispose le système, un esprit ne peut évidemment rester libre qu'au prix d'un effort continuel. Qui de nous peut se vanter de poursuivre cet effort jusqu'au bout? Qui de nous est sûr, non seulement de résister à tous les slogans, mais aussi à la tentation d'opposer un slogan à un autre?
La tyrannie abjecte du Nombre est une infection lente qui n'a jamais provoqué de fièvre. Le Nombre crée une société à son image, une société d'êtres non pas égaux, mais pareils, seulement reconnaissables à leurs empreintes digitales.
Le monde est mûr pour toute forme de cruauté, comme pour toute forme de fanatisme ou de superstition . 1938
L'élite ouvrière française est la seule aristocratie qui nous reste, la seule que la bourgeoisie du XIXe et du XXe siècle n'ait pas encore réussi à avilir
L'avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l'avenir, on le fait.
Nous nous faisons généralement de la prière une si absurde idée ! Comment ceux qui ne la connaissent guère osent-ils en parler avec tant de légèreté ? Un Trappiste, un Chartreux travaillera des années pour devenir un homme de prières, et le premier étourdi venu prétendra juger l'effort de toute une vie ! Si la prière était réellement ce qu'ils pensent, une sorte de bavardage, le dialogue d'un maniaque avec son ombre, ou une vaine et superstitieuse requête en vue d'obtenir les biens de ce monde, serait-il incroyable que des milliers d'êtres y trouvassent une forte et plénière joie !
(Écrits)
Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus...Après tout, j'aurais le droit de parler en son nom. Mais justement, on ne parle pas au nom de l'enfance. Il faudrait parler son langage. Et c'est ce langage que cherche de livre en livre.
Ma paroisse est une paroisse comme les autres. Toutes les paroisses se ressemblent. Les paroisses d’aujourd’hui, naturellement. Je le disais hier à M. le curé de Norenfontes : le bien et le mal doivent s’y faire équilibre, seulement le centre de gravité est placé bas, très bas. Ou, si vous aimez mieux, l’un et l’autre s’y superposent sans se mêler, comme deux liquides de densité différente. M. le curé m’a ri au nez. C’est un bon prêtre, très bienveillant, très paternel et qui passe même à l’archevêché pour un esprit fort, un peu dangereux. Ses boutades font la joie des presbytères, et il les appuie d’un regard qu’il voudrait vif et que je trouve au fond si usé, si las, qu’il me donne envie de pleurer.
Ma paroisse est dévorée par l’ennui, voilà le mot. Comme tant d’autres paroisses ! L’ennui les dévore sous nos yeux et nous n’y pouvons rien. Quelque jour peut-être la contagion nous gagnera, nous découvrirons en nous ce cancer. On peut vivre très longtemps avec ça.
L’idée m’est venue hier sur la route. Il tombait une de ces pluies fines qu’on avale à pleins poumons, qui vous descendent jusqu’au ventre. De la côte de Saint-Vaast, le village m’est apparu brusquement, si tassé, si misérable sous le ciel hideux de novembre. L’eau fumait sur lui de toutes parts, et il avait l’air de s’être couché là, dans l’herbe ruisselante, comme une pauvre bête épuisée. Que c’est petit, un village ! Et ce village était ma paroisse. C’était ma paroisse, mais je ne pouvais rien pour elle, je la regardais tristement s’enfoncer dans la nuit, disparaître… Quelques moments encore, et je ne la verrais plus. Jamais je n’avais senti si cruellement sa solitude et la mienne. Je pensais à ces bestiaux que j’entendais tousser dans le brouillard et que le petit vacher, revenant de l’école, son cartable sous le bras, mènerait tout à l’heure à travers les pâtures trempées, vers l’étable chaude, odorante… Et lui, le village, il semblait attendre aussi – sans grand espoir – après tant d’autres nuits passées dans la boue, un maître à suivre vers quelque improbable, quelque inimaginable asile.
Oh ! je sais bien que ce sont des idées folles, que je ne puis même pas prendre tout à fait au sérieux, des rêves… Les villages ne se lèvent pas à la voix d’un petit écolier, comme les bêtes. N’importe ! Hier soir, je crois qu’un saint l’eût appelé.
Je me disais donc que le monde est dévoré par l’ennui. Naturellement, il faut un peu réfléchir pour se rendre compte, ça ne se saisit pas tout de suite. C’est une espèce de poussière. Vous allez et venez sans la voir, vous la respirez, vous la mangez, vous la buvez, et elle est si fine, si ténue qu’elle ne craque même pas sous la dent.
Mais que vous vous arrêtiez une seconde, la voilà qui recouvre votre visage, vos mains. Vous devez vous agiter sans cesse pour secouer cette pluie de cendres. Alors, le monde s’agite beaucoup.