Non pas seul sur Mars, mais seul survivant de l’expédition sur Mars : un superbe contre-récit de la conquête spatiale contemporaine.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/05/20/note-de-lecture-loccupation-du-ciel-gil-bartholeyns/
Pas de note de lecture proprement dite pour « L’occupation du ciel », roman de Gil Batholeyns paru en mars 2024 dans la collection Imaginaire de Rivages : l’ouvrage fait en effet l’objet d’un petit article de ma part dans Le Monde des Livres daté du vendredi 17 mai 2024 (à lire ici). Comme j’en ai pris l’habitude en pareil cas, ce billet de blog est donc davantage à prendre comme une sorte de note de bas de page de l’article lui-même (et l’occasion de quelques citations du texte, bien sûr).
Hasard des calendriers éditoriaux ? Cette superbe fiction de Gil Bartholeyns est parue quelques semaines après le brillant travail d’investigation socio-historique d’Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin, « Une histoire de la conquête spatiale », et contribue comme lui, par un autre angle d’attaque, à une saine remise en cause d’un récit dominant dont les enjeux réels avancent souvent masqués, consciemment et inconsciemment, par un ensemble de relations publiques de très haut vol (c’est évidemment le cas de le dire).
Les contre-récits (quasiment au sens des contre-narrations de John Keene) spatiaux demeurent relativement rares en science-fiction. Je le détaillais dans la note consacrée au travail d’Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin, à laquelle je vous renvoie, bien sûr, mais on peut résumer cela ici en soulignant que si l’on excepte les cas notables de Barry Malzberg (« Apollo, et après ? », 1972) et l’évolution de Kim Stanley Robinson (servie par une rigueur scientifique et politique rare, en la matière) de la « Trilogie martienne » à « 2312 » puis à « Aurora », l’imaginaire dominant dans la science-fiction (influençant ensuite plus ou moins directement celui de la culture en général) est resté celui des « space enthusiasts » (n’incluant pas nécessairement toutefois la frange la plus « radicale » regroupée par exemple, parfois à l’insu de son plein gré, autour d’un Jerry Pournelle à la charnière des années 1980), courant qu’incarnait encore récemment, littérairement – en faisant la part belle, logiquement, à une forme de désenchantement – un Stephen Baxter (« Voyage », 1996), ou l’Andy Weir du très réussi « Seul sur Mars » (2011), et davantage encore le beau film de Ridley Scott qui en a découlé.
« L’occupation de l’espace » incarne brillamment une forme de scepticisme raisonné qui se glisse désormais dans le paysage, capable d’appeler capitaliste un astrocapitaliste, bureaucrate soucieux de sa propre continuité un donneur d’ordres public soigneusement « dépolitisé » et simples commerçants l’ensemble de prestataires de soft skills gravitant autour de la manne financière toujours renouvelée (même après disettes et autres vaches maigres).
On pourra noter la puissance développée comme mine de rien par Gil Bartholeyns pour construire un sous-texte extrêmement rusé derrière cette quasi enquête administrative conduite comme un thriller d’espionnage ou un roman policier hardboiled, avec un sens de l’humour et de la formule à la fois débonnaire et redoutable. Les implications de ce qui s’est passé là-haut et de ce qui se passe ici en termes de relations publiques, bien sûr, mais aussi de sécurité nationale, de financements publics, d’implication des « mécènes » – alors même que la lutte contre les incendies de plus en plus gigantesques, aux quatre coins des États-Unis, fait rage – sont mises en scène avec une virtuosité de cinéaste aguerri, alors même que l’astronaute Clay Sawyer, au centre de tout, s’affirme comme un personnage faisant vivre sous nos yeux avec grâce le délicat équilibre entre l’ordinaire et le hors normes.
Et c’est bien ainsi que Gil Bartholeyns apporte une contribution hautement significative à cette littérature contemporaine qui se préoccupe de questionner le sens des priorités, politiques et économiques, de nos élites dirigeantes et de leurs sponsors, à l’image du travail de Nathaniel Rich (dans son « Paris sur l’avenir » comme dans son « Perdre la Terre ») ou, à nouveau, de Kim Stanley Robinson, du côté de ses monuments d’urgence systémique que sont « La trilogie climatique », « New York 2140 », ou, bien sûr, « Le ministère du futur ».
On notera aussi la maestria avec laquelle Gil Bartholeyns s’empare du motif du grand incendie, bien au-delà de ce que l’actualité contemporaine, pourtant déjà bien chargée de ce côté dans l’Ouest des États-Unis, au Canada ou en Australie, propose à l’écran. Emblème cruel et beaucoup plus immédiatement perceptible du dérèglement climatique, en comparaison de montées des eaux plus insidieuses et de sécheresses pour l’instant moins perceptibles en Europe et en Amérique du Nord, l’incendie de forêt, qui s’en prend désormais régulièrement – et massivement – aux installations humaines et aux habitations, incarne avec éclat (comme dans le « Triple zéro » de Madeleine Watts ou, en effroi paroxystique, comme préalable au redoutable « Hors sol » du regretté Pierre Alferi) ce qui ne va pas aujourd’hui dans la défense molle et comme résignée de notre Planète A victime de l’acharnement fossile.
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